Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2015, Mme C..., représentée par Me Chabbert-Masson, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 novembre 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Gard du 12 mai 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un certificat de résidence dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, d'ordonner au préfet de procéder au réexamen de sa situation sous les mêmes conditions d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préfet a commis une erreur de droit en lui opposant la condition de communauté de vie qui n'est prévue que pour un renouvellement de certificat de résidence ;
- le préfet ne pouvait se fonder sur un jugement de divorce rendu au terme d'une procédure dont elle n'avait pas été informée et contraire à la conception française de l'ordre public international ;
- elle remplit les conditions pour se voir délivrer un certificat de résidence en application des stipulations de l'article 6, 2° de l'accord franco-algérien ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- l'illégalité de la décision portant refus de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2016, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 février 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laso ;
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.
1. Considérant que Mme C..., ressortissante algérienne, née le 6 mai 1995, a sollicité, le 21 août 2014, sur le fondement de l'article 6 2° de l'accord franco-algérien, la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention "vie privée et familiale" ; que, par un arrêté du 12 mai 2015, le préfet du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que Mme C... relève appel du jugement du 5 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement de certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France (...). Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 2° Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. / (...) / Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2° ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux " ;
3. Considérant que les jugements rendus par un tribunal étranger relatifs à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes ; qu'il incombe à l'autorité administrative de tenir compte de tels jugements, dans l'exercice de ses prérogatives, tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une déclaration d'inopposabilité ; que, saisi dans son domaine de compétence d'un litige portant sur des questions relatives à l'état et la capacité des personnes, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opposabilité en France d'un jugement rendu en cette matière par un tribunal étranger ; que, si elles s'y croient fondées, les parties peuvent saisir le juge judiciaire qui est seul compétent pour se prononcer sur l'effet de plein droit de tels jugements ; qu'il appartient toutefois à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C... a épousé M. A..., de nationalité française, le 15 mai 2013 en Algérie ; que ce mariage a été transcrit sur les registres de l'état civil français le 19 février 2014 ; qu'elle est entrée régulièrement en France le 15 mai 2014 munie d'un visa de long séjour portant la mention "famille de français" valable du 6 mai au 1er novembre 2014 ; que suite à des violences conjugales ayant donné lieu à un dépôt de plainte le 24 juillet 2014, classée sans suite par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nîmes le 26 novembre 2014, elle a quitté le domicile conjugal ; qu'elle a sollicité, le 21 août 2014, la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention "vie privée et familiale" sur le fondement de l'article 6 2° de l'accord franco-algérien ; que, constatant que la vie commune n'existe pas depuis le mois de juillet 2014 et qu'un jugement de divorce a été rendu le 24 novembre 2014 à la demande de M. A... par le tribunal de Merouana (Algérie), le préfet du Gard, par un arrêté du 12 mai 2015, a rejeté la demande de l'intéressée ;
5. Considérant, d'une part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante ait obtenu, à l'expiration de son visa, un premier certificat de résidence sur le fondement des stipulations du 2 de l'article 6 de l'accord franco-algérien ; que pour prendre l'arrêté contesté, le préfet du Gard s'est fondé sur la circonstance que la communauté de vie avait cessé entre les époux en juillet 2014 ; que, toutefois, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que soit délivré à la requérante, en application des stipulations de l'article 6 2° de l'accord franco-algérien, un premier certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ; qu'en retenant ce motif, le préfet du Gard a méconnu les stipulations de l'article 6 2° de l'accord franco-algérien ;
6. Considérant, d'autre part, que, pour prendre l'arrêté contesté, le préfet du Gard s'est également fondé sur le motif de la dissolution des liens conjugaux prononcée par un jugement du tribunal de Merouana du 24 novembre 2014 ; que la requérante conteste la régularité internationale de ce jugement en ce qu'elle n'a pas eu connaissance de celui-ci et en ce qu'il serait contraire à l'ordre public international méconnaissant le principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, lequel est garanti par l'article 5 du protocole n° 7 du 27 novembre 1984 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande en divorce a été introduite auprès de la juridiction algérienne par l'époux, qui est de nationalité française, de Mme C... alors que cette dernière se trouvait en France ; que ce jugement qui constate la dissolution du mariage, laquelle doit être regardée comme une répudiation unilatérale et discrétionnaire de l'intéressée par la seule volonté de son mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme, est contraire à la conception française de l'ordre public international et au principe d'égalité des époux lors de cette dissolution, sans qu'y fassent obstacle les circonstances invoquées par le préfet tirées de ce que Mme C... a été régulièrement convoquée devant le tribunal, que la demande n'a pas été déclarée abusive, que le mari a été condamné au versement de la pension de viduité et qu'elle n'a pas contesté cette décision ; que le préfet du Gard ne pouvait dès lors se prévaloir de ce jugement pour estimer que, le mariage étant dissous, Mme C... n'était plus en droit de bénéficier des stipulations de l'article 6 2° de l'accord franco-algérien ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;
9. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation de l'arrêté contesté retenu au point 6 et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à Mme C... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Gard de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Considérant que Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chabbert-Masson, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chabbert-Masson de la somme de 1 200 euros ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1502178 du 5 novembre 2015 du tribunal administratif de Nîmes et l'arrêté du 12 mai 2015 du préfet du Gard sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard de délivrer à Mme C... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me Chabbert-Masson la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2016 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Laso, président-assesseur,
- Mme D...première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 décembre 2016.
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15MA04725