Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2018, M. et Mme B..., représentés par la SCP Delplancke - Lagache - Marty - Pozzo di Borgo - Rometti et associés, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 31 mai 2018 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la proposition de rectification du 6 mai 2013 est insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, ce qui constitue une irrégularité substantielle sanctionnée par la décharge de l'ensemble de l'imposition ;
- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ont été méconnues, cette irrégularité étant également substantielle ;
- en considérant que 1'investissement ne doit être regardé comme réalisé que lorsque les centrales photovoltaïques sont raccordées à un réseau et que le certificat du Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité (CONSUEL) a été délivré, l'administration fiscale a fait une application erronée de l'article 199 undecies B du code général des impôts ;
- ils sont fondés à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine contenue dans l'instruction 5 B-2-07 du 30 janvier 2007, selon laquelle les investissements sont réalisés lorsqu'ils sont livrés au sens de l'article 1604 du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
Le 25 avril 2019, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le tribunal administratif de Nice a omis de prononcer le non-lieu partiel à statuer résultant du dégrèvement intervenu le 26 septembre 2017, à concurrence de la somme de 1 870 euros.
Le ministre de l'action et des comptes publics a produit, le 2 mai 2019, un mémoire en réponse à ce moyen d'ordre public, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon,
- et les conclusions de M. Ouillon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B...ont bénéficié, au titre de l'année 2010, d'une réduction d'impôt sur le revenu sur le fondement de l'article 199 undecies B du code général des impôts, du fait d'investissements productifs réalisés Outre-mer par l'intermédiaire des sociétés en participation (SEP) Sunra 013, Sunra 014, Sunra 015, Sunra fluide 1136, Sunra fluide 1137, Sunra fluide 1138, dont ils sont associés. A la suite d'un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal, l'administration fiscale a remis en cause cette réduction d'impôt. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a refusé de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont ainsi été assujettis au titre de l'année 2010.
I. Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Par décision du 26 septembre 2017, postérieure à l'enregistrement de la demande de première instance, le directeur départemental des finances publiques a accordé à M. et Mme B... le dégrèvement d'une fraction des impositions mises à leur charge au titre de l'année 2010, à concurrence de la somme de 1 870 euros. Dans ces conditions, la demande de décharge présentée par M. et Mme B... était, dans cette mesure, devenue sans objet. Le jugement du tribunal administratif de Nice du 31 mai 2018, en tant qu'il a statué sur cette demande, doit, dès lors, être annulé.
II. Sur l'étendue du litige :
3. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer les conclusions de la demande de M. et Mme B... devenues sans objet au cours de la procédure de première instance ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.
III. Sur le surplus des conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations.
5. La proposition de rectification du 6 mai 2013 adressée à M. et Mme B... mentionne les textes applicables, l'impôt concerné, le montant de la réduction litigieuse, ainsi que l'année d'imposition. Elle précise également le motif pour lequel la réduction d'impôt pratiquée à raison des investissements réalisés Outre-mer a été remise en cause par l'administration, à savoir que les centrales acquises par les sociétés dans lesquelles M. et Mme B... sont associés ne peuvent être considérées comme réalisées au sens de l'article 199 undecies B du code général des impôts, dès lors qu'aucun dossier complet de raccordement au réseau public d'électricité n'a été déposé avant le 31 décembre 2010. Ce document fait également mention du droit de communication exercé auprès d'Electricité de France (EDF), à la suite duquel l'administration a été informée de ce qu'aucune demande de raccordement n'avait été déposée au 31 décembre 2010 et de ce que l'attestation de conformité du Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité n'avait pas davantage été délivrée. A cet égard, la circonstance que certaines de ces attestations ne renseignent pas la date de réception du certificat du Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité, qu'elles ne soient pas datées et aient été signées pour ordre du chef du service clientèle et commercial de la société EDF dans l'île de La Réunion sans indication du nom et de la qualité du signataire est sans incidence sur l'exigence de motivation de cette proposition de rectification. Par suite, M. et Mme B..., qui ont été mis à même de présenter utilement des observations, ne sont pas fondés à soutenir que la proposition de rectification du 6 mai 2013 était insuffisamment motivée au regard des exigences posées par les dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ". L'obligation ainsi faite à l'administration fiscale d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a utilisés pour procéder à des rectifications a pour objet de permettre à celui-ci, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée.
7. Il résulte des mentions rappelées au point 4 que l'administration a informé M. et Mme B... de la teneur et de l'origine des informations obtenues grâce au droit de communication exercé auprès de la société EDF les 31 août 2011, 27 octobre 2011, 12 et 21 février 2013. L'administration a joint en annexe de la proposition de rectification l'intégralité des documents transmis par la société EDF, permettant ainsi aux requérants d'être informés tant de l'origine que de la teneur des informations sur lesquelles elle s'est fondée pour procéder aux rectifications en litige. Par ailleurs, l'administration n'étant pas tenue d'indiquer les modalités d'exercice du droit de communication, notamment la date de la demande de communication, l'éventuelle erreur de plume commise par la société EDF quant à la date d'exercice de ce droit est sans incidence sur l'obligation d'information qui pèse sur l'administration. Enfin, la circonstance que les attestations produites par la société EDF ne soient pas datées et ne comportent pas le nom et la qualité de leur signataire n'est pas de nature à entacher la procédure d'irrégularité dès lors que ces attestations sont établies sous le timbre de la société EDF et qu'il n'est pas contesté, d'une part, que les centrales acquises par les SEP dans lesquelles ont investi les requérants et qui sont exploitées par les sociétés en nom collectif (SNC), dont les noms figurent dans les réponses de la société EDF, sont à l'origine de la réduction d'impôt remise en cause par l'administration et, d'autre part, que les dates de demande complète de raccordement au réseau électrique correspondent à ces mêmes centrales. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
8. L'article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, dispose que : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer ( ...) dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34. / (...) La réduction d'impôt est de 50 % du montant hors taxes des investissements productifs (...) /. Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux investissements réalisés par une société soumise au régime d'imposition prévu à l'article 8 (...) dont les parts sont détenues directement, ou par l'intermédiaire d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, par des contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B. En ce cas, la réduction d'impôt est pratiquée par les associés ou membres dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société ou le groupement. La réduction d'impôt prévue au premier alinéa est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé (...) ". L'article 95 K de l'annexe II au même code prévoit que : " Les investissements productifs neufs réalisés dans les départements d'outre-mer (...) qui ouvrent droit à la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies B du code général des impôts sont les acquisitions ou créations d'immobilisations corporelles, neuves et amortissables, affectées aux activités relevant des secteurs éligibles en vertu des dispositions du I de cet article " et l'article 95 Q de l'annexe II au même code : " La réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies B du code général des impôts est pratiquée, sous réserve des dispositions de la deuxième phrase du vingtième alinéa du I du même article au titre de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée par l'entreprise ou lui est livrée ou est mise à sa disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail (...) ".
9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le fait générateur de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B est la date de la création de l'immobilisation au titre de laquelle l'investissement productif a été réalisé ou de sa livraison effective dans le département d'Outre-mer. Dans ce dernier cas, la date à retenir est celle à laquelle l'entreprise, disposant matériellement de l'investissement productif, peut commencer son exploitation effective et, dès lors, en retirer des revenus. S'agissant de l'acquisition de centrales photovoltaïques données en location à des sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'énergie électrique, la date à retenir est celle du raccordement des installations au réseau public d'électricité dès lors que les centrales photovoltaïques, dont la production d'électricité a vocation à être vendue par les sociétés exploitantes, ne peuvent être effectivement exploitées et, par suite, productives de revenus qu'à compter de cette date.
10. Il résulte de l'instruction, et notamment des renseignements obtenus auprès de la société EDF précédemment évoqués, qu'aucune des centrales photovoltaïques acquises par les SEP Sunra 013, Sunra 014, Sunra 015, Sunra Fluide 1136, Sunra Fluide 1137et Sunra Fluide 113 au titre desquelles a été pratiquée la réduction d'impôt litigieuse n'avait fait l'objet, au cours de l'année 2010, d'une demande de raccordement au réseau électrique, condition pourtant nécessaire à l'exploitation des installations selon l'usage prévu par les investisseurs en vue de bénéficier de l'avantage fiscal correspondant. En conséquence, et en l'absence de tout élément apporté par les requérants de nature à infirmer ce constat, l'administration a pu légalement remettre en cause la réduction d'impôt dont ont bénéficié les intéressés.
11. Il a été rappelé au point 9 que la réduction d'impôt est subordonnée à l'existence d'un investissement productif, c'est-à-dire, s'agissant d'une centrale photovoltaïque, de son raccordement au réseau public de distribution d'électricité. Dès lors qu'il est constant que des panneaux photovoltaïques ne peuvent être effectivement exploités sans être intégrés dans une installation et raccordés au réseau électrique, l'administration fiscale n'a pas ajouté aux conditions fixées par la loi fiscale en relevant l'absence au 31 décembre 2010 d'attestations de conformité et de demandes de raccordement au réseau électrique, mais s'est bornée à mettre en oeuvre les conditions légales auxquelles les investissements sont soumis pour ouvrir droit à l'avantage fiscal prévu à l'article 199 undecies B du code général des impôts.
S'agissant du bénéfice de la doctrine administrative :
12. Aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. ".
13. Les requérants se prévalent, sur le fondement de ces dispositions, du paragraphe n° 148 de l'instruction référencée 5 B-2-07 du 30 janvier 2007 aux termes duquel : " Conformément aux dispositions du vingtième alinéa du I de l'article 199 undecies B, la réduction d'impôt est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé. Le premier alinéa de l'article 95 Q de l'annexe II prévoit que l'année de réalisation de l'investissement s'entend de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée, c'est-à-dire achevée, par l'entreprise ou lui est livrée au sens de l'article 1604 du code civil, ou est mise à disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail. ". Ces dispositions sont susceptibles d'être invoquées par les contribuables pour faire échec à un redressement opéré par l'administration fiscale lorsque les conditions posées par l'instruction sont remplies, notamment celle qui est énoncée au paragraphe 22, qui définit les investissements ouvrant droit à réduction d'impôt dans les termes suivants : " Conformément aux dispositions du premier alinéa du I de l'article 199 undecies B et de l'article 95 K de l'annexe II, les investissements productifs dont l'acquisition, la création ou la prise en crédit-bail est susceptible d'ouvrir droit à réduction d'impôt doivent avoir la nature d'immobilisations neuves, corporelles et amortissables. La notion même d'investissement productif implique l'acquisition ou la création de moyens d'exploitation, permanents ou durables capables de fonctionner de manière autonome. ". Toutefois, il ne ressort pas des énonciations de l'instruction du 30 janvier 2007 que l'administration ait entendu donner, en ce qui concerne le fait générateur de la réduction d'impôt, une interprétation du texte fiscal différente de celle qui figure aux points 8 et 9 ci-dessus, qui lui serait opposable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
IV. Sur les frais liés à l'instance :
15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais d'instance exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 31 mai 2018 est annulé en tant qu'il a statué sur la somme de 1 870 euros qui a fait l'objet d'une décision de dégrèvement en date du 26 septembre 2017.
Article 2 : A concurrence de la somme de 1 870 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de M. et Mme B....
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2019, où siégeaient :
- Mme Mosser, présidente,
- M. Haïli, premier conseiller,
- Mme Courbon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 18 juin 2019.
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N° 18MA03437