Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 juin 2019 et le 19 décembre 2019 (non communiqué), Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il limite à 6 316 euros outre intérêts, capitalisés, la condamnation de la CCI de Grenoble ;
2°) de porter la condamnation de la CCI de Grenoble à la somme de 26 272 euros, dont 16 272 euros assortis des intérêts au taux légal à compter 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle, en indemnisation de la minoration de sa pension de retraite, résultant du défaut de versement des parts patronales et salariales des cotisations de retraite complémentaire de la tranche T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO ;
3°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- sa requête, qui contient une critique du jugement attaqué, est recevable ;
- en s'estimant exemptée de cotiser à la tranche T2, alors qu'il s'agit d'une obligation découlant de l'article 52 du statut général et en différant illégalement la titularisation des contractuels occupant un emploi permanent, ce qui aurait eu pour effet de leur ouvrir droit à ce régime de retraite complémentaire, la CCI de Grenoble a commis des fautes intentionnelles et discriminatoires de nature à justifier une indemnisation ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, ne saurait lui être opposée la prescription quadriennale, le décompte des délais ne devant être effectué, non pas à la liquidation de sa pension de retraite, mais à la date où le dommage apparaît dans toute son étendue, c'est-à-dire à la connaissance de l'existence de la créance, en juin 2015 ;
- la créance doit être liquidée depuis son affectation sur un emploi permanent, le 1er octobre 1985, ou a minima depuis le 31 décembre 1997, date à laquelle elle aurait dû être titularisée en vertu des articles 1er et 2 du statut et le nouveau régime de rémunération des agents non titulaires aurait dû être fixé en application de l'article 50 ter de l'arrêté du 25 juillet 1997 ;
- ce préjudice financier, caractérisé par la perte d'une fraction de pension actuellement servie, présente un caractère certain ;
- il est calculé d'après le nombre de points perdus à partir du 1er octobre 1985, soit 515, multipliés par la valeur du point à la date de liquidation de sa pension, soit 1,2513 euros ; la minoration de la pension de retraite ainsi obtenue est multipliée par 21,9 correspondant au nombre d'années d'espérance de vie à soixante-deux ans, âge de son départ à la retraite à taux plein, soit 16 272 euros ;
- ce préjudice intègre la part salariale qui a donné lieu à paiement d'impôt sur le revenu ;
- le mauvais vouloir du défendeur lui a causé un préjudice moral de 10 000 euros.
Par mémoire enregistré le 27 novembre 2019, la CCI de Grenoble, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement n° 1604997 lu le 11 avril 2019 en ce qu'il la condamne à verser à Mme A... la somme de 6 316 euros et de rejeter la demande indemnitaire présentée au tribunal par celui-ci, subsidiairement de limiter sa condamnation à la somme de 6 363 euros ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête, dépourvue de critique du jugement, n'est pas motivée ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et est entaché d'omission à statuer sur les arguments appuyant l'exception de forclusion ;
- le caractère délibéré de la faute est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité ;
- la créance litigieuse est prescrite en application des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968, l'appelante ne pouvant être regardée comme l'ayant ignoré légitimement en raison de la publication du statut général dont l'article 52 met à la charge des CCI le paiement des cotisations de retraite complémentaire, lesquelles ne figuraient pas sur les bulletins de paie ce qui permettait de relever l'anomalie de la situation ;
- subsidiairement, Mme A... n'ayant été titularisée qu'au 1er janvier 1999, elle ne répondait pas à la condition posée par l'article 2 du règlement de prévoyance sociale pour bénéficier d'une affiliation avant cette date ; la part salariale doit être déduite ;
- le préjudice moral n'est établi ni dans son principe ni dans son montant.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;
- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;
- le règlement intérieur de l'assemblée des chambres françaises de commerce et de l'industrie, des chambres de commerce et de l'industrie de région, des chambres de commerce et de l'industrie territoriales et des groupements inter-consulaires, approuvé le 5 mars 1997 et modifié, en dernier lieu, par délibération de la commission paritaire nationale adoptée le 5 mars 1997, approuvé par arrêté du 25 juillet 1997 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
- le règlement de prévoyance sociale et de retraite du personnel administratif des chambres de commerce homologué par arrêté ministériel du 25 mai 1956, modifié, en dernier lieu, le 17 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Arbarétaz, président ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me C... pour Mme A..., ainsi que celles de Me D... pour la CCI de Grenoble ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée sous contrat, le 1er octobre 1985, par la CCI de Grenoble pour exercer des fonctions de gestionnaire à temps plein. Elle a été titularisée au 1er janvier 1999, a démissionné le 21 janvier 2012 et a fait valoir ses droits à la retraite à taux plein, le 1er avril 2014. Alertée par la voie syndicale de ce que son employeur ne s'était pas acquitté de la part patronale (2/3 de la cotisation) et n'avait pas non plus collecté la part salariale (1/3 de la cotisation) afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire à laquelle étaient affiliés les personnels d'encadrement statutaires des chambres de commerce, Mme A... a présenté, en mai 2016, une demande d'indemnisation de la perte de pension de retraite qu'elle subissait. Le 7 juillet 2016, le président lui a indiqué que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'ARRCO, gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période postérieure au 1er janvier 2011 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance prétendument née antérieurement à 2011. Mme A... relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a limité à 6 316 euros outre intérêts, capitalisés, la condamnation de la CCI de Grenoble à l'indemniser de la perte de sa pension ayant résulté de son défaut d'affiliation pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2010. La CCI de Grenoble relève appel incident du jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser ladite somme.
Sur l'appel de Mme A... et l'appel incident de la CCI de Grenoble :
En ce qui concerne la recevabilité de l'appel de Mme A... et la régularité du jugement condamnant la CCI de Grenoble :
2. En premier lieu, la requête de Mme A..., qui contient une critique des motifs du jugement dont il est relevé appel, répond aux exigences de motivation de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée en défense au surplus des conclusions de la requête doit être écartée.
3. En second lieu, alors qu'il indemnise la perte de pension telle qu'elle a été liquidée en avril 2014, le tribunal n'expose pas les éléments qui l'ont conduit à prononcer une condamnation de 6 316 euros. Il suit de là que la CCI de Grenoble est fondée à soutenir que le jugement attaqué, qui ne répond pas aux exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative, n'est pas motivé et doit être annulé en tant qu'il la condamne à verser à Mme A... la somme de 6 316 euros.
4. Il y a lieu, pour la cour, d'évoquer la demande de condamnation présentée par Mme A... à hauteur de 6 316 euros et d'examiner le surplus de la demande par la voie de l'effet dévolutif de l'appel.
En ce qui concerne le fond du litige :
S'agissant de la faute de la CCI de Grenoble :
5. La CCI de Grenoble ne conteste pas avoir méconnu les dispositions de l'article 52 du statut général susvisé et du règlement de prévoyance sociale susvisés qui lui faisaient obligation de collecter les cotisations de la tranche T2 liquidée sur la part de traitement excédant le plafond du régime général, pour les reverser à l'ARRCO (devenue l'AGIRC-ARRCO) afin d'assurer la retraite complémentaire des personnels d'encadrement statutaire, catégorie dont relevait 6 316 euros pour une partie de sa carrière. Elle doit donc répondre des conséquences dommageables de cette faute.
6. Toutefois et d'une part, en admettant que Mme A... ait eu vocation, à raison de la permanence de ses fonctions, à être titularisée avant le 1er janvier 1999, elle ne l'a été qu'à cette date si bien qu'au regard des articles 2 et 52 du statut, la CCI n'a pu commettre de faute en ne l'affiliant pas à un régime dont elle ne relevait pas antérieurement. Il suit de là que la CCI ne doit répondre des conséquences de la faute analysée au point 5 qu'à compter du 1er janvier 1999 et que la demande de Mme A... tendant à la perte de pension inhérente à l'absence d'affiliation au régime de retraite complémentaire pour la période du 1er octobre 1985 au 31 décembre 1998, qu'elle chiffre à 7 251 euros, doit d'ores et déjà être rejetée.
7. Enfin, l'engagement de la responsabilité pour faute - qui vise à indemniser la victime du dommage, non à en sanctionner l'auteur - est conditionné par le caractère réel, direct et certain des chefs de préjudice découlant de cette faute, sans égard à l'intention de l'employeur public. Le mauvais vouloir que Mme A... impute à la CCI de Grenoble est, dès lors, sans incidence sur le montant de la condamnation susceptible d'être prononcée au titre de la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2010 demeurant en litige.
S'agissant du préjudice financier afférent à la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2010 :
8. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'État (...), et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ", et aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) ".
9. Contrairement à ce que soutient la CCI de Grenoble, une créance telle que celle dont se prévaut Mme A... ne se rattache pas à chaque année au titre de laquelle les cotisations de retraite complémentaire sont dues mais à l'année au cours de laquelle le préjudice est connu dans toute son étendue, c'est-à-dire celle de la cessation d'activité et de liquidation des droits à pension. La pension de Mme A... ayant été liquidée en 2014, celle-ci a saisi, dans le délai de quatre ans décompté depuis le 1er janvier 2015, son débiteur d'une demande d'indemnisation. Il suit de là que l'exception de forclusion opposée en défense doit être écartée.
10. En outre, si au cours de la période d'affiliation, la CCI de Grenoble n'était tenue de n'acquitter que les deux-tiers des cotisations, sa faute a privé Mme A..., qui a perdu la qualité de cotisante depuis qu'elle est retraitée, de la faculté de reconstituer la totalité de ses droits en rachetant le tiers qu'elle aurait dû financer pendant sa période d'activité. Il suit de là que l'indemnité due par la CCI de Grenoble doit être réduite, non pas d'un tiers mais du montant des prélèvements qui auraient dû être opérés sur le traitement de Mme A... et que celle-ci a néanmoins perçus.
11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le préjudice indemnisable de Mme A... doit être liquidé sur la base du nombre de points qu'elle n'a pu acquérir en raison de sa non affiliation à la tranche T2 ARRCO entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2010, soit 286 selon le décompte non contesté qu'elle produit, multipliés par la valeur du point à la date de liquidation de sa pension, soit 1,2513 euros. Le montant de pension de 357,87 euros ainsi obtenu, représentatif de ce que Mme A... aurait annuellement perçu si elle avait été affiliée, doit être multiplié par le nombre d'années d'espérance de vie moyenne d'une femme, soit 25,5 à soixante-deux ans, âge de sa cessation d'activité. De ce produit, qui s'élève à 9 126 euros, doit être déduite la somme de 1 506,78 euros (arrondie à 1 507 euros) correspondant à la part salariale des cotisations que n'a pas acquittées Mme A... et qu'elle a perçues avec ses traitements, soit (selon le tableau de calcul des droits produit en défense) 109,31 euros (717 francs) en 1999, 112,05 euros (735 francs) en 2000, 113,42 euros (744 francs) en 2001, 124 euros en 2002, 121 euros en 2003, 131 euros en 2004, 138 euros en 2005, 136 euros en 2006, 127 euros en 2007, 124 euros en 2008, 121 euros en 2009 et 150 euros en 2010. La somme que la CCI de Grenoble doit être condamnée à verser à Mme A... s'élève, en conséquence, à 7 619 euros. En vertu des articles 1343-1 et 1343-2 du code civil, elle sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, date de réception par le débiteur de la première demande de paiement, et de la capitalisation de ces intérêts au 12 septembre 2017, puis à chaque échéance annuelle.
S'agissant du préjudice moral :
12. Les démarches accomplies auprès de l'employeur pour qu'il répare les conséquences de ses erreurs de gestion sont constitutives de désagréments, non de lésions à la santé, à la dignité ou à l'honneur. Il suit de là que Mme A... n'établit pas la réalité du préjudice moral qu'elle allègue avoir subi et qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation qu'elle chiffre à 10 000 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le jugement attaqué doit être annulé en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble à verser à Mme A... la somme de 6 316 euros et en ce qu'il rejette la demande de Mme A... à hauteur de la somme totale de 7 619 euros, d'autre part, que la CCI de Grenoble doit être condamnée à verser à Mme A... la somme de 7 619 euros outre intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017, puis à chaque échéance annuelle, enfin, que le surplus de la demande présentée devant le tribunal par Mme A... doit être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance exposés par Mme A.... Les conclusions présentées par la CCI de Grenoble, partie perdante, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604997 du tribunal administratif de Grenoble lu le 11 avril 2019 est annulé, en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble à verser à Mme A... la somme de 6 316 euros est annulé.
Article 2 : La CCI de Grenoble est condamnée à verser la somme de 7 619 euros à Mme A....
Article 3 : La condamnation prononcée à l'article 2 portera intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance anniversaire.
Article 4 : La partie du jugement n° 1604997 du tribunal administratif de Grenoble lu le 11 avril 2019 que n'annule pas l'article 1er est réformée en ce qu'elle a de contraire aux articles 2 et 3 du présent arrêt.
Article 5 : La CCI de Grenoble versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 25 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
N° 19LY02251 2