Par requête enregistrée le 6 mars 2020, la société Shonky, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, ainsi que la décision du 15 mars 2017 lui ayant infligé une amende de 3 600 euros, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige devra être annulée compte tenu de l'inconventionnalité des dispositions législatives nationales qui en constituent le fondement ;
- les obligations de déclaration et de vérification préalable des conditions de détachement portent une atteinte excessive à la libre prestation des services et méconnaissent l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la vérification préalable de la déclaration de détachement ne relève pas des exigences administratives et mesures de contrôle prévues au a) du 1 de l'article 9 de la directive d'exécution du 15 mai 2014 ;
- la déclaration préalable de détachement imposée aux employeurs constitue une formalité supplémentaire alors que le régime de l'attestation de détachement prévu par le code des transports est moins contraignant que le régime de la déclaration préalable de détachement ;
- la procédure de vérification préalable de la déclaration de détachement résultant des dispositions du code du travail excède ce qui est nécessaire pour prévenir les abus auxquels peut donner la mise en oeuvre de la liberté de prestation de service et pour poursuivre l'objectif de protection des travailleurs ;
- l'obligation de conservation et de présentation sans délai des documents requis par un représentant domicilié en France n'est ni justifiée ni proportionnée ;
- les dispositions du code du travail alors en vigueur en ce qu'elles exigeaient de la société Dimov Logistivs Ltd la désignation d'un représentant domicilié en France en mesure de produire sans délai les documents requis sur demande des autorités françaises étaient incompatibles avec la libre prestation de service et le second manquement reproché à cette société concernant l'absence de désignation d'un représentant sur le territoire national ne saurait être retenu pour ce motif ;
- la sanction en litige est disproportionnée et les premiers juges se sont mépris sur leur degré de contrôle.
Par mémoire enregistré le 29 octobre 2020, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ;
- la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me A..., substituant Me B..., pour la société Shonky ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Shonky, société de droit français, a fait appel à la société Dimov Logistic Ltd, société de droit bulgare qui a détaché deux salariés pour une activité de montage de cloisons en panneaux sandwich sur un chantier de construction d'un bâtiment d'élevage avicole à Saint-Eugénie de Villeneuve (43230). Lors d'un contrôle le 27 juillet 2016, les services de la DIRECCTE d'Auvergne - Rhône Alpes ont constaté que la société Dimov n'avait pas procédé à une déclaration de détachement ni désigné un représentant sur le territoire national. Par décision AA 37/2017 du 15 mars 2017, a été infligée à la société Shonky une amende administrative liquidée au tarif unitaire de 900 euros par salarié concerné pour manquement à son obligation de vigilance pour un montant total de 3 600 euros. La société Shonky relève appel du jugement lu le 31 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation ou à la réduction de cette sanction.
2. D'une part, qu'aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail, pris pour la transposition de la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : 1° soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France (...) ". Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du même code : " I. - L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II. - L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article L. 1262-1 du même code : " Le donneur d'ordre (...) qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, (...) le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation (...) Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration ". Aux termes des dispositions de ce décret, codifiées à l'article R. 1263-12 du code du travail : " (...) le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : a) Une copie de la déclaration de détachement transmise à l'unité départementale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (...) b) Une copie du document désignant le représentant (...) [de l'entreprise sur le territoire national]. / (...) le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".
3. D'autre part, qu'aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) ". Aux termes de l'article 9, relatif aux exigences administratives et mesures de contrôle, de la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services : " 1. Les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive 96/71/CE, pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l'Union. / À cet effet, les États membres peuvent notamment imposer les mesures suivantes : a) l'obligation, pour un prestataire de services établi dans un autre État membre, de procéder à une simple déclaration auprès des autorités nationales compétentes, au plus tard au début de la prestation de services (...), contenant les informations nécessaires pour permettre des contrôles factuels sur le lieu de travail (...) e) l'obligation de désigner une personne chargée d'assurer la liaison avec les autorités compétentes dans l'État membre d'accueil dans lequel les services sont fournis (...) 2. Les États membres peuvent imposer d'autres exigences administratives et mesures de contrôle au cas où surviendraient des circonstances ou des éléments nouveaux dont il ressortirait que les exigences administratives et mesures de contrôle qui existent ne sont pas suffisantes ou efficaces pour permettre le contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive 96/71/CE et la présente directive, pour autant qu'elles soient justifiées et proportionnées (...) ". Aux termes de l'article 12 de la même directive, relatif à la responsabilité du sous-traitant : " 1. En vue de combattre les fraudes et les abus, les États-membres peuvent (...) prendre des mesures complémentaires de façon non discriminatoire et proportionnée afin que, dans les chaînes de sous-traitance, le contractant dont l'employeur / le prestataire de service (...) est un sous-traitant direct puisse, en sus ou en lieu et place de l'employeur, être tenu responsable par le travailleur détaché pour ce qui concerne toute rémunération nette impayée correspondant au taux de salaire minimal et/ou à des cotisations à des fonds ou institutions gérés conjointement par les partenaires sociaux (...) 4. Les États membres peuvent, dans le respect du droit de l'Union et de manière non discriminatoire et proportionnée, également prévoir des règles plus strictes en matière de responsabilité dans le droit national en ce qui concerne l'étendue et la portée de la responsabilité en cas de sous-traitance [ainsi que] dans des secteurs autres que ceux visés à l'annexe de la directive 96/71/CE (...) ".
4. La société appelante soutient qu'au regard du droit de l'Union, les dispositions de l'article L. 1262-4-1, inséré dans le code du travail par la loi du 10 juillet 2014, et celles de l'article R. 1263-12 du même code relatives à l'obligation pour le donneur d'ordre ou maître d'ouvrage qui contracte avec un prestataire de services procédant au détachement de salariés, de vérifier auprès de ce dernier qu'il s'est acquitté des obligations, prévues par l'article L. 1262-2-1, d'adresser à l'administration une déclaration préalable au détachement et de désigner un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer pendant la durée de la prestation la liaison avec les agents de contrôle, en ce qu'elles prévoient que cette vérification doit intervenir, selon les termes de l'article L. 1262-4-1, avant le début du détachement et, selon ceux de l'article R. 1263-12, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, portent atteinte à la libre prestation de service.
5. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que, si une réglementation nationale imposant aux destinataires d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés par un employeur établi dans un autre État membre de contrôler, avant le début de la prestation, que l'employeur a lui-même satisfait à l'obligation déclarative qui lui également imposée par la réglementation nationale constitue une restriction à la libre prestation des services prohibée en principe par l'article 56 précité du Traité, les objectifs de protection des travailleurs détachés et de lutte contre la fraude sont au nombre des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de la justifier, et que, constituant une mesure de contrôle nécessaire au respect de ces raisons impérieuses d'intérêt général, une telle réglementation est propre à garantir la réalisation de ces objectifs.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la sanction en litige repose sur les dispositions précitées des articles L. 1262-2-1 et L. 1262-4-1 du code du travail qui imposent que la vérification instituée soit opérée avant le début de chaque détachement et, ainsi qu'il a été dit, ne méconnaissent pas, compte tenu des objectifs de protection des travailleurs détachés et de lutte contre la fraude, l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la directive du 16 décembre 1996 et ne sont pas de nature à compromettre sérieusement la réalisation des objectifs de la directive du 15 mai 2014. Par suite, la société Shonky n'est pas fondée, pour ce motif, à demander la décharge de l'obligation de payer mise à sa charge. Il y a toutefois lieu pour la cour d'examiner, comme le soutient la société appelante, la critique du quantum de la sanction, laquelle est susceptible d'emporter la décharge partielle de l'amende litigieuse.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 1264-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " La méconnaissance par (...) le donneur d'ordre d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-4-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262-2-1 ", tandis qu'aux termes de l'article L. 1264-3 de ce code : " (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 par salarié détaché et d'au plus 4 000 en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 . / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ".
8. Il résulte de ces dispositions combinées que l'obligation de vigilance mise à la charge du donneur d'ordre n'excède pas la vérification, avant début du détachement, de ce que le prestataire étranger s'est formellement acquitté de la communication à l'administration de la déclaration de détachement des salariés et de la désignation de son représentant en France. Le manquement à l'obligation de vigilance du donneur d'ordre est constitutif d'une seule incrimination qui ne saurait se dédoubler en fonction du nombre de documents non communiqués et n'est passible, par opération, que d'une seule amende dont le tarif unitaire ne peut être multiplié que par le nombre de salariés. Enfin, la matérialité du manquement est constituée au début de l'opération et, réserve faite du tarif unitaire qui doit tenir compte du comportement de l'entreprise, l'amende peut être prononcée alors même qu'une régularisation a été recherchée au cours de l'opération.
9. Il résulte de l'instruction que lors du contrôle réalisé le 27 juillet 2016, l'inspecteur du travail a constaté que la société Dimov Logistic Ltd n'ayant pas déclaré le détachement de ses deux salariés ni désigné de représentant sur le territoire français, la société Shonky avait méconnu son obligation de vigilance en négligeant de s'assurer que sa prestataire avait rempli ses obligations auprès de l'administration française ou de déclarer elle-même le détachement dans les quarante-huit heures ayant précédé le début de l'opération. Compte tenu de ce manquement ainsi reproché à la société Shonky qui a fait obstacle au contrôle de l'administration en ne procédant pas aux vérifications précitées mises à sa charge, le prononcé d'une amende au tarif unitaire de 900 euros par salarié concerné, inférieur de 65 % au plafond prévu par les dispositions précitées, est proportionné à la gravité du manquement constaté alors que sa situation financière ne peut être considérée comme critique au regard des seuls résultats de l'exercice 2015-2016. En revanche, au regard du produit de 3 600 euros liquidé par l'administration, ce tarif unitaire ne peut être regardé comme limité à 900 euros qu'appliqué à quatre salariés. Or, la société Dimov n'en a détaché que deux auprès de la société Shonky. Il suit de là que le montant de l'amende en litige doit être ramené à 1 800 euros.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Shonky est seulement fondée à soutenir que le montant de l'amende qui lui a été infligée par la décision du 15 mars 2017 doit être réduit de 3 600 à 1 800 euros et que le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand doit être réformé dans les mêmes proportions.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société Shonky d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE:
Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Shonky par la décision n° AA 37/2017 du 15 mars 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes est réduite de 3 600 euros à 1 800 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1700967 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand lu le 31 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à la société Shonky la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Shonky est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Shonky et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2021.
N° 20LY00960