Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 5 décembre 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement lu le 30 septembre 2019 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... E... présentée devant le tribunal administratif de Dijon.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur les seules déclarations de Mme B... E... alors que les pièces médicales produites par l'intéressée ne suffisent pas à établir l'agression invoquée ; le fait que les relations entre l'intéressée et un de ses collègues étaient dégradées ne permet d'accréditer la version d'aucun des deux protagonistes ; l'enquête interne menée suite à l'incident du 11 octobre 2017 n'attribue pas une responsabilité particulière dans la dégradation de cette relation ; la décision en litige n'est pas entachée d'erreur d'appréciation ; les autres moyens soulevés devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par mémoire enregistré le 7 juillet 2020, Mme B... E..., représentée par Me A... C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 22 février 2018 a été prise après un avis irrégulier de la commission de réforme compte tenu de la présence d'un seul représentant du personnel en méconnaissance de l'article 10 du décret du 14 mars 1986 et dès lors qu'il mentionne, à tort, qu'il a été rendu à l'unanimité ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée et dépourvue d'examen particulier ;
- l'agression dont elle a été victime est établie et relève de la législation sur les accidents de service ; la décision en litige est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation.
Les parties ont été informées, par lettre du 23 novembre 2020, que la cour est susceptible de substituer d'office à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, les dispositions de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 en vigueur à la date à laquelle la pathologie de Mme B... E... a été diagnostiquée.
Mme B... E... a présenté un mémoire en réponse à cette mesure d'instruction, enregistré le 7 décembre 2020 et qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me A... C..., pour Mme B... E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel du jugement lu le 30 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 22 février 2018 du préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté refusant de reconnaître au bénéfice de Mme B... E... l'imputabilité au service de l'accident survenu le 11 octobre 2017.
2. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 janvier 1983 : " I. - Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service (...). Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par (...) l'accident. (...) II. - Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions (...) en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service (...) ".
3. Les dispositions précitées sont d'application immédiate, en l'absence de dispositions contraires. Elles ont donc vocation à s'appliquer aux situations en cours, sous réserve des exigences attachées au principe de non-rétroactivité, qui exclut que les nouvelles dispositions s'appliquent à des situations juridiquement constituées avant leur entrée en vigueur. Les droits des agents publics en matière d'accident de service sont constitués à la date à laquelle l'accident est survenu. Il ressort des pièces du dossier que l'accident dont l'imputabilité au service est demandée se serait produit le 11 octobre 2017 soit postérieurement au 21 janvier 2017, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant création de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ne pouvait, par suite, fonder la décision en litige sur les dispositions de l'article 34 de la loi du 11janvier 1984.
4. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut, toutefois, substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du fondement légal sur lequel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
5. Si le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a, pour les motifs exposés au point 3, fondé, à tort, sa décision sur les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, il y a lieu de substituer à ce fondement les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 janvier 1983, dès lors que cette substitution de base légale n'a pas pour effet de priver Mme B... E... des garanties qui lui sont reconnues par la loi et que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'application de ces dispositions que dans celle de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.
6. Il ressort des pièces du dossier que si Mme B... E... soutient avoir été victime d'une agression physique et verbale commise par M. D, agent de l'éducation nationale, sur son lieu de travail le 11 octobre 2017 en début d'après-midi, les seules pièces médicales produites décrivant un traumatisme psychologique, des ecchymoses au pied gauche et une tuméfaction de l'épaule gauche entraînant une incapacité temporaire de travail de deux jours réactionnelle à des faits relatés par la patiente ne sont assorties d'aucun autre élément permettant d'établir les dires de l'intéressée quant à la réalité de l'agression ainsi commise alors que l'absence de témoin direct, les dénégations du mis en cause et l'absence de justifications avancées quant au motif de cette agression autre qu'un conflit ancien avec ce collègue, ne permettent pas de considérer les faits allégués comme établis.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a considéré que la décision du 22 février 2018 refusant de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme B... E... consécutivement au 11 octobre 2017 méconnaissait les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens invoqués par Mme B... E... devant le tribunal administratif.
9. Aux termes de l'article 12 du décret du 14 mars 1986 susvisé : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale (...) Cette commission (...) est composée comme suit : 1. Le chef de service dont dépend l'intéressé ou son représentant ; 2. Le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques ou son représentant ; /3. Deux représentants du personnel appartenant au même grade ou, à défaut, au même corps que l'intéressé (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que lors de la séance du 7 février 2018, un seul représentant du personnel a été convoqué et était présent pour participer à la commission de réforme réunie pour émettre un avis sur la demande d'imputabilité au service présentée par Mme B... E... en méconnaissance des dispositions précitées. L'équilibre de représentation entre collèges, lui-même tributaire des conditions de convocation des membres, constituant une garantie pour l'agent dont la demande d'imputabilité au service est examinée, un tel vice entache la décision en litige d'une irrégularité de nature à entraîner son annulation.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 22 février 2018 refusant de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme B... E.... Sa requête doit, en conséquence, être rejetée.
12. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement à Mme B... E... d'une somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Mme B... E... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.
N° 19LY04509