Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2018, M. B..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 novembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 20 novembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ladite astreinte courant pendant un délai de trois mois au terme duquel elle pourra être liquidée et une nouvelle astreinte fixée, et de lui délivrer, durant cet examen, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
s'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle comporte une formulation stéréotypée s'agissant du motif opposé à sa demande ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 alinéa 1-7 de l'accord franco-algérien ;
s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est privée de base légale à raison de l'illégalité de la décision de refus d'admission au séjour ;
s'agissant de la décision portant refus d'accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité algérienne, relève appel du jugement du 9 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 novembre 2017 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien susvisé : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays ". L'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...) / Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) ". L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... présente un état séquellaire neurologique lié à une méningite tuberculeuse développée en 2013 avec hydrocéphalie, paraparésie et troubles sphinctériens, notamment urinaires. Selon les pièces médicales produites par l'intéressé, la prise en charge de ces troubles sphinctériens urinaires nécessite, outre la pratique de six " auto-sondages " quotidiens, l'injection périodique de toxine botulique intra vésicale, à raison d'une injection tous les six mois. Il ressort des énonciations du certificat médical établi le 5 août 2016 par le docteur Ben Naoum, praticien au centre hospitalier universitaire de Nîmes, que la prise en charge de M. B... ne peut être assurée totalement en Algérie, son pays d'origine. Le docteur Haddad, médecin généraliste qui le suit, a indiqué dans un certificat médical daté du 30 novembre 2017 qu'à sa connaissance, le traitement par injections de toxine botulique n'était pas disponible en Algérie. Un rapport médical rédigé par le docteur Badsi Douniazede, chef du service de neurologie de l'établissement hospitalier universitaire d'Oran, postérieurement à l'avis rendu le 9 octobre 2017 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, indique que les injections de toxine botulique intra vésicale ne peuvent être réalisées en Algérie. Par un certificat médical daté du 4 décembre 2017, le docteur Ben Othman, praticien à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, indique qu'il suit M. B... pour une " vessie neurologique " nécessitant un suivi régulier, avec " risque de sepsis urinaire et d'insuffisance rénale si non suivi ", en mentionnant le besoin d'injections de toxine botulique à intervalles réguliers, tous les six mois. Un certificat médical daté du 10 décembre 2017 émanant de l'établissement public de santé de proximité de Etablissements de santé Senia en Algérie fait état de la non disponibilité de toxine botulique intra vésicale dans ce pays et relève que le retour en Algérie de M. B... aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité au regard de son pronostic vital ou des complications que ce retour provoquerait. Enfin par un certificat médical en date du 17 décembre 2017, le docteur Ali Bazzi exerçant au sein de l'établissement hospitalier universitaire d'Oran indique que les injections de toxine botulique ne sont pas disponibles en Algérie.
5. Le préfet des Bouches-du-Rhône, qui s'est abstenu de produire un mémoire en défense devant la Cour, n'apporte dans l'instance aucun élément de nature à faire regarder les assertions médicales rapportées par M. B... comme dénuées de tout fondement. Contrairement à ce qu'a estimé l'autorité préfectorale dans ses écritures de première instance, les pièces nouvelles produites devant le tribunal par l'intéressé, dont le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas eu connaissance, sont de nature à contrarier l'avis médical rendu par ce dernier. Dans ces conditions, l'appelant est fondé à soutenir que le préfet a entaché l'arrêté querellé d'erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 6 alinéa 1-7 de l'accord franco-algérien.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
8. Il y a lieu, eu égard aux motifs de l'annulation des décisions contestées, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande présentée par M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E... de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 novembre 2018 et l'arrêté du 20 novembre 2017 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Me E..., sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- Mme D..., première conseillère,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 décembre 2019.
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N° 18MA05238
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