Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée au greffe de la Cour le 11 février 2015 et des mémoires complémentaires enregistrés le 9 septembre 2015 et le 22 décembre 2015, M. C..., représenté par Me Ruffel, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes en date du 2 octobre 2014 ;
2°) d'annuler les décisions litigieuses ;
3°) d'enjoindre au préfet du Gard de faire droit à sa demande de regroupement familial et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 196 euros, au bénéfice de Me Ruffel, en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire, enregistré le 22 m ai 2015, et un mémoire complémentaire enregistré le 1er décembre 2015, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la décision refusant le bénéfice du regroupement familial au requérant est parfaitement motivée en fait et en droit ;
- le requérant ne justifiant pas de revenus suffisants, le regroupement familial sollicité au regard des articles L. 411-1 et L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pouvait être refusé ; la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'épouse du requérant et ses quatre enfants vivent au Maroc ; si le requérant fait état de problèmes de santé, il ne justifie ni du besoin permanent de l'assistance d'une tierce personne, ni du caractère indispensable de la présence de son épouse à ses côtés ; le requérant n'établit pas l'aggravation de son état de santé qui pourrait justifier sa demande de regroupement familial en 2012.
Par une décision en date du 13 janvier 2015, M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Sur sa proposition, le rapporteur public, désigné par le président de la Cour en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative, a été dispensé de prononcer des conclusions à l'audience en application de l'article R. 732-1-1 du même code par le président de la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Markarian,
- et les observations de Me B..., substituant Me Ruffel pour M. C....
1. Considérant que M. C..., ressortissant marocain, présent en France depuis 1980 et titulaire d'une carte de résident valable dix ans, a présenté, le 7 juin 2012, au préfet du Gard une demande de regroupement familial au profit de son épouse ; que, par une décision en date du 27 décembre 2012, le préfet du Gard a opposé un refus à cette demande au motif que M. C... ne remplissait pas les conditions de ressources prévues par les dispositions de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que M. C... relève appel du jugement du 2 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : (...) 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel (...) " et qu'aux termes de l'article R. 411-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'au cours de la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial qu'il a présentée en faveur de son épouse, M. C... a disposé, hors l'allocation de solidarité aux personnes âgées prévue à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et exclue, par les dispositions de l'article L. 411-5 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des ressources prises en compte dans la détermination des ressources stables et suffisantes permettant de satisfaire aux conditions du regroupement familial, de ressources dont la moyenne mensuelle est inférieure à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période ; qu'ainsi, M. C... ne justifiant pas de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de son épouse, le préfet du Gard a pu légalement refuser, au vu des dispositions précitées au point 2, de faire droit à la demande de regroupement familial dont il était saisi ;
4. Considérant que si, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées relatives au regroupement familial, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
6. Considérant que le requérant, qui est né en 1945, vit en France depuis 1980 et est titulaire d'une carte de résident de dix ans ; que si ses ressources mensuelles sont insuffisantes ainsi qu'il a été dit précédemment pour être prises en compte au titre du regroupement familial, le requérant a été victime en 2008 d'un accident vasculaire cérébral, dont il conserve des séquelles, son état de santé s'étant d'ailleurs encore aggravé puisqu'il est atteint d'une hémopathie maligne soignée au service oncologie du centre hospitalier universitaire de Nîmes ; que, compte tenu de son état de santé, le requérant peut aspirer de manière légitime à avoir son épouse à ses côtés de manière permanente ; que le préfet du Gard ne peut d'ailleurs rejeter toute atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au motif que le requérant aurait attendu l'année 2012 pour solliciter une première mesure de regroupement familial ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le requérant est fondé à soutenir que la décision litigieuse a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et est intervenue, par suite, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que cette décision doit, par suite, être annulée ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision par M. C... ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Considérant que cette annulation implique nécessairement, compte tenu de son motif et en l'absence au dossier de tout élément indiquant que la situation du requérant et de son épouse se serait modifiée en droit ou en fait, la délivrance de l'autorisation de regroupement familial demandée ; qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Gard de délivrer cette autorisation dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Considérant que M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ruffel, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ruffel de la somme de 1 196 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1302348 du tribunal administratif de Nîmes en date du 2 octobre 2014 ainsi que la décision du préfet du Gard en date du 27 décembre 2012 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision par M. C... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard de délivrer l'autorisation de regroupement familial demandée par M. C... au profit de son épouse dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 196 (mille cent quatre-vingt-seize) euros à Me Ruffel au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me Ruffel et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré à l'issue de l'audience du 21 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bédier, président de chambre,
- Mme Paix, président assesseur,
- Mme Markarian, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 février 2016.
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N° 15MA00566