Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2019, le centre hospitalier Alpes-Léman et la société CNA Insurance Compagny Limited, représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande présentée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie devant le tribunal administratif de Grenoble ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement du 19 mars 2019 en tant que le tribunal administratif de Grenoble les a condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie la somme de 571 860,97 euros et d'appliquer à la créance de la caisse primaire un taux de perte de chance évalué à 50 % ;
3°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie la somme de 1 500 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- la commission régionale de conciliation et d'indemnisation et le tribunal administratif ont, à tort, retenu son entière responsabilité alors que le rapport d'expertise a uniquement conclu à une perte de chance évaluée à 50 % des préjudices subis ;
- Mme C... a bénéficié d'une information pré-opératoire ;
- l'état de santé de la patiente justifiait le by-pass ; l'expert souligne qu'hormis l'incident lié à l'oubli de la sonde thermique, l'intervention du 3 octobre 2012 a été réalisée de façon classique dans le respect des règles de l'art ; l'oubli de la sonde n'a pas été à l'origine des complications ultérieures ;
- Mme C... a présenté, dans les suites de l'intervention du 3 octobre 2012, des complications, à savoir une torsion de l'anastomose jéjuno-jéjunale, une fistule de l'anastomose gastro-jéjunale, une fistule sur plaie du grêle suturée, une cellulite pariétale, une défaillance septique multi-viscérale ; si l'expert précise que le caractère précoce de la torsion de l'anastomose jéjuno-jéjunale laisse penser qu'elle est imputable à un manquement dans la réalisation du geste opératoire, il n'émet qu'une hypothèse probable mais non certaine ; de la même façon, l'expert note que l'occlusion au niveau de l'anastomose jéjuno-jujénale est due le plus souvent à une malfaçon technique mais il ne s'agit que d'une hypothèse ; s'agissant du drainage de la cellulite pariétale, l'expert fait état uniquement d'une suspicion de traitement inapproprié en indiquant que cette intervention purement pariétale est probablement insuffisante ; s'agissant de la suture de la plaie survenue lors de la dissection du grêle, l'expert conclut que la suture d'une plaie, lors d'une dissection d'une telle complexité, est un aléa habituel de cette chirurgie ; si l'expert indique que la simple suture sur l'intestin occlus est discutable, il n'indique pas le geste chirurgical approprié ni si cette simple suture a été à l'origine des dommages de la patiente ; par suite, il n'est pas rapporté la preuve de malfaçons techniques ;
- l'expert ne retient aucun dommage en lien avec ces suspicions de malfaçons et conclut que le seul manquement avéré de la part de l'équipe médicale du centre hospitalier Alpes-Léman réside dans le fait de ne pas avoir décidé plus tôt du transfert de la patiente vers l'hôpital Edouard Herriot de Lyon ; à ce titre, il retient une perte de chance de 50 % d'éviter les dommages ; si la cour devait retenir un manquement, ce ne pourrait être que pour le retard dans la décision de transfert vers un centre plus spécialisé dans la prise en charge des complications bariatriques ;
- l'attestation d'imputabilité rédigée par un médecin-conseil et la brève évaluation des frais futurs sont dépourvues de force probante ; il lui appartient de justifier des prestations dont elle entend obtenir le remboursement par la communication d'éléments objectifs ;
- si la cour estimait que la créance produite par la caisse primaire d'assurance maladie est suffisamment justifiée par l'attestation du médecin-conseil, l'imputabilité de certaines prestations aux faits litigieux n'est pas établie ; l'hospitalisation du 29 juillet au 2 août 2013 n'est pas mentionnée dans les rapports d'expertise ; les transports en ambulance ou en véhicule sanitaire des 29 mai, 1er juin et 20 juin 2013 ne sont pas documentés ; par suite, la créance de la caisse primaire d'assurance maladie ne s'établit qu'à la somme de 564 320,79 euros ; en appliquant le taux de perte de chance de 50 %, la créance de la caisse s'établit au montant de 282 160,40 euros.
Par un mémoire, enregistré le 18 octobre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge in solidum du centre hospitalier Alpes-Léman et de son assureur, la société CNA Insurance Compagny Limited, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la cour, tout comme le tribunal administratif, retiendra la responsabilité pleine et entière du centre hospitalier Alpes-Léman pour les motifs exposés par l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ; aussi les débours exposés au profit de son assurée doivent lui être remboursés ;
- l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil rapporte la preuve de la réalité des débours exposés ; le médecin-conseil est indépendant de la caisse primaire d'assurance maladie et cette attestation ne constitue pas une preuve que la caisse s'est constituée à elle-même ; le fait que certains débours ne seraient pas évoqués dans le rapport d'expertise ne remet pas en cause leur réalité.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 3761 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;
- et les observations de Me D..., substituant Me E..., représentant le centre hospitalier Alpes-Léman.
Considérant ce qui suit :
1. Le 3 octobre 2012, Mme B... C... a été admise au centre hospitalier Alpes-Leman pour subir sous coelioscopie une intervention chirurgicale consistant en un by-pass gastrique avec anastomose jéjuno-jéjunale et qui a nécessité un drainage. Le 7 octobre 2012, un écoulement purulent est survenu par l'orifice cutané latéral gauche du redon justifiant une reprise chirurgicale par laparotomie xipho-ombilicale. Lors de cette intervention, il a été relevé un épanchement clair au niveau de l'ouverture du péritoine et une collection purulente sous-costale gauche ainsi qu'une distension importante de l'anse biliaire liée à un twist de l'anastomose jéjuno-jéjunale qui ont conduit le chirurgien à pratiquer une résection de dix centimètres de l'anse biliaire puis à refaire l'anastomose. Un drainage a été mis en place par trois drains de redon. Après son transfert en réanimation du fait d'une désaturation importante en per-opératoire, les médecins ont constaté un écoulement de liquide purulent au niveau de l'orifice de trocart révélant la présence d'une fistule. Progressivement, est apparue une cellulite du flanc gauche (inflammation et infection de la paroi révélant une infection intra-abdominale) avec écoulement d'un liquide purulent. Le 9 octobre 2012, Mme C... a subi une nouvelle intervention. Les prélèvements per-opératoires ont mis en évidence une flore anaérobie polymorphe comportant lactococcus et streptococcus multi-sensibles. A la suite de cette intervention, la patiente a présenté un syndrome de détresse respiratoire aiguë associé à une hyperthermie. Un scanner a révélé la présence d'un épanchement pleural gauche associé à une collection à l'étage abdominal. Le 11 octobre 2012, une laparotomie a été pratiquée et il a été retrouvé un abcès rétro-gastrique en lien avec une fistule sur la face antérieure de l'anastomose gastro-jéjunale. Au cours de cette intervention, la fistule a été intubée par un drain et un contrôle vaginal a été réalisé avec prélèvement compte tenu de l'apparition d'un écoulement purulent vaginal. Dans les suites de cette intervention, Mme C... a présenté un nouvel épisode septique avec fièvre et un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Les prélèvements bactériologiques ont mis en évidence la présence d'un escherichia coli dans le vagin et d'un stenotrophomonas sur les prélèvements abdominaux per-opératoires. Malgré la prescription d'une antibiothérapie, l'état infectieux s'est accentué. Le 19 octobre 2012, une cinquième opération a été pratiquée dans des conditions techniques difficiles et, au décours de celle-ci, une plaie du grêle est survenue accidentellement et a été immédiatement suturée. Dans les suites opératoires, une fistule digestive est apparue au niveau de la plaie du grêle suturée et a été drainée pour permettre l'extériorisation de liquide bilieux en grande quantité. Mme C... est restée en hyperthermie avec des écoulements importants par les drains. Le 24 octobre 2012, un scanner a mis en évidence deux collections au niveau de l'anastomose gastro-jéjunale et le long de la grande courbure gastrique. Dans le même temps, des matières fécales sont apparues au niveau des lames droites et gauches et de la cicatrice de laparotomie. Le 26 octobre 2012, Mme C... a été transférée au sein du service de réanimation de l'hôpital Edouard Herriot de Lyon. A son admission, un scanner a mis en évidence l'existence d'une importante fistule sur l'anastomose gastro-jéjunale et une éviscération épigastrique ainsi qu'un épanchement pleural gauche modéré au niveau thoracique. Le 28 octobre 2012, une nouvelle intervention chirurgicale d'une durée de sept heures et a mis en évidence l'existence d'une première fistule sur la face antérieure de l'anastomose gastro-jéjunale, d'une seconde fistule au niveau de l'anse biliaire. Lors de cette intervention, il a été procédé à une résection de grêle de part et d'autre de l'anastomose jéjuno-jéjunale emportant cinq centimètres d'anse alimentaire et dix centimètres d'anse biliaire et des drainages. Une laparostomie avec mise en place de mousse intra-abdominale et application d'un système aspiratif étanche a également été effectuée et l'usage de cette technique a nécessité huit autres passages au bloc du 29 octobre au 3 décembre 2012 pour s'assurer de la complète fermeture de la paroi abdominale. Le 5 novembre 2012, Mme C... a été victime d'une embolie pulmonaire bilatérale proximale nécessitant une décoagulation. Le 15 novembre 2012, une nouvelle collection a été mise en évidence au niveau de la cicatrice médiane imposant un drainage et une fistule persistante au niveau du drain situé dans l'anse alimentaire a été identifiée. L'évolution sur le plan digestif a conduit à retirer le drain thoracique intubant la fistule gastro-jéjunale le 21 janvier 2013. Mais, le 15 mars 2013, Mme C... a été admise dans le service de réanimation pour des problèmes hydro-électrolytiques par sous-compensation des fuites par les drains. Elle a été à nouveau hospitalisée le 26 mars 2013 compte tenu de ses symptômes évoquant un sepsis grave et le traitement antibiotique a été poursuivi après les résultats des hémocultures positives à enterobacter cloace puis a été modifié après de nouveaux résultats des hémocultures positives à enterobacter cloace et enterocoque faecalis. Du 14 mai au 23 juin 2013, Mme C... a été hospitalisée à domicile. Du 23 au 27 juin 2013, la patiente a été hospitalisée au centre hospitalier Alpes-Léman. Du 27 juin au 8 juillet 2013, Mme C... a été admise au sein du service de chirurgie de l'hôpital Edouard Herriot de Lyon et le scanner du 28 juin n'a pas retrouvé d'anomalie septique au niveau abdominal et thoracique. Le 11 octobre 2013, Mme C... a bénéficié du rétablissement de la continuité digestive. A compter de cette date, si l'évolution sur le plan digestif a été favorable, l'évolution a été plus complexe sur le plan septique et psychiatrique.
2. Imputant les préjudices subis à des fautes commises lors de sa prise en charge par le centre hospitalier Alpes-Léman, Mme C... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Rhône-Alpes qui a ordonné une expertise médicale confiée au docteur Jean-Luc Berger, chirurgien viscéral. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 5 novembre 2014, la commission régionale, dans son avis du 9 décembre 2014, a retenu que des manquements étaient à l'origine totale des dommages supportés par Mme C... et que la responsabilité pleine et entière du centre hospitalier Alpes-Léman devait être engagée en application des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. A la suite de la consolidation de l'état de santé de Mme C... fixée au 25 avril 2015, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation a ordonné une nouvelle expertise confiée au docteur Berger et au professeur Laurent, neurologue. Ceux-ci ont remis leur rapport le 14 septembre 2015. Par un avis du 10 novembre 2015, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation a enjoint à l'assureur du centre hospitalier de proposer une offre d'indemnisation définitive. Mme C... a accepté l'offre d'indemnisation de l'assureur du centre hospitalier Alpes-Léman sur la base d'une perte de chance de 50% d'éviter les préjudices subis. Par courrier du 23 septembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie a saisi le centre hospitalier Alpes-Léman d'une demande tendant au remboursement des débours engagés à laquelle le centre hospitalier n'a pas répondu. Le centre hospitalier Alpes-Léman et la société CNA Insurance Compagny Limited relèvent appel du jugement du 19 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble les a condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie une somme de 571 860,97 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2016 au titre de ses débours et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Sur la responsabilité pour faute du centre hospitalier Alpes-Léman :
3. Aux termes du I de l'article L. 11421 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ou du livre Ier. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. "
4. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie fait valoir en s'appropriant les termes de l'avis du 9 décembre 2014 de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes que le centre hospitalier Alpes-Léman a commis des manquements constitutifs de fautes de nature à engager son entière responsabilité.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise établi à la demande de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation que l'expert a relevé d'une part, que la survenue précoce de la complication relative à l'abcès sous-costal gauche lié à une torsion de l'anastomose jéjuno-jéjunale à l'origine d'une distension majeure de l'anse biliaire avec rupture de l'anastomose manifestant son occlusion " oriente préférentiellement vers une malfaçon technique " en s'appuyant sur un article du professeur Zimmerman consacré aux complications du by-pass faisant état de ce qu' " une occlusion au niveau de l'anastomose jéjuno-jéjunale est due le plus souvent à une malfaçon technique ". D'autre part, l'expert note que, dans les suites de la réfection de l'anastomose jéjuno-jéjunale, Mme C... a présenté une cellulite du flanc gauche et que pour traiter cette cellulite, le chirurgien a pratiqué un drainage pariétal " probablement insuffisant " compte tenu de ce que le syndrome septique n'a pas régressé et n'a pas recherché la cause intra-abdominale de ce syndrome. Il relève également que lors de l'intervention du 19 octobre 2012, est survenue une plaie du grêle qui a été suturée, ce qui est constitutif d'un aléa habituel d'une telle chirurgie compte tenu de sa complexité, mais que " le traitement effectué consistant en une simple suture sur un intestin occlus, fragilisé par l'infection, au contact d'une collection purulente, apparait discutable ", les suites opératoires étant marquées par l'apparition d'une fistule digestive au niveau de la plaie suturée. L'expert conclut que sur une vingtaine de jours post-opératoires, " on voit donc se succéder une torsion de l'anastomose jéjuno-jéjunale responsable d'une dilation majeure de l'anse biliaire, une rupture de l'anastomose jéjuno-jéjunale, une fistule de l'anastomose gastro-jéjunale, une fistule sur plaie du grêle suturée, une cellulite pariétale, une défaillance septique multi-viscérale. L'analyse détaillée de l'ensemble de la prise en charge fait apparaître une suspicion de malfaçon technique expliquant le twist précoce de l'anastomose jéjuno-jéjunale, une suspicion de traitement inapproprié (drainage de la cellulite pariétale sans recherche de la cause intra-abdominale et drainage de celle-ci), une suture de grêle extrêmement discutable réalisée sur un intestin occlus dans une atmosphère septique, une succession de quatre interventions à quelques jours d'intervalle dont aucune d'entre elles ne résout le problème septique allant plutôt en s'accentuant ". Enfin, l'expert retient que " face à cette succession inhabituelle de complications graves avec des réinterventions multiples ne résolvant aucun problème septique, une mutation précoce vers un centre expert aurait indiscutablement permis une meilleure gestion des complications opératoires " et estime que le transfert tardif vers l'hôpital Edouard Herriot de Lyon a été à l'origine d'une perte de chance d'éviter les préjudices subis à hauteur de 50 %.
6. Si le centre hospitalier Alpes Léman et son assureur font valoir que l'expert ne rapporte pas la preuve de malfaçons techniques fautives indiquant que l'expert n'a émis que des hypothèses et a estimé que " les complications elles-mêmes peuvent être considérées comme des accidents médicaux non fautifs ", il résulte de l'instruction qu'après avoir souligné que la chirurgie bariatrique présente des complications nombreuses aussi bien à court terme qu'à moyen ou long terme, l'expert s'est interrogé sur la multiplicité des complications sur une période d'une vingtaine de jours post-opératoires et leur singularité en faisant état " d'une succession inhabituelle de complications graves " et en indiquant, dans ses conclusions, que " plusieurs gestes inappropriés peuvent être individualisés lors des réintervention successives : probable malfaçon technique sur l'anastomose jéjuno-jéjunale à l'origine d'un twist, drainage insuffisant, intervention de redrainage différée, redrainage inapproprié, geste de suture de plaie de grêle discutable, mutation tardive dans un centre expert ". Par suite, la malfaçon technique de l'anastomose jéjuno-jéjunale, précédée d'un oubli d'une sonde thermique sans incidence sur les suites médicales, le caractère insuffisant et inapproprié du drainage pariétal, le caractère inadapté de la simple suture de la plaie accidentelle du grêle causée lors de la réintervention du 19 octobre 2012 et le retard dans le transfert de la patiente vers un centre expert doivent être regardés comme des manquements fautifs de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Alpes-Léman.
7. Le centre hospitalier Alpes-Léman et son assureur font valoir que l'expert ne retient aucun dommage en lien avec les suspicions de malfaçons.
8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'à la suite de l'intervention de by-pass gastrique, un écoulement purulent par l'orifice cutané latéral gauche du redon a été constaté et a conduit le chirurgien à pratiquer une nouvelle intervention le 7 octobre 2012 mettant en évidence une malfaçon technique de l'anastomose jéjuno-jéjunale qui, lors de sa manipulation, va s'ouvrir " spontanément permettant l'évacuation de plus de 2 litres de bile en rétention dans l'anse biliaire distendue ". Par suite, la nécessité de la réintervention du 7 octobre 2012 présente un lien de causalité direct et certain avec la faute initiale résultant de la malfaçon technique de l'anastomose jéjuno-jéjunale réalisée le 3 octobre 2012.
9. Postérieurement à cette intervention, Mme C... a présenté une fistule se manifestant par un état septique avec l'apparition d'une cellulite du flanc gauche qui fera l'objet d'une réintervention par un drainage pariétal qualifié d'insuffisant par l'expert pour permettre une régression du syndrome septique, l'expert soulignant en outre l'absence de recherche de la cause intra-abdominale de ce syndrome lors de cette réintervention. Une nouvelle intervention par laparotomie a permis de découvrir une nouvelle fistule de l'anastomose gastro-jéjunale qui sera traitée en fistulisation dirigée par intubation et drainage. L'état septique persistant a nécessité une nouvelle intervention le 19 octobre 2012 qui a été la cause d'une plaie accidentelle du grêle qui a fait l'objet d'une simple suture " discutable " selon les termes de l'expert. En effet, l'expert souligne que " les suites sont très rapidement marquées par l'apparition d'une fistule digestive au niveau de la plaie suturée " et le drainage n'est pas suivie d'amélioration. Rappelant cette chronologie, l'expert note que " durant les 13 mois de la prise en charge hospitalière, les complications infectieuses vont se succéder et elles sont de deux types. Dès le stade initial, les fistules successives sur l'anastomose gastro-jéjunale et sur le grêle vont être responsables d'une contamination de la cavité péritonéale, source de diffusion hématogène. Les germes alors rencontrés sont tous issus de la flore commensale digestive : différentes variétés de strepctocoques, d'entérocoques, de stenotrophomonas, escherichia coli. Ces infections sont la conséquence directe des différentes fistules. Se surajoutent au cours de l'évolution, notamment durant les séjours en service de réanimation des infections respiratoires caractéristiques d'infections associés aux soins, non évitables. Ces infections sont alors des épi-phénomènes surajoutés sans impact sur l'évolution ultérieure ". L'expert relève que ce sont les multiples infections graves qui ont justifié les réinterventions, l'importante antibiothérapie et sont responsables de la longueur de l'hospitalisation et de la gravité de la situation. Si l'expert précise encore que " les fistules anastomotiques après by-pass peuvent être retrouvées aussi bien au niveau de l'anastomose gastro-jéjunale que de l'anastomose jéjuno-jéjunale avec une fréquence moyenne de l'ordre de 2 % ", les préjudices présentés par Mme C... doivent être regardés comme présentant un lien de causalité direct et certain avec les manquements commis par le centre hospitalier et sont de nature à engager son entière responsabilité eu égard à la chronologie rappelée ci-dessus, à la succession de fautes médicales commises dans un court laps de temps, qui ont conduit à de nombreuses réinterventions s'inscrivant dans un contexte septique grave, et au retard fautif dans le transfert de la patiente vers un centre expert qui n'a pas permis une prise en charge précoce et adaptée de la patiente.
Sur l'évaluation des débours de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie :
10. Si la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie justifie, par un état détaillé de ses débours et une attestation d'imputabilité établie par son médecin-conseil le 17 mai 2017, avoir exposé pour le compte de son assurée, dont il est établi qu'aucune dépense de santé n'est restée à sa charge, la somme de 565 277 euros au titre des frais hospitaliers du 10 octobre 2012 au 29 novembre 2013, la somme de 358,93 euros au titre des frais médicaux, la somme de 1 467,70 euros au titre des frais pharmaceutiques, la somme de 264 euros pour les frais d'appareillage, la somme de 4 228,18 euros pour les frais de transport et qu'elle sera amenée à prendre en charge la somme de 265,16 euros au titre des frais futurs, soit un total de 571 860,97 euros, elle ne justifie pas que des frais hospitaliers auraient été engagés du 29 juillet au 2 août 2013 et ce alors que le rapport d'expertise ne fait pas état d'hospitalisation durant cette période pas plus qu'elle ne justifie des frais de transport en ambulance ou en véhicule sanitaire des 29 mai, 1er et 20 juin 2013 et ce alors que durant cette période Mme C... était prise en charge en hospitalisation à domicile. Par suite, il y a lieu de déduire du montant global sollicité la somme de 3 312 euros correspondant aux frais hospitaliers pour la période comprise entre le 29 juillet et le 2 août 2013 et la somme non contestée de 4 228,18 euros correspondant aux frais de transport en ambulance des 29 mai, 1er et 20 juin 2013.
11. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier Alpes-Leman et son assureur, la CNA Insurance Compagny Limited, sont seulement fondés à demander que la somme qu'ils ont été condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie soit ramenée de 571 860,97 euros à 564 320,79 euros. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Alpes-Léman et de son assureur la somme de 564 320,79 euros correspondant aux débours engagés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie en faveur de son assurée.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme 571 860,97 euros que le centre hospitalier des Alpes-Léman et la société CNA Insurance Compagny Limited ont été condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie par le jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble est ramenée à 564 320,79 euros.
Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier Alpes-Léman et de son assureur, la société CNA Insurance Compagny Limited, et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, au centre hospitalier Alpes-Léman, à la société CNA Insurance Compagny et à Mme C....
Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
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N° 19LY01825