Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2018, Mme C..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 15 juin 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour à compter de la notification de l'arrêt sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le refus de séjour méconnaît les articles L. 313-11 6° et L. 511-4 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- il méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la mesure d'éloignement est illégale, par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit d'observations en défense.
Une demande de pièces complémentaires a été adressée par la Cour au préfet des Alpes-Maritimes le 7 novembre 2018.
La pièce produite par le préfet des Alpes-Maritimes le 9 novembre 2018 a été communiquée le même jour à Mme C... et la clôture de l'instruction reportée à la date de l'audience.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gougot a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 9 janvier 2018, le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté la demande de renouvellement de son titre de séjour que lui avait présentée le 16 décembre 2015, Mme C..., ressortissante nigérianne, en sa qualité de parent d'enfant français, et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme C... interjette appel du jugement du 15 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / [...] 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ". Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ces compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice desdites compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait
3. En l'espèce il ressort des pièces du dossier, et notamment du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 14 janvier 2015 que le ressortissant français qui a reconnu l'enfant de Mme C... a également reconnu vingt-sept autres enfants de dix-sept mères différentes, toutes de nationalité étrangère et ayant sollicité un droit au séjour sur le seul fondement de leur qualité de mère d'enfant français. Si cette circonstance manifeste que ces mères ont pu, grâce à la reconnaissance de paternité du même ressortissant français, prétendre au droit au séjour que leur donne le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort toutefois du même jugement que M. A... a reconnu avoir effectué vingt-et-une reconnaissances frauduleuses sur les vingt-sept recensées au moment de sa garde à vue, affirmant être le père biologique de six enfants et éventuellement le père de quatre autres, déclarations qu'il a confirmées lors de son interrogatoire de première comparution. En outre, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que lors d'une enquête diligentée le 6 octobre 2016 par les services de la police aux frontières de Nice, Mme C... a été auditionnée et a seulement déclaré aux enquêteurs qu'elle était partie du Nigéria en 2008 à destination de l'Italie où elle était restée quatre ans et où elle avait rencontré le père de son enfant en 2011 avec qui elle a déclaré avoir eu une relation sexuelle. Elle précise ensuite que s'apercevant qu'elle était enceinte, elle l'a contacté pour l'informer de sa grossesse et ce dernier lui a alors conseillé d'aller en France pour donner naissance à l'enfant ce qu'elle a fait courant 2012 ; elle indique enfin que le père s'est alors rendu à Nice pour reconnaître l'enfant. Ce faisant, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas soumis au juge des éléments précis et concordants de nature à établir que ce ressortissant français ne serait pas le père biologique de l'enfant de Mme C... né le 17 septembre 2012. Le préfet des Alpes-Maritimes n'établit donc pas le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité litigieuse. Par suite, c'est à tort qu'il a refusé le renouvellement du titre de séjour de l'intéressée sur le fondement de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se fondant sur le fait que son enfant n'était pas français.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de renouvellement de son titre de séjour en qualité de parent d'enfant français qui lui a été opposé le 9 janvier 2018, ainsi que, par voie de conséquence, de la mesure d'éloignement dont ce refus était assorti.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".
6. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution implique nécessairement le renouvellement du titre de séjour de l'intéressée en qualité de parent d'enfant français. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. La requérante a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me D....
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 15 juin 2018 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 9 janvier 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au renouvellement du titre de séjour de Mme C... en qualité de parent d'enfant français, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs sus indiqués.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me D..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C..., au ministre de l'intérieur et à Me D....
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme Gougot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.
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N° 18MA02872