Par un jugement n° 1701175 du 23 mai 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné le centre hospitalier d'Arles et son assureur, la SHAM, à verser à M. G... une somme de 443 910,85 euros et une rente annuelle de 3 364,67 euros, et à la CAMIEG une somme de 84 196,25 euros au titre des débours.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juillet 2018, le 26 septembre 2018 et le 28 décembre 2018, le centre hospitalier d'Arles et la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter les demandes indemnitaires présentées par M. G... et par la CAMIEG.
Ils soutiennent que :
- aucune faute ne peut être relevée à l'encontre de l'établissement de santé dès lors qu'un traitement antibiotique a été administré dans un délai conforme aux règles de l'art, suivant une posologie adaptée à un patient présentant une insuffisance rénale, que M. G... et son épouse ont dans un premier temps refusé de procéder à une ponction lombaire, que ce geste n'a pas été expressément critiqué par les experts, que les recommandations sur lesquelles les experts s'appuient pour reprocher l'absence de transfusion plaquettaire sont de grade C, et alors au demeurant que l'établissement ne disposait pas de plaquettes et qu'il était préférable de transférer directement le patient vers un centre hospitalier équipé ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu de tenir compte de l'état antérieur du patient, qui risquait d'entraîner une paraplégie même en l'absence de faute ; il y a donc lieu d'appliquer un taux de perte de chance, que la CRCI a d'ailleurs fixé à 80% ;
- à titre subsidiaire, M. G... ne justifie pas des frais exposés pour l'achat de matériel médical ;
- le montant de taux horaire invoqué au titre de l'assistance d'une tierce personne est surévalué ; en tout état de cause, il y a lieu de capitaliser la rente servie à ce titre non sur les tables de mortalités de la gazette du palais, mais du barème annexé à l'arrêté du 27 décembre 2011 ;
- il n'est pas justifié du surcout induit par l'adaptation du véhicule de M. G..., alors au demeurant qu'il n'établit pas qu'il nécessiterait un véhicule automatique ; à titre subsidiaire, le renouvellement s'effectuera sur une base septennale ;
- il n'est pas inapte à reprendre son activité professionnelle sous réserve d'un aménagement de poste, de sorte que l'indemnité de 5 000 euros allouée par les premiers juges est injustifiée ;
- le montant des indemnisations liées aux déficits fonctionnels temporaire et permanent est surévalué ;
- de même, le montant des indemnités sollicitées au titre du préjudice sexuel et du préjudice esthétique sont exagérément évaluées.
Par un mémoire enregistré le 27 novembre 2018, M. G..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 23 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 443 910,85 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier d'Arles en réparation de ses préjudices ;
2°) de porter à la somme de 1 683 458,35 euros le montant de l'indemnité due ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arles la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. G... fait valoir que :
- il résulte clairement du rapport d'expertise que la responsabilité du centre hospitalier d'Arles est engagée à raison de l'absence de consultation d'un spécialiste lors de son arrivée au service des urgences, de la réalisation d'une ponction lombaire sans transfusion plaquettaire préalable et postérieure ;
- en l'absence d'incidence de l'état antérieur, la perte de chance est totale ;
- il y aura lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qui concerne les sommes allouées au titre des frais divers, de l'assistance d'une tierce personne jusqu'à la date de lecture du jugement et du préjudice esthétique temporaire ;
- il y a lieu de rehausser l'indemnité allouée au titre du surplus de ses préjudices, suivant ses conclusions de première instance.
Par un mémoire enregistré le 5 mars 2019, la Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières, représentée par Me B... et Me E..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arles et de la SHAM la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ce mémoire n'a pas été communiqué (la fonction " commentaire " ne fonctionne pas). Faut-il néanmoins l'analyser '
La CAMIEG soutient que :
- le centre hospitalier d'Arles ne démontre pas l'absence de lien de causalité entre les manquements qui lui sont reprochés et les séquelles de la victime ;
- il ne démontre pas davantage la réalité d'une perte de chance ;
- il n'y a pas lieu de déduire de la somme allouée à la victime au titre du handicap la prestation de compensation du handicap.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant M. G..., et de Me E..., représentant la CAMIEG.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier d'Arles et la SHAM relèvent appel du jugement du 23 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille les a condamnés à verser à M. G... une somme de 443 910,85 euros et une rente annuelle de 3 364,67 euros en réparation des préjudices résultant de la faute commise par le centre hospitalier à l'occasion de son séjour dans cet établissement entre les 17 et 21 avril 2009, et à la CAMIEG une somme de 84 196,25 euros au titre des débours qu'elle a exposés pour son assuré. Par des conclusions d'appel incident, M. G... demande que les indemnités que le CH d'Arles a été condamné à lui payer soient élevées à la somme de 1 683 458,35 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Les moyens tirés, d'une part, de ce que le jugement attaqué n'a pas visé l'ensemble des écritures soumises au tribunal et, d'autre part, de son insuffisante motivation, doivent être écartés comme dépourvus des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. M. G..., né le 31 octobre 1953, a été adressé au centre hospitalier d'Arles le 17 avril 2009 par son médecin traitant en raison d'un syndrome fébrile accompagné de diarrhées. L'aggravation de son état neurologique le 20 avril 2009 a conduit l'équipe médicale à pratiquer une ponction lombaire qui a mis en évidence la présence de pneumocoques. En présence de douleurs lombaires le soir de cet examen et d'une paraplégie flasque des membres inférieurs constatée le lendemain, une IRM a été pratiquée le 21 avril 2009 en fin de matinée, qui a montré la présence d'un hématome intra canalaire. M. G... a alors été transféré le jour même à l'Hôpital Nord de Marseille où il a bénéficié d'une transfusion plaquettaire et a subi en urgence une laminectomie décompressive.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la CRCI, que les symptômes présentés par M. G... lors de son admission au service des urgences du centre hospitalier d'Arles (dysfonctionnements rénal, hématologique et hépatique) auraient dû conduire l'équipe médicale à solliciter l'avis d'un réanimateur ou, à tout le moins, à réaliser un remplissage vasculaire avec monitoring hémodynamique vigoureux. S'il peut, par ailleurs, être admis qu'une ponction lombaire était justifiée au regard des troubles neurologiques présentés par le patient, celle-ci n'aurait dû être pratiquée qu'après avoir procédé à une transfusion de plaquettes du fait que la numération plaquettaire de l'intéressé se situait très nettement en dessous du seuil minimum de 50 millions d'unités par litre recommandé par le consensus médical pour ce type d'exploration. A cet égard, le centre hospitalier ne peut utilement soutenir que, ne disposant pas de stock de plaquettes, il n'avait d'autre choix que de transférer le patient vers un établissement qui en était doté, puisque le transfert de M. G... vers l'Hôpital Nord de Marseille n'a été décidé que le lendemain, au vu du résultat de l'IRM qui a mis en évidence l'existence d'un hématome intra canalaire, et alors que la ponction lombaire avait été réalisée la veille de cette IRM sans qu'une telle transfusion ait été envisagée. Par ailleurs, la circonstance que les recommandations sur lesquelles se sont appuyés les experts sont de " grade C ", soit faiblement recommandées, ne suffit pas à écarter tout manquement de l'établissement de soins dès lors qu'il ne peut être sérieusement contesté qu'une numération plaquettaire insuffisante entraîne un risque hémorragique, qui s'est d'ailleurs réalisé en l'espèce. Il y a donc lieu de retenir, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, une faute à la charge du centre hospitalier d'Arles.
6. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport des experts, que l'état antérieur de M. G... (splénectomie), s'il a pu favoriser la survenue de l'infection qui a conduit à son hospitalisation, ne présente aucun rapport avec la paraplégie des membres inférieurs dont il demeure atteint, qui est la conséquence d'un syndrome de la " queue de cheval " provoqué par l'hématome intra canalaire qui s'est constitué à l'occasion de la ponction lombaire subie le 21 avril 2009. Il suit de là que le centre hospitalier d'Arles et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que même en l'absence de toute faute, M. G... aurait été exposé au risque de paraplégie du fait de son état antérieur ni, par suite, que ne devrait être indemnisée que la perte de chance de ne pas souffrir d'une paraplégie des membres inférieurs.
7. Il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a déclaré le centre hospitalier d'Arles entièrement responsable des préjudices dont M. G... a demandé réparation.
En ce qui concerne les préjudices :
8. M. G... n'apporte pas la preuve des frais qu'il allègue avoir supportés pour l'achat de matériel d'hygiène. Il n'est donc fondé à obtenir aucune indemnité à ce titre.
9. Selon les experts, M. G... devra suivre des séances de contrôle quatre fois par an chez un urologue, outre qu'il devra régulièrement se procurer du matériel pour ses auto-sondage et ses fuites inter-mictionnelles. Toutefois, il résulte de l'état de débours produit par la CAMIEG que ces frais seront pris en charge par la sécurité sociale.
10. M. G... ne peut, compte-tenu des séquelles dont il reste atteint, conduire qu'un véhicule équipé d'une boite de vitesse automatique. Il résulte des pièces qu'il a produites, à la demande de la cour, que l'installation de cet équipement sur le véhicule qu'il a acquis en 2014 a entraîné un surcout de 2 250 euros. Il y a lieu, après avoir retenu une base de renouvellement décennale, de ramener à un montant annuel la somme que devra exposer la victime, âgée de 72 ans à la date à laquelle aura lieu le premier renouvellement, et de lui appliquer le barème de capitalisation 2018 publié à la Gazette du Palais, soit 12,617. Il s'ensuit qu'il est fondé à solliciter une somme de 5 088,82 euros à ce titre.
11. M. G... produit une facture d'un montant de 11 375 euros, qu'il allègue avoir supporté pour l'aménagement de son logement. S'il produit une seconde facture du même artisan, d'un montant de 1 280 euros, elle ne liste que des prestations déjà prévues dans la première facture. Enfin, il n'établit pas que les achats dont il produit les factures auraient été effectués pour l'aménagement de son logement, alors que la facture d'un montant de 11 375 euros mentionne qu'elle comprend la fourniture du matériel.
12. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. G... a, depuis la date du jugement attaqué, besoin de l'assistance d'une tierce personne non spécialisée à raison de deux heures par jour et de l'assistance d'une tierce personne spécialisée à raison de quatre heures par jour. Pour ces périodes, l'indemnisation doit être calculée sur la base de taux horaire de 13 euros pour l'aide non spécialisée et de 18 euros pour l'aide médicalisée, déterminée en tenant compte des charges sociales, sur une base annuelle de 412 jours afin de tenir compte des congés. Ainsi, et comme l'a justement retenu le tribunal, les frais futurs liés à l'assistance par une tierce personne doivent être fixés à 40 376 euros par an, soit 3 364,67 euros par mois. Il y a lieu de décider, faute d'accord du centre hospitalier d'Arles pour verser un capital représentatif, que la réparation de ce poste de préjudice prendra la forme d'une rente annuelle.
13. Il résulte de l'instruction que M. G..., qui aurait été admis à bénéficier d'une retraite à taux plein à l'âge de soixante-et-un ans, a subi un préjudice d'incidence professionnelle, lié à l'augmentation de la pénibilité de son emploi et à sa dévalorisation sur le marché du travail. Dans ces conditions, en fixant le montant du préjudice subi à ce titre par l'intéressé à la somme de 5 000 euros, les premiers juges ont fait une appréciation insuffisante de ce préjudice. Il convient d'en porter la réparation à la somme de 10 000 euros.
14. Selon l'expert, le déficit fonctionnel temporaire de M. G..., exclusivement en lien avec les manquements médicaux mentionnés aux points précédents, a été total entre le 21 avril 2009 et le 8 février 2010, puis de 50% entre le 9 février 2010 et le 7 avril 2011, date de consolidation de l'état de santé de l'intéressé. Dès lors, M. G... n'est pas fondé à soutenir qu'en fixant le montant des indemnités allouées à ce titre à la somme totale de 8 500 euros, le tribunal administratif a insuffisamment évalué un tel préjudice.
15. M. G... a enduré des souffrances fixées au vu du rapport d'expertise à 6 sur une échelle allant de 0 à 7. Le tribunal n'a pas fait une évaluation insuffisante des préjudices subis au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées en fixant l'indemnité allouée à ce titre à la somme de 22 500 euros.
16. M. G..., âgé de cinquante-neuf ans à la date de consolidation de son état de santé, présente une incapacité permanente partielle fixée au taux de 50 % qui est imputable aux fautes commises par le centre hospitalier d'Arles. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont fixé à 85 000 euros le montant de l'indemnité due à ce titre par l'établissement de soins.
17. Le tribunal administratif a fait une appréciation insuffisante du préjudice esthétique de M. G..., fixé par les experts à 3 sur une échelle de 0 à 7, en le réparant par la somme de 2 500 euros. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de lui allouer, à ce titre, la somme de 5 000 euros.
18. M. G... ne précise pas en quoi son handicap ne lui permet plus de s'adonner à son activité de collectionneur de pièces de monnaie. S'il soutient, en outre, qu'il ne pourra s'investir au sein du club " 3ème âge " de sa commune, n'est réparée sous le poste de préjudice d'agrément que l'impossibilité de se livrer à une activité pratiquée avant la survenue des séquelles. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué.
19. Le tribunal administratif n'a pas fait une insuffisante évaluation du préjudice sexuel en allouant à l'intéressé la somme de 3 750 euros.
20. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la requête du centre hospitalier d'Arles et la SHAM doit être rejetée et, d'autre part, que M. G... est seulement fondé à demander, par la voie de l'appel incident, que l'indemnité en capital que lui a allouée le tribunal administratif de Marseille soit augmentée d'une somme de 12 588,82 euros.
Sur les frais liés au litige :
21. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier d'Arles et de la SHAM le versement à M. G... de la somme de 2 000 euros, et à la CAMIEG de la somme de 1 000 euros, au titre des frais qu'ils ont exposés.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier d'Arles et de la SHAM est rejetée.
Article 2 : L'indemnité de 443 910,85 euros au versement de laquelle le tribunal administratif de Marseille a solidairement condamné le centre hospitalier d'Arles et la SHAM est portée à la somme de 456 499,67 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel incident de M. G... est rejeté.
Article 4 : Le centre hospitalier d'Arles et la SHAM verseront une somme de 2 000 euros à M. G... et une somme de 1 000 euros à la CAMIEG, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... G..., au centre hospitalier d'Arles, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme H..., présidente assesseure,
- M. D..., conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.
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N° 18MA03483