Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 novembre 2016 et des mémoires enregistrés les 11 janvier et 18 avril 2017, la société Losange Diffusion, représentée par la Selas Barthelemy et associés, avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 octobre 2016 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le chiffre d'affaires de la société Losange Diffusion a diminué de 34,73 % de 2013 à 2014 ; son résultat d'exploitation est négatif ; il existe ainsi un motif économique justifiant le licenciement ;
- elle a satisfait à son obligation de reclassement ;
- il n'a pas été procédé à un transfert d'activité à la société Cartothèque au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail.
Par des mémoires enregistrés les 19 décembre 2016 et 6 mars 2017, M. B... A..., représenté par la Selarl Juridome, avocats, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Losange Diffusion d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le motif économique invoqué par son employeur est fallacieux et n'a pour but que de contourner les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, compte tenu du transfert de l'activité autonome de distribution à la société Cartothèque ;
- le reclassement n'a pas été préalable à la mise en oeuvre du licenciement ; il n'y a pas eu de recherche de reclassement individualisé ; six postes proposés l'ont été aux huit salariés licenciés ;
- les données comptables retenues ont été arrêtées au 30 juin 2014, alors que le licenciement a été notifié le 6 janvier 2015 ; la baisse de chiffre d'affaires invoquée résulte de la diminution de huit à six des emplois de commerciaux ; c'est donc la société Losange Diffusion elle-même qui est à l'origine des difficultés économiques alléguées.
La requête a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas produit d'observation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Clot, président,
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public,
- les observations de Me Prunevieille, avocat de la société Losange Diffusion ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Losange Diffusion a saisi l'inspecteur du travail le 5 novembre 2014 d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique, afin de sauvegarder la compétitivité des entreprises de son groupe exerçant la même activité, de M. A..., employé depuis le 1er février 2007 en qualité de vendeur, représentant, placier et exerçant alors le mandat de délégué du personnel. Le 23 décembre 2014, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement. La société Losange Diffusion relève appel du jugement par lequel, sur la demande de M. A..., le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé cette décision.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Il incombe également à l'autorité administrative de tenir compte de toute autre circonstance qui serait de nature à faire obstacle au licenciement envisagé, notamment celle tenant à une reprise, même partielle, de l'activité de l'entreprise impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur en application de l'article L. 1224-1 du code du travail.
3. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. ". Ces dispositions trouvent à s'appliquer en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur. Constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
4. Il ressort des pièces du dossier que la société Losange Diffusion, qui employait douze salariés, exerçait, d'une part, une activité d'édition et, d'autre part, une activité de diffusion et distribution des livres qu'elle édite dans les grandes surfaces spécialisées et les grandes surfaces alimentaires. Cette société est, avec les sociétés Améthyste et ATP, la filiale de la société HCH Activités, qui appartient au groupe DC Expansion. Confrontée à une diminution de son chiffre d'affaires et de son résultat, la société Losange Diffusion a décidé de cesser son activité de diffusion et de distribution, à compter de janvier 2015, pour ne conserver que son activité d'édition. Cette réorganisation a entraîné la suppression de neuf postes dont les huit postes des commerciaux qu'elle employait. Pour exercer son activité de diffusion et de distribution, la société Losange Diffusion avait recours, notamment, à la société Cartothèque, spécialisée dans la diffusion de livres, appartenant également au groupe DC Expansion, à laquelle elle était liée par un contrat de diffusion et de distribution. Les emplois de reclassement proposés aux salariés licenciés de la société Losange Diffusion étaient des emplois dans la société Cartothèque. Si celle-ci a repris l'activité de diffusion et de distribution que la société Losange Diffusion exerçait jusqu'alors avec ses moyens propres, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette opération se soit accompagnée du transfert d'éléments corporels et incorporels d'exploitation. Dès lors, les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne pouvaient trouver à s'appliquer. Par suite, c'est à tort que, pour annuler l'autorisation de licenciement en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que, en application de ces dispositions, le contrat de travail de M. A... devait être transféré à la société Cartothèque.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
6. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
7. Comme il a été rappelé ci-dessus, la société Losange Diffusion appartient à un groupe comprenant plusieurs sociétés exerçant diverses activités. Les seuls emplois de reclassement proposés à M. A... étaient des emplois dans la société Cartothèque. La société Losange Diffusion fait valoir que la gestion des ressources humaines de l'ensemble des entreprises du groupe auquel elle appartient est assurée par la société holding DC Expansion, ce qui explique l'absence de formalisation de la recherche des possibilités de reclassement. Toutefois, même si elle a effectivement proposé des emplois de reclassement au salarié dont le licenciement était envisagé, elle n'établit pas qu'elle a procédé à cette recherche, concernant ce salarié, dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettaient, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Losange Diffusion n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Losange Diffusion le paiement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Losange Diffusion est rejetée.
Article 2 : La société Losange Diffusion versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Losange Diffusion, au ministre du travail et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
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N° 16LY03630