Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 août 2020 et un mémoire enregistré le 13 novembre 2020, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1903165 du 24 juin 2020 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Dijon.
Il soutient que :
- la décision a été prise conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant et ainsi ne méconnaît pas les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les conditions de logement du demandeur n'ont pas pu être vérifiées à la date de la décision ;
- la validité de l'acte de kafala concernant le petit-fils de M. D... est douteuse.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2020, M. D..., représenté par la SELARL BS2A C... et E... avocats associés, agissant par Me E..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit enjoint au préfet de Saône-et-Loire de faire droit à la demande de regroupement familial sollicité, ou subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge du préfet de Saône-et-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de Saône-et-Loire ne sont pas fondés ;
- le préfet a commis une erreur de droit en se fondant sur l'avis, qui n'avait pas à être recueilli, du consulat général de France à Alger pour prendre la décision contestée ;
- la circonstance que l'enfant, mineur à la date du dépôt de la demande, soit devenu majeur le 21 août 2020, n'était pas un motif de refus de regroupement familial ;
- la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dans l'application des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, premier conseiller,
- et les observations de Me C..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant algérien né le 18 mars 1937, a demandé, une première fois le 23 septembre 2018, le regroupement familial au bénéfice de son petit-fils A... D..., né le 21 août 2002, alors âgé de 16 ans, dont l'autorité parentale lui a été déléguée par un jugement de " kafala " du tribunal de Boukader (Algérie) du 11 avril 2018. Par une décision du 20 décembre 2018, le préfet de Saône-et-Loire a refusé de faire droit à cette demande en raison de l'impossibilité rencontrée par le service instructeur pour contacter l'intéressé, malgré plusieurs relances, aux fins d'effectuer une enquête sur ses ressources et son logement. Le 11 mars 2019, M. D... a présenté une seconde demande de regroupement familial, qui lui a été refusée par décision du préfet de Saône-et-Loire du 29 juillet 2019, confirmée après recours gracieux le 23 septembre 2019, se fondant sur le motif tiré de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le préfet de Saône-et-Loire relève appel du jugement du 24 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé ces décisions des 29 juillet 2019 et 23 septembre 2019.
Sur l'appel principal du préfet de Saône-et-Loire :
2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1 - Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. (...) 2 - Le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. Peut être exclu de regroupement familial : 1 - Un membre de la famille atteint d'une maladie inscrite au règlement sanitaire international ; 2 - Un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées au Titre II du Protocole annexé au présent Accord. Un regroupement familial partiel peut être autorisé pour les motifs tenant à l'intérêt des enfants. (...) ". Aux termes du titre II du protocole annexé à l'accord franco-algérien : " Les membres de la famille s'entendent du conjoint d'un ressortissant algérien, de ses enfants mineurs ainsi que des enfants de moins de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire algérienne, dans l'intérêt supérieur de l'enfant ".
3. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où est demandé, sur le fondement des stipulations précédemment citées de l'accord franco-algérien, le regroupement familial en vue de permettre à un enfant de rejoindre en France un ressortissant algérien qui en a la charge en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire algérienne, l'autorisation de regroupement familial ne peut, en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, être refusée pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, l'autorité administrative peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur les motifs énumérés à l'article 4 de l'accord franco-algérien, notamment sur ceux tirés de ce que les conditions d'accueil de l'enfant en France seraient, compte tenu en particulier des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.
4. Il ressort des pièces du dossier que, si l'enfant A... D... a toujours vécu en Algérie, M. D..., son grand-père, dispose, par un acte de kafala, homologué par jugement et dont il n'est pas établi, ni même allégué, qu'il aurait été obtenu par fraude, d'une délégation d'autorité parentale, de plein droit exécutoire en France, pour prendre toutes mesures de tutelle et de prise en charge de cet enfant. Il est constant que M. D..., retraité, bénéficie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de son petit-fils. Si le préfet fait valoir, pour la première fois en appel, que les conditions de logement du demandeur n'ont pas pu être vérifiées, il n'a pas formulé de demande expresse de substitution de motif. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que les services chargés de l'instruction de la seconde demande de regroupement familial, présentée par M. D... le 11 mars 2019, et ayant donné lieu à la décision en litige du 29 juillet 2019, n'auraient pas été en mesure de s'assurer que la condition de logement posée à l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 était satisfaite. Ainsi, en l'absence de circonstances particulières, qui ne sont notamment pas constituées par l'âge du demandeur ou de son petit-fils, en estimant que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine auprès de ses parents, le préfet de Saône-et-Loire a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de ce qui précède que préfet de Saône-et-Loire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé sa décision du 29 juillet 2019 rejetant la demande de regroupement familial présentée par M. D... au bénéfice de son petit-fils, ainsi que celle du 23 septembre 2019 portant rejet du recours gracieux.
Sur les conclusions incidentes à fin d'injonction :
6. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a notamment enjoint au préfet de Saône-et-Loire de délivrer à M. D... l'autorisation de regroupement familial qu'il avait sollicitée. Dès lors, les conclusions présentées devant la cour par M. D... et tendant au prononcé de la même injonction sont dépourvues d'objet et doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables.
7. En tout état de cause, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Dijon dans son jugement n° 1903165 du 24 juin 2020.
Sur les frais liés au litige :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Saône-et-Loire est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par M. D... devant la cour est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 20LY02507