Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 25 août 2015, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 juin 2015 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2012 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 400 euros à verser à Me B... qui s'engage à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- les dispositions du 7° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
- l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;
- la décision du préfet est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par lettre du 24 octobre 2016, la Cour a informé les parties qu'elle était susceptible, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de fonder sa décision sur les moyens d'ordre public tirés, d'une part, de la méconnaissance du champ d'application de la loi, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'il concerne le droit au séjour sur le fondement du travail, ne s'appliquant pas aux ressortissants tunisiens et, d'autre part, de ce que le pouvoir discrétionnaire de régularisation dont dispose le préfet des Bouches-du-Rhône doit être substitué à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comme base légale du refus d'admission exceptionnelle au séjour opposé à M. A... en qualité de salarié.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne signé à Tunis le 28 avril 2008 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Paix.
1. Considérant que M. A..., de nationalité tunisienne, a bénéficié de contrats en qualité de travailleur saisonnier pour des durées variables de quatre à six mois entre 1993 et 2012 ; qu'il demande à la Cour d'annuler le jugement du 16 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus que le préfet des Bouches-du-Rhône a opposé le 27 décembre 2012 à une nouvelle demande de titre de séjour ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au jour de la décision attaquée : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. " et qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. A..., qui a bénéficié depuis 1993 de vingt procédures d'introduction de travailleur saisonnier dont trois ont été prolongées pour une durée de huit mois en 1993, 1994 et 1995, ne conteste pas être retourné à l'issue de chacun de ses contrats de travail dans son pays d'origine où résident son épouse et ses deux enfants ; que, par ailleurs, il ne fait pas valoir d'insertion particulière en France ; que dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a rejeté le moyen tiré par l'intéressé de la violation des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes raisons, le refus de séjour n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 sur le fondement du troisième alinéa de cet article peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 341-7-2 du code du travail, dans sa version issue du décret n° 84-169 du 8 mars 1984, abrogé par le décret n° 2007-801 du 11 mai 2007 : " Le contrat d'introduction de travailleur saisonnier visé par les services du ministre chargé du travail donne à son titulaire le droit d'exercer l'activité professionnelle salariée qui y est portée pendant sa durée de validité chez l'employeur qui a signé ce contrat. La durée totale du ou des contrats saisonniers dont peut bénéficier un travailleur étranger ne peut excéder six mois sur douze mois consécutifs. Un même employeur ne peut être autorisé à recourir à un ou des contrats de main-d'oeuvre saisonnière visés à l'article 1er pour une période supérieure à six mois sur douze mois consécutifs. Le décompte est effectué pour chaque établissement d'une même entreprise. A titre exceptionnel, l'employeur peut être autorisé à conclure des contrats saisonniers d'une durée maximum totale de huit mois sur douze mois consécutifs sous la double condition que ces contrats concernent des activités de production agricole déterminées, pour lesquelles cette mesure répond à des exigences spécifiques et que l'employeur intéressé apporte la preuve qu'il ne peut faire face à ce besoin par le recrutement de main-d'oeuvre déjà présente sur le territoire national " ; qu'il résulte enfin des dispositions en vigueur depuis le 26 juillet 2006 de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article R. 5221-23 du code du travail, que la durée pendant laquelle un étranger peut occuper un ou plusieurs emplois saisonniers ne peut excéder six mois par an ;
5. Considérant que, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 précité n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée ; que, dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien régit les règles de délivrance des titres de séjour pour une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 au sens de l'article 11 de cet accord ; que, toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône ne pouvait légalement examiner et rejeter la demande de M. A... en se fondant sur la circonstance que ce dernier ne remplissait pas les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 313-14 susmentionné au titre d'une activité salariée ; que, toutefois, il est possible de substituer à cette base légale erronée celle tirée du pouvoir, dont dispose le préfet, de régulariser ou non la situation d'un étranger, dès lors que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation que lorsqu'elle examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
7. Considérant que M. A... soutient que son contrat de travailleur saisonnier a été illégalement prolongé à trois reprises ; que, toutefois, cette circonstance, eu égard à l'ancienneté de ces dérogations intervenues de 1993 à 1995, ne saurait constituer une considération humanitaire ou un motif exceptionnel justifiant la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de salarié ; que, dans ces conditions, le préfet n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation en refusant d'user du pouvoir de régularisation discrétionnaire dont il dispose ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bédier, président,
- Mme Paix, président assesseur,
- M. Haïli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.
5
N° 15MA03575