Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 mai 2017, 16 mars et 27 avril 2018, Mme C... épouse B..., représentée par la SCP Verron, D'Alu, avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 mars 2017 ;
2°) de rejeter la demande de la SAS Erteco France devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'enquête de l'inspecteur du travail n'a pas méconnu le principe du contradictoire dès lors que la SAS Erteco France a été mise à même au cours de cette enquête de prendre connaissance de l'existence et du contenu des documents relatifs aux relations privées et personnelles qu'elle entretient avec les salariés qui ont attesté être victimes d'un harcèlement moral de sa part ;
- la matérialité des faits de harcèlement moral qui lui sont reprochés n'est pas établie.
Par trois mémoires, enregistrés les 9 octobre et 11 décembre 2017 et le 17 avril 2018 la société Carrefour Proximité France, venant aux droits de la SAS Erteco France, représentée par la SCP Fromont, Briens, avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Clot, président,
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public,
- les observations de Me Verron, avocat de Mme C... épouse B..., ainsi que celles de Me Peillon, avocat de la société Carrefour Proximité France ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a été embauchée le 6 septembre 1994 par la société ED d'Aix-les-Bains, qui exerce une activité de vente au détail de produits alimentaires, pour occuper le poste de caissière réassortisseuse. Elle exerce depuis le 3 mars 1997 les fonctions de responsable de magasin du supermarché situé à Saint-Jean-de-Maurienne, exploité sous l'enseigne ED, devenue DIA puis Erteco, qui appartient au groupe Carrefour. A compter du 24 avril 2014, elle a été élue déléguée du personnel suppléante. Après son absence pour maladie consécutive à un malaise survenu le 25 juillet 2014 sur son lieu de travail, plusieurs salariés du magasin ont sollicité leur hiérarchie, provoquant la visite sur place du responsable de secteur et du chef de vente le 29 juillet 2014, puis de membres de la direction des ressources humaines le 6 août suivant. Au vu des faits de harcèlement moral dénoncés par les salariés, la SAS Erteco France a engagé le 23 octobre 2014 une procédure de licenciement pour faute grave de Mme B.... Le 25 novembre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son employeur à la licencier. Par lettre du 19 janvier 2015 reçue le 22 janvier suivant, la SAS Erteco France a formé contre cette décision un recours hiérarchique qui a été implicitement rejeté. Mme B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.
2. Pour annuler les décisions en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de la méconnaissance par l'inspecteur du travail du caractère contradictoire de l'enquête qu'il a effectuée et, d'autre part, de ce que les faits reprochés étaient matériellement exacts et de nature à justifier le licenciement envisagé.
3. L'article R. 2421-4 du code du travail prévoit que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " (...) procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande se faire assister d'un représentant de son syndicat ".
4. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance en temps utile de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié soit susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. Il implique également de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
5. Selon les termes mêmes de la décision du 25 novembre 2014, l'enquête menée par l'inspecteur du travail dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement pour faute grave présentée par la SAS Erteco France, qui reprochait à Mme B... d'avoir harcelé moralement ses collaborateurs, a révélé que la salariée a été entendue par l'inspecteur du travail et lui a présenté, à cette occasion, plusieurs documents mettant en évidence qu'elle entretenait des relations privées et personnelles avec lesdits collaborateurs. Si la SAS Erteco France fait valoir qu'elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance de ces éléments, il ressort toutefois des pièces du dossier que les documents produits par Mme B... ne font que réitérer les propos tenus par les salariés devant les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ainsi que dans leurs différentes attestations présentées par la SAS Erteco France à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement. Ainsi, les exigences posées à l'article R. 2421-4 du code du travail n'ont pas, en l'espèce, été méconnues. Il suit de là que c'est à tort que, pour annuler les décisions en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré du non respect du principe du caractère contradictoire de l'enquête.
6. Toutefois, le tribunal administratif a jugé que les faits de harcèlement moral de ses collaborateurs imputés à Mme B... étaient matériellement exacts et de nature à justifier son licenciement. L'intéressée n'apporte en appel aucun élément contredisant les motifs sur lesquels s'est fondé, sur ce point, le tribunal, qu'il y a lieu pour la cour d'adopter.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Carrefour Proximité France venant aux droits de la SAS Erteco France, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme à Mme B... au titre des frais exposés à l'occasion du litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Carrefour Proximité France tendant au bénéfice de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Carrefour Proximité France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., à la société Carrefour Proximité France et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
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N° 17LY02168