Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2015 et un mémoire en réplique enregistré le 13 novembre 2015, la SARL SNDL, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 11 juin 2015 ;
2°) de prononcer le remboursement demandé ;
3°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre du renvoi préjudiciel, de la question suivante : l'octroi d'un remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée peut-il être subordonné à la condition de justification des opérations portées en exonération de taxe sur la valeur ajoutée au sens de l'article 183 de la directive 2006/112/CE '
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de l'administration est contraire à la directive 2006/112/CE ;
- il n'appartient pas au contribuable d'apporter la preuve des déclarations fiscales initiales réputées sincères et probantes ; l'administration fiscale ne saurait se livrer à un contrôle de comptabilité qui constitue un véritable détournement de procédure ;
- en vertu du 11° du II de l'article 262 du code général des impôts, la totalité du chiffre d'affaires relatif à l'activité de transport doit être exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, y compris pour les opérations accessoires à ces opérations de transport.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 octobre 2015, le ministre chargé du budget conclut au rejet de la requête et fait valoir qu'aucun des moyens de celle-ci n'est fondé.
Le ministre chargé du budget a également produit un mémoire en défense le 31 décembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli,
- les conclusions de M. Maury, rapporteur public.
1. Considérant que, le 21 avril 2012, la SARL Société Nouvelle de Déménagement Lafarge (SNDL), qui exerce à partir de son établissement de Marseille une activité de transport de meubles et de déménagements de et vers la Corse, a sollicité le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée ; que le service des impôts a rejeté cette demande par une décision du 20 juillet 2012 ; que la SARL SNDL interjette appel du jugement du tribunal administratif de Bastia du 11 juin 2015 rejetant sa demande à fin de remboursement de ce crédit de taxe au titre du premier trimestre 2012, pour un montant de 28 456 euros ;
Sur la régularité de la procédure :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables " ; qu'aux termes de l'article L. 190 du même livre : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) " ;
3. Considérant que la SARL SNDL soutient que la procédure d'imposition serait irrégulière dès lors qu'elle aurait fait l'objet d'une vérification de comptabilité déguisée, les agents de l'administration fiscale ayant porté un examen critique sur les pièces justificatives ; qu'en défense, l'administration fiscale fait valoir qu'elle s'est limitée à procéder à l'examen nécessaire et passif de quelques factures et à demander des précisions quant aux modalités de détermination du chiffre d'affaires déclaré en exonération de taxe sans procéder à un contrôle complet et critique de la comptabilité que l'entreprise est astreinte à tenir ;
4. Considérant qu'une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée présente le caractère d'une réclamation préalable au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que la décision refusant de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée ne constitue, par suite, ni un rehaussement d'imposition ni un redressement ; que les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction d'une telle réclamation demeurent... ; que, dans ces conditions, la circonstance que l'administration fiscale aurait effectué au stade de la réclamation préalable un rapprochement critique des déclarations de la société contribuable et des éléments de sa comptabilité demeure sans incidence sur la régularité du refus de remboursement opposé à la société ; que par suite, le moyen invoqué par la SARL SNDL tiré de ce que les demandes de régularisation adressées par l'administration constitueraient un début de vérification de comptabilité irrégulière doit être écarté comme inopérant ; qu'en toute hypothèse, l'administration fiscale ne s'est pas livrée en l'espèce à un contrôle sur place des factures présentées et s'est bornée à examiner les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que les factures d'achats et les factures de ventes au regard des extraits comptables relatifs aux opérations déclarées ;
Sur le bien-fondé de la demande de restitution :
En ce qui concerne la conformité de la législation française au droit communautaire :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 183 de la directive n° 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la taxe sur la valeur ajoutée due pour une période imposable, les Etats membres peuvent soit faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu'ils fixent " ; qu'aux termes de l'article 262 du code général des impôts : " II. Sont également exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7° Les prestations de services effectuées pour les besoins directs des bateaux ou des aéronefs désignés aux 2° et 4° et de leur cargaison ; (...) 11° Les transports entre la France continentale et les départements de la Corse pour la partie du trajet située en dehors du territoire continental (...) " ; qu'aux termes du IV de l'article 271 du même code : " La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 286 du même code : " I. Toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée doit : (...) 3° Si elle ne tient pas habituellement une comptabilité permettant de déterminer son chiffre d'affaires tel qu'il est défini par le présent chapitre, avoir un livre aux pages numérotées sur lequel elle inscrit, jour par jour, sans blanc ni rature, le montant de chacune de ses opérations, en distinguant, au besoin, ses opérations taxables et celles qui ne le sont pas (...) " et qu'aux termes de l'article 37 de l'annexe IV au même code : " La comptabilité ou le livre spécial dont la tenue est prescrite par le 3° du I de l'article 286 du code général des impôts doit notamment faire apparaître d'une manière distincte : Les opérations non soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ; / Les opérations faites en suspension de ladite taxe ; / Pour chaque acquisition de biens, services et travaux l'indication de son montant, de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante ainsi que le nom et l'adresse du fournisseur ; / Pour chaque opération ayant donné lieu à l'émission d'une facture ou d'un document en tenant lieu comportant mention de la taxe sur la valeur ajoutée, le montant net de l'opération, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée au taux exigible facturé, ainsi que le nom et l'adresse du client " ;
6. Considérant que la société requérante soutient que le rejet de la demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre du deuxième trimestre de l'année par l'administration fiscale serait contraire à l'article 183 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dès lors que le crédit de taxe sur la valeur ajoutée constaté comptablement doit automatiquement aboutir au remboursement sans contrôle préalable et que l'article 183 n'autorise pas à repousser le droit au remboursement d'un crédit de taxe jusqu'à l'examen par cette administration de la déclaration annuelle de l'assujetti ; qu'elle ajoute que l'interprétation de la directive donnée par le IV de l'article 271 du code général des impôts n'est pas compatible avec cette directive ; que, toutefois, l'article 183 de la directive du 28 novembre 2006 selon lequel, quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les Etats membres peuvent soit faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu'ils fixent, soit encore refuser le report ou le remboursement lorsque l'excédent est insignifiant, ne s'oppose pas, en principe, à des mesures nationales destinées à garantir que des déductions apparemment excessives résultant d'informations contenues dans la déclaration de l'assujetti correspondent à la réalité ; que si le droit à déduction s'exerce normalement et en priorité par voie d'imputation, les dispositions du IV de l'article 271 du code général des impôts ont pu prévoir, sans qu'il puisse leur être reprochée leur inconventionnalité, que la taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement et que ce remboursement n'est pas automatique mais doit être demandé par les redevables ; que les demandes de remboursement, bien que soumises à des règles particulières de présentation et d'instruction, constituent des réclamations ordinaires au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; qu'un tel dispositif de perception de la taxe sur la valeur ajoutée strictement limité aux objectifs poursuivis, ne peut être regardé comme portant atteinte aux principes du système commun de taxe sur la valeur ajoutée et notamment au régime des déductions qui en constitue un élément essentiel ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le refus de remboursement opposé par l'administration fiscale par application des dispositions du IV de l'article 271 du code général des impôts méconnaîtrait l'article 183 de la directive 2006/112/CE doit être écarté ;
En ce qui concerne la charge de la preuve :
7. Considérant qu'en vertu des dispositions du IV de l'article 271 du code général des impôts citées au point 5, les entreprises peuvent obtenir dans les conditions précisées par décret en Conseil d'Etat le remboursement des taxes déductibles dont l'imputation n'a pu être opérée et qu'aux termes des dispositions du II du même article : " 1. (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) celle qui figure sur les factures (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) 2. La déduction ne peut être opérée si les redevables ne sont pas en possession (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) desdites factures (sans incidence sur la décision de refus de rembourser un crédit de taxe sur la valeur ajoutée) " ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au redevable qui sollicite le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de justifier sa demande non seulement par la production de ses factures d'achat ou, à tout le moins, d'un relevé de ces factures comportant les noms et adresses des fournisseurs mais aussi en apportant tous documents et précisions utiles, notamment en ce qui concerne la répartition de son activité entre opérations soumises à la taxe et opérations exonérées, pour déterminer le montant des sommes en cause ;
En ce qui concerne le droit à remboursement de la société :
8. Considérant que les dispositions du 7° du II de l'article 262 du code général des impôts exonèrent les opérations effectuées et les prestations fournies pour les besoins directs des navires de commerce maritime et de leur cargaison assurant des transports de marchandises ou de voyageurs entre la France continentale et les départements de la Corse et que les dispositions du 11° du II du même article 262 du code général des impôts exonèrent de la taxe sur la valeur ajoutée les transports de marchandises ou de voyageurs entre la France continentale et les départements de la Corse pour la partie du trajet située en dehors du territoire continental ; que la société requérante expose qu'elle exerce trois activités distinctes, le transport maritime de meubles neufs dits de " bords à bords ", le transport de déménagement depuis ou vers la Corse, avec une partie de transports terrestres soumise à la taxe sur la valeur ajoutée et la partie " transport maritime " exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, et une activité accessoire de garde-meubles soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ;
9. Considérant que, dans sa requête d'appel comme dans son mémoire en réplique, la société requérante n'articule aucun moyen précis et ne verse aucun élément de comptabilisation permettant de distinguer les prestations taxables à la taxe sur la valeur ajoutée et les prestations exonérées et de justifier sa demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle prétend ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la SARL SNDL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande de remboursement ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL SNDL est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Société Nouvelle de Déménagement Lafarge et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 4 février 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bédier, président de chambre,
- Mme Paix, président assesseur,
- M. Haïli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 février 2016.
''
''
''
''
2
N° 15MA03061