2°) de condamner la commune de La-Tour-sur-Orb à lui verser la somme de 2 362 405,10 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de La-Tour-sur-Orb la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est subrogée dans les droits de la victime en application de l'article L. 121-12 du code des assurances ;
- la responsabilité de la commune est engagée du fait d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public que constitue la voie communale ;
- le lien de causalité entre le dommage et celui-ci est établi ;
- l'accident n'a pas été provoqué par un heurt avec le véhicule conduit par son assurée ;
- ni le fait de son assurée, qui a la qualité de tiers, ni la faute de la victime ne peuvent lui être opposées ;
- les préjudices dont elle demande l'indemnisation sont établis.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet et le 21 novembre 2018, ainsi que le 19 juin 2019, la commune de La-Tour-sur-Orb, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par Groupama Méditerranée ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les pièces produites par Groupama Méditerranée le 7 juin 2019 sont irrecevables, dès lors qu'elles ne sont pas numérotées ;
- Groupama Méditerranée ne justifie pas être subrogée dans les droits de la victime et de la caisse de sécurité sociale à hauteur de sa demande ;
- les moyens soulevés par Groupama Méditerranée ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, qui n'a pas produit de mémoire.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué faute pour le tribunal d'avoir respecté l'obligation de mettre en cause l'organisme social auquel la victime est affiliée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la cour a désigné Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant Groupama Méditerranée.
Considérant ce qui suit :
1. Groupama Méditerranée fait appel du jugement du 2 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis par Mme A...à la suite d'un accident survenu le 17 juillet 2014.
Sur la recevabilité de certaines pièces produites par Groupama Méditerranée :
2. Les intitulés des fichiers de pièces transmis par Groupama Méditerranée via l'application Télérecours le 7 juin 2019 comportent un numéro d'ordre correspondant à celui affecté aux pièces concernées dans l'inventaire détaillé transmis par la même application. La commune de La-Tour-sur-Orb n'est en conséquence pas fondée à soutenir que ces pièces seraient irrecevables en application de l'article R. 414-3 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
3. L'assureur de l'auteur d'un dommage ayant indemnisé la victime d'un accident de circulation par une transaction peut saisir la juridiction administrative d'un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la personne tenue d'y répondre sur le fondement du régime de responsabilité pour dommages de travaux publics. Cette action revêt un caractère subrogatoire, l'assureur étant subrogé dans les droits de la victime par l'effet successif de la subrogation dans les droits du conducteur responsable, son assuré, et de sa subrogation dans les droits de la victime d'un dommage de travaux publics à l'encontre du maître de l'ouvrage ou de la personne devant répondre de son entretien. L'action ainsi engagée doit être regardée, au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, comme une action de la victime. Par suite, il incombe au juge administratif, saisi d'une telle action, de mettre en cause les caisses de sécurité sociale auxquelles la victime est ou était affiliée. En l'absence de communication de la demande introduite par Groupama Méditerranée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, caisse de sécurité sociale à laquelle Mme A...est affiliée, le tribunal administratif de Montpellier a statué à l'issue d'une procédure irrégulière.
4. Il y a lieu par suite d'annuler le jugement attaqué et de statuer immédiatement sur le litige par la voie de l'évocation.
Sur la subrogation de Groupama Méditerranée :
5. D'une part, l'article L. 121-12 du code des assurances dispose que : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ".
6. D'autre part, l'article 1346 du code civil prévoit que " La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. ", et l'article 1346-1 que " La subrogation conventionnelle s'opère à l'initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d'une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur. / Cette subrogation doit être expresse. / Elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n'ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens ".
7. Groupama Méditerranée a payé la somme de 142 857,99 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et celle de 1 365 527 euros à Mme A...par des indemnités provisionnelles puis par une transaction signée le 26 mai 2017. Elle est subrogée dans les droits de son assurée à concurrence de ces montants en application des dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances, puis dans les droits respectifs de la caisse et de la victime en application de celles des articles 1346 et 1346-1 du code civil.
Sur la responsabilité :
8. Il résulte de l'instruction que le 17 juillet 2014, MmeA..., qui circulait à pied au niveau de la rue du Pont-Levis, dans le hameau de Boussagues, pour mener un groupe de visiteurs en tant que guide bénévole, a été heurtée par le véhicule conduit par MmeC..., ainsi que cela ressort en particulier de l'audition des témoins présents lors de l'enquête pénale conduite par la gendarmerie nationale. Elle a fait une grave chute en contrebas.
9. La portion de voie publique en question, où circulent en double sens les véhicules et les piétons, d'une largeur comprise entre 2,70 et 3,20 mètres, surplombe un vide de 2,70 mètres. Du fait de son étroitesse, elle revêt un caractère dangereux lorsqu'un véhicule y croise un ou plusieurs piétons. L'absence d'un dispositif de protection adapté, tel qu'un parapet ou un muret, - auquel la présence de quelques végétaux ne peut suppléer -, constitue ainsi, dans les circonstances de l'espèce, un défaut d'entretien normal de l'ouvrage. Groupama Méditerranée est en conséquence fondée à soutenir que la responsabilité de la commune est susceptible d'être engagée à ce titre.
10. Il résulte également de l'instruction que la conductrice du véhicule n'a pas pris la précaution de ralentir dans cette rue étroite à la vue des piétons malgré les signes et cris d'avertissement des personnes présentes, ni n'a cherché à assurer une distance de sécurité suffisante entre son véhicule et ces piétons. Contrairement à ce que soutient Groupama Méditerranée, cette faute peut être opposée à l'assureur ayant indemnisé la victime pour le compte la conductrice assurée.
11. Mme A...a été surprise par le passage inopiné du véhicule et n'a pas disposé d'un délai suffisant pour réagir. Alors même qu'elle connaissait les lieux et que l'accident a eu lieu en plein jour, elle n'a pas commis de faute de nature à exonérer la commune de sa responsabilité.
12. Le heurt par le véhicule conduit par Mme C...et l'absence de dispositif de protection ont concouru ensemble à la réalisation de l'accident. Cependant, compte tenu de la gravité respective des fautes commises et du fait que le premier facteur a joué un rôle prépondérant dans la survenance du dommage, il y a lieu de retenir que la faute de la conductrice du véhicule est à l'origine de ce dommage à hauteur de deux tiers et ainsi que la responsabilité de la commune est engagée à hauteur d'un tiers du même dommage.
Sur les préjudices :
13. Il résulte de l'instruction que les dépenses de santé, selon la notification définitive des débours établie par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, se sont élevées à la somme non contestée de 142 857,99 euros.
14. L'expert nommé par Groupama Méditerranée, dont le rapport a été régulièrement communiqué à la commune, a retenu un déficit fonctionnel temporaire total du 17 juillet 2014 à la date de consolidation de l'état de santé de la victime, le 26 avril 2016, soit une période de 649 jours. Il convient d'évaluer ce préjudice à la somme de 11 000 euros.
15. Le besoin d'assistance par une tierce personne a été fixé par le même expert à huit heures de présence active et huit heures de présence passive par jour pour la période comprise entre le 17 juin et le 7 août 2015. Il y a lieu d'évaluer le préjudice subi à ce titre pour cette période sur la base d'un taux quotidien de 200 euros par jour, tenant compte du salaire minimum interprofessionnel de croissance augmenté des cotisations sociales, des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés ainsi que des congés payés, soit la somme de 10 600 euros.
16. Ce même besoin a été fixé à compter du 8 août 2015 à 6 heures par jour de présence active, auxquelles s'ajoutent deux heures et demie d'assistance par un professionnel paramédical spécialisé. Il y a lieu d'évaluer ce préjudice sur la base d'un taux quotidien de 140 euros par jour, tenant également compte des majorations de rémunération. Le préjudice doit donc être indemnisé à hauteur de la somme de 200 760 euros pour la période comprise entre le 8 août 2015 et la date du présent arrêt et à hauteur de la somme capitalisée de 612 024,70 euros pour les frais futurs compte tenu de l'âge de la victime à la même date. Groupama Méditerranée a versé à la victime un capital de 830 714 euros et a en outre prévu une rente annuelle de 46 720 euros par la transaction du 26 mai 2017, sans d'ailleurs expliciter les conditions dans lesquelles ces sommes ont été déterminées. Le versement en capital étant supérieur au montant total de l'indemnisation de ce poste de préjudice, Groupama Méditerranée n'est en tout état de cause pas fondée à demander la capitalisation de la rente qu'elle verse à la victime.
17. Les souffrances endurées ont été évaluées à 6 sur une échelle de 1 à 7. Il y a lieu de retenir à ce titre la somme de 30 000 euros.
18. Le taux du déficit fonctionnel permanent a été fixé à 80%. La victime étant âgée de soixante-dix ans à la date de consolidation, il convient d'indemniser ce préjudice à hauteur de 170 000 euros.
19. Le préjudice sexuel est présenté comme " certain compte tenu de la paraplégie, chez une dame de 70 ans ". Compte tenu de la durée de la période indemnisée après la date de consolidation, il convient de retenir à ce titre la somme de 8 000 euros.
20. Il sera fait une juste évaluation des préjudices esthétiques temporaire et permanent, évalués à 5 sur une échelle de 1 à 7, en retenant la somme de 17 000 euros.
21. Mme A...était investie dans de nombreuses activités associatives bénévoles à visée touristique et culturelle et présidait la maison des arts et traditions populaires, pour un volume horaire estimé à 60 heures par semaine. Il y a lieu d'évaluer le préjudice d'agrément, qui peut être considéré comme très important, à la somme de 20 000 euros.
22. Le handicap de Mme A...a rendu nécessaire la construction d'une maison de plain-pied comportant des aménagements adaptés. Groupama Méditerranée a indemnisé le préjudice résultant des frais d'adaptation du logement à hauteur de la différence entre le coût de cette construction et la valeur vénale de l'ancien logement de MmeA..., soit la somme de 135 558 euros. Il résulte cependant de l'instruction que la nouvelle maison offre des prestations supérieures à celles de l'ancienne habitation qui ne sont pas liées au handicap. Il sera fait une juste appréciation des frais d'adaptation du logement rendus nécessaires par le handicap de Mme A...en retenant la somme de 50 000 euros.
23. Selon un devis établi par une société spécialisée, les frais d'aménagement du véhicule au handicap de Mme A...s'élèvent à la somme de 11 271,89 euros après prise en compte d'une remise commerciale, à laquelle s'ajoute la somme capitalisée de 18 998,77 euros couvrant le renouvellement du véhicule tous les six ans à compter de l'âge de soixante-seize ans.
24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les préjudices subis par MmeA..., y compris ceux pris en charge par la caisse de sécurité sociale, doivent être évalués à la somme totale de 1 302 513,35 euros. Groupama Méditerranée est en conséquence fondée à demander la condamnation de la commune de La-Tour-sur-Orb à lui verser la somme de 434 171,12 euros après application du partage de responsabilité.
25. Groupama Méditerranée justifie avoir payé l'indemnité de 142 857,99 euros à la caisse de la sécurité sociale ainsi que des indemnités provisionnelles à la victime d'un montant total de 200 000 euros avant le 26 mai 2015, date de réception de sa demande préalable par la commune de La-Tour-sur-Orb. La faute de son assurée lui étant également opposable lors de ces paiements partiels, elle a droit aux intérêts au taux légal à compter de cette date sur le tiers des sommes déjà versées, soit 114 286 euros. Elle a en outre droit aux intérêts sur le solde de l'indemnité totale, soit 319 885,12 euros, à compter du 26 juin 2017, date de paiement de l'indemnité transactionnelle définitive. Elle a enfin droit à la capitalisation de ces intérêts, demandée en première instance, à compter des dates auxquelles ces intérêts sont dus pour une année entière, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de La-Tour-sur-Orb, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Groupama Méditerranée tant en première instance qu'en appel.
27. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 2 mars 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La commune de La-Tour-sur-Orb est condamnée à verser la somme de 434 171,12 euros à Groupama Méditerranée.
Article 3 : La somme de 114 286 euros portera intérêts à compter du 26 mai 2015. Les intérêts échus à la date du 26 mai 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : La somme de 319 885,12 euros portera intérêts à compter du 26 juin 2017. Les intérêts échus à la date du 26 mai 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : La commune de La-Tour-sur-Orb versera à Groupama Méditerranée la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée (Groupama Méditerranée), à la commune de La-Tour-sur-Orb, à Mme E...A...et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2019, où siégeaient :
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- MmeF..., première conseillère,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique le 11 juillet 2019.
Le rapporteur,
signé
S. MERENNE
La présidente,
signé
K. JORDA-LECROQLa greffière,
signé
C. MONTENEROLa République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
7
N° 18MA02037