Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 avril 2015, M.E..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 décembre 2014 ;
2°) d'annuler la décision susvisée du préfet de l'Hérault ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui accorder le bénéfice du regroupement familial en faveur de son épouse dans un délai d'un mois, ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 35 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement contesté est irrégulier dès lors qu'il ne vise pas son mémoire complémentaire du 10 juillet 2013 en violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- le tribunal administratif a dénaturé les faits de l'espèce en estimant que le préfet de l'Hérault n'avait pas commis d'erreur de droit en rejetant la demande de regroupement au seul motif que Mme E...résidait déjà en France ;
- le préfet a commis une erreur de droit dès lors que l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit une simple possibilité d'exclure du regroupement familial la personne résidant en France et non une cause d'irrecevabilité, que le préfet n'a pas examiné la demande au regard des critères de l'article L. 411-5 du même code, et qu'en tout état de cause la demande devait être instruite et motivée au regard de sa situation personnelle et familiale ;
- les premiers juges ont estimé à tort que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'était pas méconnu, alors qu'il vit en France depuis trente-deux ans avec ses trois plus jeunes fils également titulaires de cartes de résidents, est invalide avec un taux d'incapacité supérieur à 80 %, et a demandé à plusieurs reprises le regroupement familial en vain alors que son épouse habitait au Maroc ;
- la décision de refus, qui n'analyse notamment pas les critères fixés par l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est insuffisamment motivée ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation en refusant le regroupement alors qu'il remplit les conditions de logement et de ressources prévues par l'article L. 411-5, que son épouse vivait seule au Maroc, et qu'il a besoin d'elle en raison de son état de santé ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie familiale et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 octobre 2015, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement contesté, qui vise le mémoire complémentaire du requérant, n'est pas entaché d'irrégularité ;
- l'épouse de M. E...est entrée en France au plus tard le 1er décembre 2011, par conséquent la demande de regroupement familial faite à son égard n'était plus recevable selon les articles L. 411-1 et L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. E...ne pouvait se prévaloir de l'article L. 411-6 pour faire bénéficier son épouse du regroupement familial dès lors qu'elle était déjà présente sur le territoire français, ainsi le tribunal n'a pas dénaturé les faits de l'espèce ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu, dès lors que le couple a vécu séparé pendant une longue période, que son épouse pouvait attendre au Maroc la réponse à la demande de regroupement familial, que les pièces produites n'attestent pas du caractère indispensable de la présence de Mme E...auprès de son époux, ni de ce que celui-ci ne pourrait pas bénéficier d'un traitement dans son pays d'origine ;
- pour les mêmes motifs, aucune erreur d'appréciation n'entache la décision de refus, prise après un examen particulier de la demande de M.E... ;
- il n'y a pas lieu en toute hypothèse de mettre une quelconque somme à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Un courrier du 5 octobre 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 février 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience par un avis d'audience adressé le 22 décembre 2015 portant clôture d'instruction immédiate en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
Le rapport de Mme Hameline a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. A...E..., ressortissant marocain résidant sur le territoire français sous couvert d'une carte de résident d'une durée de validité de dix ans, a sollicité le 1er avril 2011 auprès de la préfecture de l'Hérault le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse Mme B...E...; que le silence de l'administration sur sa demande durant un délai de six mois a fait naître une décision implicite de rejet le 1er octobre 2011 en application de l'article R. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le préfet de l'Hérault a pris le 23 juillet 2012 une décision expresse qui s'est substituée à la précédente, et a refusé d'autoriser le regroupement familial sollicité le 1er avril 2011 ; que M.E..., après avoir obtenu l'aide juridictionnelle, relève régulièrement appel du jugement du 4 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus du 23 juillet 2012 ;
2. Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement contesté ;
Sur la légalité de la décision du préfet de l'Hérault du 23 juillet 2012 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans " ; qu'aux termes de l'article L. 411-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : / (...) / 3° Un membre de la famille résidant en France " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français des membres de la famille bénéficiaires de la demande ; qu'il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit du demandeur de mener une vie familiale normale ;
4. Considérant qu'il ressort des termes de la décision attaquée du 23 juillet 2012 que, pour refuser à M. E...le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, le préfet de l'Hérault s'est exclusivement fondé sur la circonstance que Mme E...résidait déjà en France depuis au moins le 1er décembre 2011, en relevant que la " demande de regroupement familial en sa faveur, concernant son introduction en France pour rejoindre son époux depuis son pays d'origine au sens de l'article L. 411-1 du code susvisé " n'était " donc pas recevable " et qu'ainsi l'intéressé ne remplissait pas " les conditions requises permettant de réserver une suite favorable à sa demande " ; que, si la présence en France de l'épouse du requérant pouvait, le cas échéant, constituer un motif de refus du regroupement familial en application des dispositions précitées de l'article L. 411-6, il appartenait toutefois au préfet de l'Hérault, qui n'était pas en situation de compétence liée, de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment des incidences de son refus sur la situation personnelle et familiale de M. E...au regard du droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en se bornant à constater dans sa décision que la demande de M. E... n'était " pas recevable " du seul fait de la présence en France à cette date de l'épouse de ce dernier, le préfet de l'Hérault s'est, à tort, estimé lié par le séjour irrégulier de l'intéressée sur le territoire français pour rejeter la demande dont il était saisi, et a ainsi méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges à cet égard, le simple visa par la décision en litige des " conclusions de l'enquête de l'OFII et de la commune de son domicile " n'est pas de nature à démontrer que le préfet aurait exercé son pouvoir d'appréciation en l'espèce au regard notamment de la vie privée et familiale du requérant, alors que cette enquête n'est d'ailleurs mentionnée qu'en tant qu'elle fait ressortir le séjour de Mme E... sur le territoire français rendant la demande irrecevable ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. E...est fondé à soutenir que la décision du préfet de l'Hérault du 23 juillet 2012 portant refus de sa demande de regroupement familial est entachée d'erreur de droit ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Considérant que le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, que le préfet de l'Hérault accorde à M. E...le bénéfice du regroupement familial en faveur de son épouse ; qu'il implique en revanche que l'administration se prononce à nouveau sur la demande présentée par le requérant, en l'absence de toute circonstance nouvelle portée à la connaissance de la Cour qui y ferait obstacle ; qu'il y a, dès lors, lieu d'enjoindre au préfet de l'Hérault de se prononcer à nouveau sur la demande de regroupement familial présentée par M. E...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant que M. E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du préfet de l'Hérault, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme de 1 500 euros à Me C..., conseil de M. E...; que conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, le recouvrement en tout ou partie de cette somme vaudra renonciation de l'intéressée à percevoir, à due concurrence, la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1300090 du 4 décembre 2014 et la décision en date du 23 juillet 2012 par laquelle le préfet de l'Hérault a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. E...au profit de son épouse sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par M. E...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à MeC..., conseil de M.E..., une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'intéressée renonçant à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions présenté par les parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., à Me D...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie pour information en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2016, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- Mme Hameline, premier conseiller,
- Mme Marchessaux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 février 2016.
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N° 15MA01398