Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 août 2017, et des mémoires, enregistrés le 4 mars 2019 et le 13 septembre 2019, la société Foncia l'Immobilière, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 juillet 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du préfet de l'Isère du 12 novembre 2014 lui adressant une injonction ainsi que la décision du 5 mars 2015 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de répondre à ses développements relatifs à la carence de la direction départementale de la protection des populations qui ne s'est pas assurée de l'existence des manquements avancés préalablement à la mesure d'injonction du 12 novembre 2014 ;
- le tribunal a considéré à tort que la décision a été prise par une autorité administrative compétente ;
- le délai de huit jours qui lui a été imparti pour faire valoir ses observations était insuffisant pour lui permettre de développer de façon circonstanciée ses arguments, au vu de la complexité des questions posées ; la procédure au terme de laquelle a été prise la décision contestée n'a ainsi pas respecté les exigences de l'article L. 141-1 du code de la consommation ;
- les exigences des articles L. 450-1 à L. 450-3 du code de commerce n'ont pas davantage été respectées ;
- elle a démontré l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement du loyer, justifiant l'octroi de dommages et intérêts distincts au bailleur ;
- il ressort de l'articulation des dispositions des articles L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution et L. 131-52 du code monétaire et financier que le créancier-bailleur peut réclamer à l'encontre du débiteur-locataire, outre le montant du chèque impayé, les intérêts dus au taux légal ainsi que les frais de protêt, ceux des avis donnés ainsi que les autres frais ; les sommes visées à l'article L. 131-52 du code monétaire et financier peuvent être facturées aux locataires défaillants malgré la rédaction du p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 ; de tels frais consistent simplement à garantir le paiement par le débiteur des frais de recouvrement entrepris par le créancier en conséquence d'un chèque ou un prélèvement impayé ; ainsi, cette clause n'est pas illicite au sens du p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 ;
- aucun service n'étant fourni au locataire en cas d'impayé, les frais mis à sa charge ne constituent pas une pratique commerciale trompeuse au sens du 9° de l'article L. 121-4 du code de la consommation ;
- les frais de procédure mentionnés au p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 ne concernent que les frais de procédure judiciaire et non des frais de procédure amiable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2019, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Foncia l'Immobilière ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 18 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de la consommation ;
- le code monétaire et financier ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François-Xavier Pin, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Marie Vigier-Carrière, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 12 novembre 2014, faisant suite à un contrôle sur place effectué le 18 septembre 2014 par la direction départementale de la protection des populations de l'Isère puis à une lettre de pré-injonction du 18 octobre 2014, le préfet de ce département a enjoint à la société Foncia l'Immobilière, qui exerce une activité d'administration de biens et de transaction immobilière, de mettre fin aux différentes pratiques commerciales trompeuses relevées lors du contrôle. A la suite d'un recours gracieux introduit le 13 février 2015 par la société Foncia l'Immobilière, le préfet de l'Isère a constaté, par une décision du 5 mars 2015, que la société s'était conformée à l'injonction qui lui avait été faite, à l'exception de la facturation de frais réclamés aux locataires en cas de chèque ou de prélèvement impayé, au motif qu'une telle clause est prohibée par les dispositions du p) et du i) de de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989, et a ainsi maintenu sa décision d'injonction du 12 novembre 2014 sur ce seul point. La société Foncia l'Immobilière a demandé l'annulation de la décision d'injonction du 12 novembre 2014 ainsi que celle du 5 mars 2015 rejetant partiellement son recours gracieux au tribunal administratif de Grenoble qui, par jugement du 6 juillet 2017, a rejeté sa demande. La société Foncia l'Immobilière relève appel de ce jugement et demande à la cour de faire droit à ses conclusions de première instance.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la société Foncia l'Immobilière a invoqué devant les premiers juges le fait que, préalablement à l'édiction de la mesure d'injonction du 12 novembre 2014, l'administration ne s'était pas assurée de l'existence des manquements relevés, ces éléments ne constituaient pas un moyen mais un simple argument développé dans sa requête introductive d'instance à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et présenté sous l'intitulé " sur la méconnaissance de l'article L. 141-1 du code de la consommation ", auquel le tribunal a répondu. Par suite, la société Foncia l'Immobilière n'est pas fondée à soutenir que le tribunal, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments développés à l'appui des moyens soulevés, a omis de répondre à l'un de ses moyens.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, si la société Foncia l'Immobilière a, dans sa requête sommaire, soutenu de façon elliptique que la décision d'injonction a été prise par une autorité incompétente, ce moyen, qu'elle n'a pas repris dans son mémoire ampliatif, n'est assorti d'aucune précision supplémentaire ni d'aucun élément pertinent de nature à critiquer les motifs par lesquels les premiers juges l'ont justement écarté. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs du jugement attaqué.
4. En deuxième lieu, les moyens invoqués dans la requête sommaire, tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 450-1 à L. 450-3 du code de commerce et de l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement du loyer, justifiant l'octroi de dommages et intérêts distincts au bailleur, ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Ces moyens ne peuvent, ainsi, qu'être écartés.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1-1 du code de la consommation, alors applicable : " Sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1 les pratiques commerciales qui ont pour objet : (...) 9° De déclarer ou de donner l'impression que la vente d'un produit ou la fourniture d'un service est licite alors qu'elle ne l'est pas (...) ". Aux termes de l'article L. 141-1 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- Sont recherchés et constatés, dans les conditions fixées par les articles L. 450-1, L. 450-3 à L. 450-4, L. 450-7 et L. 450-8 du code de commerce, les infractions ou manquements aux dispositions suivantes du présent code : (...) 2° Les sections 1 (...) du chapitre Ier du titre II du livre Ier ; (...) VII.- Les agents habilités à constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées aux I à III peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ces dispositions, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. (...) ".
6. Par une lettre recommandée, datée du 20 octobre 2014 et réceptionnée le 22 octobre suivant, le préfet de l'Isère a informé la société Foncia l'Immobilière de son intention de prononcer à son encontre une injonction de mettre fin à plusieurs agissements illicites et lui a indiqué qu'elle disposait d'un délai de huit jours à compter de la réception de ce courrier pour présenter ses observations. Si le délai ainsi imparti à la société requérante pour présenter ses observations a été bref, il ressort des pièces du dossier qu'en l'espèce, compte tenu de la nature des agissements relevés et de la circonstance que la société avait fait l'objet le 4 février 2014, soit quelques mois auparavant, d'un avertissement au sujet en particulier de sa pratique de facturation de frais annexes aux locataires, ce délai a été suffisant pour permettre à la société Foncia l'Immobilière de présenter des observations utiles. D'ailleurs, cette dernière a adressé le 30 octobre 2014 un courrier circonstancié répondant aux griefs qui lui étaient reprochés et que le préfet a analysé dans la décision d'injonction du 12 novembre 2014. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence de respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les dispositions de l'article L. 141-1 du code de la consommation doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 de la loi du 6 septembre 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 : " Est réputée non écrite toute clause : (...) i) Qui autorise le bailleur à percevoir des amendes ou des pénalités en cas d'infraction aux clauses d'un contrat de location ou d'un règlement intérieur à l'immeuble ; (...) p) Qui fait supporter au locataire des frais de relance ou d'expédition de la quittance ainsi que les frais de procédure en plus des sommes versées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ; (...) ". Aux termes de l'article L. 131-52 du code monétaire et financier : " Le porteur peut réclamer à celui contre lequel il exerce son recours : 1. Le montant du chèque non payé ; 2. Les intérêts à partir du jour de la présentation, dus au taux légal applicable en France ; 3. Les frais de protêt, ceux des avis donnés, ainsi que les autres frais. ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution : " (...) Les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier, sauf s'ils concernent un acte dont l'accomplissement est prescrit par la loi au créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire. Cependant, le créancier qui justifie du caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer sa créance peut demander au juge de l'exécution de laisser tout ou partie des frais ainsi exposés à la charge du débiteur de mauvaise foi. ".
8. Le préfet de l'Isère a relevé, à la suite du contrôle effectué sur place, que la société Foncia l'Immobilière faisait apparaître, dans le détail de ses prestations de gestion locative, la facturation de frais d'un montant forfaitaire, fixé à la somme de 39,78 euros, à la charge du locataire en cas de chèque ou de prélèvement impayé, pouvant s'analyser soit comme une pénalité infligée au locataire défaillant, prohibée en application du i) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989, soit comme des frais de procédure qui ne peuvent être mis à la charge du locataire en application du p) du même article.
9. D'une part, la société requérante fait valoir que les dispositions du p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 ne font pas obstacle à l'application des dispositions combinées de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution et de l'article L. 131-52 du code monétaire et financier, qui permettent au créancier, en l'occurrence le bailleur, de réclamer au locataire débiteur, outre le montant du chèque impayé, l'ensemble des frais engendrés par cette situation. Toutefois, alors que l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution met à la charge du créancier les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire, les dispositions précitées de l'article L. 131-52 du code monétaire et financier, qui au demeurant concernent les seuls défauts de paiement par chèque et non les situations de rejets de prélèvement opérés sur les comptes des locataires, ne trouvent à s'appliquer que lorsque le porteur d'un chèque impayé a exercé le recours prévu aux articles L. 131-47 et suivants de ce code. La société Foncia l'Immobilière ne justifie cependant pas, ni même n'allègue, exercer un tel recours pour chaque chèque non payé, alors qu'elle facture de tels frais au locataire de manière systématique et avant même l'introduction d'un recours. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la clause imputant la facturation en cause au locataire trouvait son fondement dans les dispositions de l'article L. 131-52 du code monétaire et financier.
10. D'autre part, la société requérante soutient que les frais dont il s'agit ne constituent pas des frais de procédure au sens du p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 mais ont pour seul objet de garantir le paiement, par le locataire défaillant, des frais de recouvrement mis à la charge du créancier. Toutefois, la société Foncia l'Immobilière ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance que cette somme forfaitaire et facturée préalablement à toute procédure de recouvrement correspondrait à des frais réellement occasionnés au créancier. Dès lors, en l'absence de précision apportée par la société requérante sur la nature des frais en question, le préfet de l'Isère n'a pas, en estimant qu'ils entraient dans le champ des clauses réputées non écrites au sens du p) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989, qui concerne tous types de procédures, inexactement qualifié les faits de l'espèce.
11. En dernier lieu, alors que ni le barème de gestion locative de la société Foncia l'Immobilière ni aucune autre pièce ne précise la finalité de la somme forfaitaire décrite au point 8, la facturation de tels frais a eu pour effet de donner l'impression, tant d'ailleurs au locataire qui aurait vu son chèque ou prélèvement revenir impayé et auquel cette somme est mise à la charge, qu'au bailleur, de bénéficier, en contrepartie, d'un service tenant aux diligences effectuées par l'administrateur de biens en vue du recouvrement de la somme impayée. Dès lors qu'une telle facturation est, ainsi qu'il a été dit précédemment, illicite, le préfet de l'Isère a pu, sans entacher sa décision d'une erreur de droit, estimer qu'elle était constitutive d'une pratique commerciale réputée trompeuse au sens des dispositions du 9° de l'article L. 121-1-1 du code de la consommation citées au point 5.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Foncia l'Immobilière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Foncia l'Immobilière est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Foncia l'Immobilière et au ministre de l'économie et des finances. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Drouet, président de la formation de jugement,
Mme Caraës, premier conseiller,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
F.-X. Pin
Le président,
H. DrouetLe greffier,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 17LY03084
mv