Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 30 mars 2018 sous le n° 18MA01458, M. A... C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 12 mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 mars 2018 ;
3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter du présent arrêt ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la France est responsable de l'examen de sa demande d'asile, en application de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 et, par suite, l'Allemagne ne saurait reprendre en charge sa demande d'asile en application du 1 d) de l'article 18 du même règlement ;
- la décision de remise aux autorités allemandes méconnaît l'article 3 du même règlement ;
- le retour dans son pays d'origine méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A...C...ne sont pas fondés.
M. A...C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2018.
II. Par une requête, enregistrée le 13 avril 2018 sous le n° 18MA01874, M. A... C..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution de ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 12 mars 2018 ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'une semaine à compter de la notification du présent arrêt et de réexaminer sa situation au regard de l'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la remise aux autorités allemandes aurait des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 et 13 du règlement (UE) 604/2013 sont sérieux en l'état de l'instruction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... C...ne sont pas fondés.
M. A...C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barthez a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes introduites par M. A... C..., ressortissant jordanien né en 1967, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions de la requête n° 18MA01458 :
En ce qui concerne l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. A... C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2018. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit admis provisoirement à l'aide juridictionnelle.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision de remise :
3. En premier lieu, le paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé prévoit que " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi (...) que le demandeur a franchi irrégulièrement (...) la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat ". Il résulte de ces dispositions que la détermination de l'Etat membre en principe responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toutes à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date. Notamment, l'Etat membre dont le ressortissant d'un Etat tiers a franchi irrégulièrement la frontière reste responsable pour les premières demandes introduites dans un autre Etat membre moins de douze mois après la date de ce franchissement irrégulier.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment du ficher européen " Eurodac " que les empreintes décadactylaires de l'intéressé ont été relevées par les autorités allemandes le 29 juillet 2014 après le franchissement irrégulier de la frontière de cet Etat membre de l'Union européenne. Le numéro de référence de ses empreintes digitales implique qu'il y a déposé une première demande d'asile, ce que M. A... C...ne conteste d'ailleurs pas. Par suite, l'Allemagne est responsable de l'examen de sa demande d'asile et la circonstance qu'il soit entré irrégulièrement en Allemagne depuis plus de douze mois à la date de la décision contestée ou qu'il ait vécu, selon ses propres allégations, principalement en France, sont sans incidence sur la détermination de l'Etat membre responsable. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas commis d'erreur de droit en considérant qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions précitées du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable ".
6. La circonstance qu'un membre du gouvernement allemand ait indiqué, au mois de mars 2018, que le rapatriement des migrants constituait une " grande priorité " ne suffit pas à établir qu'il existerait dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que reprend l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". La décision contestée de remise aux autorités allemandes n'implique pas nécessairement que M. A...C...sera reconduit en Jordanie. Par suite, et en l'absence de défaillance systémique dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Allemagne, elle ne méconnaît pas les stipulations précédemment citées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 mars 2018. Le présent arrêt n'implique donc aucune mesure d'exécution et les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les conclusions de la requête n° 18MA01874 :
9. Le présent arrêt statue sur la demande d'annulation du jugement attaqué. Les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement n° 1801827 du tribunal administratif de Marseille sont donc devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit à verser au conseil de M. A... C...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... C...tendant à ce qu'il soit admis provisoirement à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête n° 18MA01458 est rejeté.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 12 mars 2018 présentées dans la requête n° 18MA01874.
Article 4 : Les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A...C..., à Me B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 18 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- M. Maury, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2018.
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N° 18MA01458, 18MA01874
mtr