Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2019, la société Transboat International Development, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 février 2019 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de la décharger, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2007 à 2010 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er décembre 2007 au 31 décembre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance.
Elle soutient que :
- l'administration qui n'a pas rapporté la preuve de l'existence d'une activité occulte ne pouvait vérifier l'année 2007 prescrite, ni procéder par voie de taxation d'office ;
- l'administration a indiqué dans la proposition de rectification avoir fait appel à l'assistance administrative sans mentionner la teneur des documents qu'elle aurait obtenus par cette voie, en méconnaissance de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ;
- l'administration ne démontre pas qu'elle disposait en France d'un établissement stable, de sorte qu'elle ne peut être regardée comme exploitant une entreprise en France au sens du I de l'article 209 du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Transboat International Development ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement CE/1798/2003 du Conseil du 7 octobre 2003 ;
- la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Transboat International Development, créée en 2005 et domiciliée au Portugal, a pour objet social la réalisation de prestations de services de transport maritime. Elle a pour gérants MM. D... et A..., qui résident en France. La SARL Transboat France, créée en janvier 2008, est domiciliée à Cannes et a également M. D... pour gérant. Elle a pour objet la représentation commerciale de sociétés françaises et étrangères dans le domaine maritime. A la suite d'opérations de visite et de saisie réalisées le 19 avril 2011 dans les locaux de la SARL Transboat France à Cannes, au domicile de M. et Mme D... à Cannes et de M. A... à Mougins, autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Grasse sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a considéré que la société Transboat International Development exerçait son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par la SARL Transboat France et a procédé à une vérification de comptabilité de cet établissement au titre de la période du 31 mai 2005 au 31 décembre 2010. A la suite de ce contrôle, par une proposition de rectification du 17 décembre 2012, la société Transboat International Development a été assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2007 à 2010 et à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er décembre 2007 au 31 décembre 2010. L'administration a mis en oeuvre la procédure de taxation d'office en raison du caractère occulte de l'activité exercée en France, en l'absence d'immatriculation de la société portugaise au registre du commerce et des sociétés et de dépôt de ses déclarations de résultats et de chiffre d'affaires, sur le fondement des 2° et 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. Les rectifications ont été assorties de la majoration de 80 % pour activité occulte prévue au c de l'article 1728-1 du code général des impôts. Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 24 mars 2014, pour un montant total de 1 506 458 euros. Par un jugement du 11 février 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la société Transboat International Development tendant à la décharge de ces impositions ainsi que des pénalités correspondantes. La société Transboat International Development relève appel de ce jugement.
Sur le lieu d'imposition de la société Transboat International Development :
En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
2. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 7 de la convention franco-portugaise du 14 janvier 1971 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même convention fiscale : " 1. (...) l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : (...) c) Un bureau (...) ". Il résulte de ces stipulations que, pour être regardée comme ayant un établissement stable en France, une société ayant son siège social au Portugal doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d'ailleurs qu'il résulte des paragraphes 32.1 et 33 des commentaires au modèle de convention établi par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société portugaise, décide de transactions que la société portugaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent.
4. Il ressort des constatations opérées, lors des saisies effectuées en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, que de nombreux documents, factures, bons de livraisons et courriers au nom de la société Transboat International Development, mentionnant une adresse et des numéros de téléphone et de télécopie correspondant à ceux de la SARL Transboat France, ont été retrouvés, dans les locaux de cette dernière situés au 12 rue Lépine à Cannes et que la secrétaire de la SARL Transboat France apparaît également sur des documents au nom de la société Transboat International Development, sa rémunération ayant, au surplus, pu être payée par la société portugaise. En outre, M. D..., qui a son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts, et dont le nom apparaît sur l'ensemble des documents au nom de la société Transboat International Development ainsi que sur les supports publicitaires, compétent pour conduire les négociations commerciales avec les propriétaires, les locataires de bateaux, et les autres partenaires commerciaux, disposait notamment d'une procuration sur le compte bancaire de la société Transboat International Development, ouvert en France. Il n'est en outre pas contesté que sa seule rémunération résulte du versement de dividendes et d'avances sur dividendes en provenance de la société Transboat International Development. La SARL Transboat France fait, néanmoins, valoir qu'elle ne peut être regardée comme exploitant une activité habituelle en France au profit de la société Transboat International Development, dès lors qu'elle intervient seulement comme mandataire sur la base d'un " contrat de représentation " conclu le 7 janvier 2008, afin de réaliser des prestations de publicité pour le compte de la société de droit portugais lors des grands évènements de nautisme et lui trouver des propriétaires de bateau dans le but de leur proposer une immatriculation dans la zone franche de Madère dont toutes les formalités sont accomplies par la société Transboat International Development. Toutefois, outre que ce document a été conclu par la société Transboat Madeira, ce qui ne correspond ni à la dénomination actuelle de la société requérante, ni à celle qui était la sienne jusqu'au 8 janvier 2008 (Transboat Transportes Maritimos LDA), en l'absence de tout autre document de nature à authentifier l'existence d'un tel contrat, celui-ci ne présente pas de valeur probante dès lors qu'il n'a fait l'objet d'aucun enregistrement.
Par ailleurs, la société appelante soutient que M. D... étant le gérant des deux sociétés, la mention de son nom sur les factures établies par les deux sociétés ne permet pas de démontrer que la SARL française n'aurait pas d'activité propre ou que M. D... ne travaillerait, lorsqu'il est en France, que pour la société de droit portugais alors que la SARL Transboat France exploite une activité propre indépendante de celle pour laquelle elle représente la société de droit portugais. Cependant, les justificatifs produits des déplacements au Portugal de M. D... n'établissent pas que les activités de prestations auraient été effectuées depuis le Portugal. De même, les bulletins de salaire de M. H..., occupant un poste de commercial au sein de la société portugaise et dont l'activité n'a pas besoin d'infrastructures particulières, ne permettent pas d'établir l'existence de locaux professionnels au Portugal alors que le siège social de la société Transboat International Development correspond au domicile de M. I... F..., associé gérant de la société Boatrust qui offre à Transboard International Development des services de gestion administrative et de comptabilité. Dès lors les documents produits par la société appelante ne permettent pas d'établir l'existence de moyens matériels et humains au Portugal.
5. Il résulte de ce qui précède que, l'administration fiscale doit être regardée comme démontrant que la société Transboat International Development exerce en France une activité par l'intermédiaire d'un établissement autonome, au sens de l'article 209-1 du code général des impôts. Elle établit également, par ces mêmes éléments, qu'elle dispose en France d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens de la convention franco-portugaise, dont les bénéfices sont imposables en France.
En ce qui concerne l'assujettissement à la TVA :
6. Il résulte des dispositions de l'article 259 du code général des impôts, dans sa version antérieure à la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 comme dans sa version issue de celle-ci, qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée, le lieu des prestations de services est situé en France lorsque le prestataire dispose en France d'un établissement stable à partir duquel le service est rendu.
7. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, au cours de la période vérifiée, la société Transboat International Development a bien disposé, en France, d'un établissement stable à partir duquel ses services ont été réalisés. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a soumis les redevances litigieuses à la taxe sur la valeur ajoutée française, sur le fondement des dispositions de l'article 259 du code général des impôts.
Sur la régularité du recours à la procédure de taxation d'office :
8. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ".
9. Il résulte de ce qui précède que la société requérante, qui exerçait une activité en France, n'a pas souscrit les déclarations auxquelles elle était tenue. Elle n'établit pas, ni même n'allègue, que l'absence de respect de cette obligation résulterait d'une erreur de sa part. Par conséquent, l'administration était en droit de mettre en oeuvre à son endroit la procédure de taxation d'office sur le fondement du 2° de l'article L. 66 s'agissant de l'impôt sur les sociétés, sans avoir à procéder à une mise en demeure en application de l'article L. 68 du même livre, en raison du caractère occulte de cette activité, et du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, s'agissant de la TVA.
Sur la régularité de la procédure de taxation d'office :
10. L'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dispose que : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ".
11. La proposition de rectification du 17 décembre 2012 adressée à la société Transboat International Developement, à l'issue de la vérification de comptabilité, comporte, en application des dispositions précitées, l'indication selon laquelle, dans le cadre de l'assistance administrative internationale, prévue pour l'échange d'information aux dispositions des articles 5 et 19 du règlement CE/1798/2003 du Conseil du 7 octobre 2003, les autorités portugaises ont informé le service vérificateur, à sa demande, du contenu des statuts de la société. Dans ces conditions, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne l'a pas informée de la teneur et de l'origine des renseignements obtenus.
Sur la prescription des impositions afférentes à l'année 2007 :
12. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour (...) l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce (...) ". Aux termes de l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts (...). / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible conformément au 2 de l'article 269 du code général des impôts (...) lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ".
13. Il résulte des dispositions précitées que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre Etat et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Transboat International Development n'a ni fait connaître son activité auprès d'un centre de formalités des entreprises ni déposé les déclarations qu'elle était tenue de souscrire du fait de son activité. Par conséquent, en l'absence de tout autre élément, l'administration fiscale a pu à bon droit regarder l'activité qu'elle exerçait comme une activité occulte. Par suite, en application de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, le délai de reprise n'était pas expiré s'agissant de l'année d'imposition 2007.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Transboat International Development n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les frais de justice :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Transboat International Development au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Transboat International Development est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transboat International Development et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, où siégeaient :
- Mme G..., présidente de la Cour,
- Mme C..., présidente assesseure,
- Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 février 2021.
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N° 19MA01775
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