Par requête, enregistrée le 29 septembre 2021, présentée pour M. D..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2101368 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 3 septembre 2021 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté susmentionné ;
3°) d'enjoindre au préfet, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui permettre de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d'une demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision a été prise par une autorité incompétente et il n'est pas justifié que les agents ayant procédé à l'examen de sa demande d'asile avaient reçu délégation pour solliciter les autorités allemandes ;
- la décision de transfert est insuffisamment motivée ; elle est intervenue en méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013/UE ;
- à défaut de démarches effectuées par les autorités allemandes pour procéder à un transfert de sa demande d'asile ou son éloignement dans le délai prévu par l'article 29 du règlement n° 604/2013/UE, les autorités françaises sont redevenues responsables de sa demande d'asile ;
- la décision de transfert méconnaît les stipulations de l'article 17 du règlement n° 604/2013/UE et celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par mémoire, enregistré le 4 novembre 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 10 novembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant azerbaïdjanais né le 25 novembre 1993 à Aghdas, déclare être entré irrégulièrement en France le 11 mars 2021, afin de solliciter l'asile. La consultation du fichier européen EURODAC a fait alors apparaître que M. D... avait été identifié en Allemagne où il avait sollicité l'asile le 27 avril 2017 et le 20 décembre 2019. Les autorités allemandes, saisies le 30 avril 2021, sur le fondement de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 6 mai 2021. Par un arrêté du 10 juin 2021 le préfet du Rhône a ordonné la remise de M. D... aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. D... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, la décision en litige a été signée par M. B... C..., adjoint au chef du pôle régional Dublin, qui a reçu délégation à cet effet par arrêté du préfet du Rhône du 25 mai 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre, le 15 mars 2021, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue turque, que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités allemandes méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et les garanties du droit d'asile.
5. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, M. D... a bénéficié d'un entretien le 15 mars 2021 avec un agent du service compétent de la préfecture du Puy-de-Dôme, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené. M. D... a signé le résumé qui a été fait de cet entretien, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne lui a pas été remis. Il ne peut, dès lors, se prévaloir de ce qu'il n'aurait pas été informé du droit de consulter la copie de ce résumé. Un entretien ne revêtant pas le caractère d'une décision administrative, il est sans incidence sur sa régularité que l'agent de la préfecture qui l'a conduit soit titulaire d'une délégation de signature tandis que son habilitation et sa qualification résultent de son affectation au service chargé du traitement des demandes d'asile et de son appartenance à un corps de la fonction publique lui donnant vocation à instruire de telles demandes sous l'autorité du préfet. Il suit de là que le moyen tiré des irrégularités qui entacheraient la procédure d'instruction de l'arrêté de transfert au regard de l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des copies des accusés de réception DubliNet produites par le préfet que les autorités allemandes ont effectivement été saisies, le 30 avril 2021, d'une demande de reprise en charge de M. D... et qu'elles ont accepté leur responsabilité le 6 mai 2021.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 précité : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) ; 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit-mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 9 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 : " Il incombe à l'État membre qui, pour un des motifs visés à l'article 29, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, ne peut procéder au transfert dans le délai normal de six mois à compter de la date de l'acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée, ou de la décision finale sur le recours ou le réexamen en cas d'effet suspensif, d'informer l'État responsable avant l'expiration de ce délai. À défaut, la responsabilité du traitement de la demande de protection internationale et les autres obligations découlant du règlement (UE) n° 604/2013 incombent à cet État membre conformément aux dispositions de l'article 29, paragraphe 2, dudit règlement ".
8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif, statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision, a été notifié à l'administration. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. L'expiration du délai prolongé a pour conséquence que l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
9. La demande de M. D... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Allemagne. Ce délai, qui n'était pas expiré à la date du jugement attaqué, a recommencé à courir à compter de la notification au préfet du Rhône du jugement de ce tribunal en date du 3 septembre 2021, et ce délai n'est pas davantage expiré à celle du présent arrêt. Dès lors, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la France est devenue l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile.
10. En quatrième lieu, aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
11. En application des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
12. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
13. La décision de transfert en litige vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 18. Elle indique que la consultation du fichier européen Eurodac avait révélé que M. D... avait été identifié en Allemagne où il avait sollicité l'asile le 27 avril 2017 et le 20 décembre 2019 et que les autorités allemandes, saisies le 30 avril 2021, sur le fondement de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 6 mai 2021. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et comporte la base légale sur laquelle elle est fondée.
14. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement européen n° 604/2013: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) " Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile.
16. M. D... fait valoir que les autorités allemandes ont rejeté sa demande d'asile et qu'en cas de transfert vers l'Allemagne, il sera reconduit en Azerbaïdjan où il encourt des risques pour sa vie, eu égard à la situation sanitaire et sécuritaire précaire dans son pays. Toutefois, d'une part, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Allemagne des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir, le cas échéant, devant les autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile et qui ont accepté sa reprise en charge, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Azerbaïdjan ni que ces mêmes autorités, en conséquence de leur acceptation de la reprise en charge de M. D..., n'évalueront pas de nouveau, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé vers son pays d'origine, les risques auxquels il y serait exposé en cas de retour. Par suite, quand bien même une première demande d'asile a été rejetée par l'Allemagne, le 18 juin 2019, le préfet n'a méconnu ni l'article 17 du règlement n° 604/2013, ni l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en décidant de le transférer vers ce pays. Il n'a pas davantage méconnu l'article 53-1 de la Constitution ni entaché la décision en litige d'erreur manifeste d'appréciation en n'examinant pas à titre dérogatoire la demande d'asile de M. D....
17. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de la requête aux fins d'injonction et celles de son conseil tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2022.
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N° 21LY03175