Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée par télécopie le 20 janvier 2014, régularisée par courrier le 22 janvier suivant, et des mémoires enregistrés les 2 juillet 2014, 31 juillet 2014 et 27 novembre 2015, la SARL Le Bull Dog, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 27 novembre 2013 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le vérificateur a rejeté sa comptabilité au motif qu'elle n'avait pas conservé les données élémentaires informatiques, dès lors que la caisse enregistreuse qu'elle utilisait a été dérobée le 17 janvier 2006, que cette caisse n'était pas intégrée au système d'information et de comptabilité de l'entreprise, et que l'ensemble des bandes " X "et " Z " ont été remises au vérificateur ;
- c'est à tort que le vérificateur a rejeté la comptabilité au motif de l'existence d'anomalies découlant du rapprochement entre les relevés des bandes de caisses et les recettes comptabilisées, dans la mesure où elle a enregistré en caisse, durant les premiers mois de l'année 2003, les recettes de l'activité de restauration de la SARL Babylone, avec laquelle elle fonctionnait en participation ; au demeurant, les discordances sont très faibles ;
- les anomalies relevées par le vérificateur en ce qui concerne la comptabilité matière, au demeurant non démontrées, ne prennent pas en compte les déductions habituelles tenant aux pertes, aux offerts et à la consommation du personnel ;
- dès lors que l'administration ne pouvait rejeter sa comptabilité, c'est à tort qu'elle a considéré qu'elle supporte la charge de la preuve en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales ;
- la méthode de reconstitution des recettes est radicalement viciée, dès lors que le vérificateur a déterminé le pourcentage de vente des bières pression par rapport au chiffre d'affaires total en retenant les ventes de bière de marque " Leffe ", en l'absence d'achats de fûts comptabilisés, ainsi que les ventes de bouteilles de bière correspondant aux achats non comptabilisés qu'il a déterminés ;
- l'administration ne pouvait rappeler la taxe sur la valeur ajoutée à régulariser inscrite au bilan de l'exercice ouvert le 1er janvier 2003, dès lors que cette inscription en comptabilité ne constitue pas une reconnaissance de dette interruptive de prescription, en l'absence de précisions relatives à la date d'exigibilité de la taxe ;
- c'est à tort que l'administration a rappelé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à une avance consentie par la société SDBM, dès lors que cette somme ne constitue pas la contrepartie d'un service qui aurait été rendu au cours de l'année 2004 à ce fournisseur, mais correspond à une aide consentie par ce dernier, à valoir sur les commissions à verser en 2005 et qui, à défaut, pourra être remboursée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 22 mai 2014 et 26 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Le Bull Dog ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 octobre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SARL Le Bull Dog, qui exploite un bar de nuit situé à Nice, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2004 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a notamment écarté sa comptabilité et procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires, et l'a subséquemment assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période considérée et à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sur l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2003 et 2004 ; que l'administration, faisant partiellement droit à sa réclamation préalable, a prononcé le dégrèvement des cotisations supplémentaires de contribution sur l'impôt sur les sociétés mises à la charge de la société au titre des exercices clos en 2003 et 2004, ainsi que des pénalités y afférentes ; que la SARL Le Bull Dog relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice en date du 27 novembre 2013 rejetant ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, ainsi que des pénalités correspondantes ;
Sur le rejet de la comptabilité et la reconstitution du chiffre d'affaires :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements " ; qu'aux termes de l'article L. 47 A du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration fiscale peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable. / Celui-ci peut demander à effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. / Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. / Ces copies seront produites sur un support informatique fourni par l'entreprise, répondant à des normes fixées par arrêté (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " I. - Les livres, registres, documents ou pièces sur lesquels peuvent s'exercer les droits de communication, d'enquête et de contrôle de l'administration doivent être conservés pendant un délai de six ans à compter de la date de la dernière opération mentionnée sur les livres ou registres ou de la date à laquelle les documents ou pièces ont été établis. / Sans préjudice des dispositions du premier alinéa, lorsque les livres, registres, documents ou pièces mentionnés au premier alinéa sont établis ou reçus sur support informatique, ils doivent être conservés sous cette forme pendant une durée au moins égale au délai prévu au premier alinéa de l'article L. 169 (...) / II. - Lorsqu'ils ne sont pas déjà visés au I, les informations, données ou traitements soumis au contrôle prévu au deuxième alinéa de l'article L. 13 doivent être conservés sur support informatique jusqu'à l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article L. 169. La documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements doit être conservée jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle à laquelle elle se rapporte " ;
4. Considérant que le vérificateur a estimé qu'en raison de la présence d'un système informatisé de caisse, la comptabilité de la société Le Bull Dog était tenue au moyen de systèmes informatisés ; que la société l'ayant informé du vol de sa caisse enregistreuse, survenu au cours des opérations de contrôle, il lui a demandé de lui fournir les sauvegardes annuelles de ses données élémentaires informatiques ; que la société n'ayant pas conservé de sauvegarde de ces données, l'administration fiscale a rejeté sa comptabilité au motif qu'elle avait méconnu l'obligation de conservation des données informatiques, mentionnée à l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, et avait ainsi placé le vérificateur dans l'impossibilité de réaliser tout traitement informatique ; que l'administration fiscale a également opposé à la société Le Bull Dog l'existence d'anomalies relatives aux justificatifs de recettes et à la comptabilité matière ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SARL Le Bull Dog disposait d'une caisse enregistreuse dotée de touches programmables et d'un ordinateur comportant un système de gestion de type " first class " ; que, toutefois, le ministre ne conteste pas que cette caisse ne permettait pas l'enregistrement des écritures comptables et que la comptabilisation des recettes était effectuée par le comptable de la société à partir des bandes " X " et " Z " éditées sur support papier ; que la circonstance que ce type de caisse permet l'édition de tickets selon différents critères et le calcul de ratios ne saurait pallier l'absence d'un progiciel de comptabilité nécessaire à l'établissement des documents comptables ; que, dans ces conditions, la société Le Bull Dog ne pouvait être regardée comme ayant tenu sa comptabilité au moyen de systèmes informatisés au cours de la période vérifiée ; que, par suite, l'administration ne pouvait opposer à la société requérante le défaut de présentation au vérificateur des données informatiques et de la documentation technique informatique, en contravention avec les dispositions de l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales ;
6. Considérant que par ailleurs, si le vérificateur a relevé des discordances entre le total des relevés mensuels récapitulatifs des bandes de caisses et le montant des recettes comptabilisées, il ressort des bandes " Z " produites par la requérante qu'elle a enregistré sur sa caisse, au cours des mois de janvier et février 2003, des recettes correspondant à une activité de restauration représentant la majeure partie des discordances relevées ; qu'à cet égard, elle fait valoir sans être sérieusement contredite qu'elle n'avait elle-même qu'une activité de bar et qu'elle a enregistré sur sa caisse, au titre de la période en cause, les recettes de la SARL Babylone, avec laquelle elle fonctionnait en participation, et qui avait une activité complémentaire de restauration sur le même site ;
7. Considérant enfin que les anomalies relevées dans la comptabilité matière, consistant en l'existence d'achats revendus négatifs portant sur certaines bières en bouteille et en la comptabilisation de recettes correspondant à des achats non comptabilisés de bière en fûts, ne sont pas de nature, à elles seules, à priver la comptabilité de la société dans son ensemble de toute valeur probante, et n'autorisaient pas le service à reconstituer le chiffre d'affaires imposable ; que le rejet de la comptabilité n'étant pas fondé, l'administration n'était pas en droit de procéder à une reconstitution des recettes de cette société au titre des années 2003 et 2004 ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, les impositions résultant de ce rejet de comptabilité et de cette reconstitution de recettes, qui ont été mises à la charge de la SARL Le Bull Dog au titre des années 2003 et 2004 doivent être déchargées, ainsi que les pénalités correspondantes ;
Sur le surplus des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :
8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun (...) " ; que pour l'application de cette disposition, l'effet interruptif de prescription ne peut résulter que d'un acte ou d'une démarche par lesquels le redevable se réfère clairement à une créance définie par sa nature, son montant et l'identité de son créancier ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur a constaté qu'au 1er janvier 2003, date d'ouverture du premier exercice non prescrit, le compte " TCA à régulariser ou en attente " présentait un " à nouveau " créditeur de 6 630 euros ; qu'après avoir demandé à la société Le Bull Dog de préciser l'origine et la nature de cette dette de taxe sur la valeur ajoutée, il a constaté au vu de la réponse apportée que ce montant correspondait à la taxe afférente à une subvention versée par des brasseries ; que, pour procéder au rappel de cette somme par proposition de rectification en date du 16 mai 2006, le vérificateur a considéré que son inscription au passif du bilan au 1er janvier 2003 valait reconnaissance de dette interruptrice de prescription ; que, toutefois, à défaut de précisions sur la date des opérations auxquelles se rattachent les droits de taxe sur la valeur ajoutée en cause, une telle inscription ne pouvait constituer à elle seule, en l'absence de tout autre acte de la requérante ayant cet objet, un acte comportant reconnaissance de dette de sa part ; que, par suite, elle n'a pas interrompu la prescription ; que, dès lors, l'administration qui ne pouvait, en application de l'article L. 176 du livre des procédures fiscales, exercer son droit de reprise en matière de taxe sur la valeur ajoutée que jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible, ne pouvait procéder au rappel des sommes litigieuses ; que, par conséquent, les impositions et pénalités résultant de ce rappel doivent être déchargées ;
10. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'administration a rappelé au titre de la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2004 la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à une " avance sur remises de fin d'année " versée par la société SDBM, fournisseur de boissons, comptabilisée le 22 décembre 2004 ; que si la société requérante soutient que cette avance serait constitutive d'une aide de son fournisseur, à valoir sur les éventuelles commissions à verser par ce dernier en 2005, et, à défaut, remboursables, la seule production d'une attestation rédigée par le représentant du fournisseur après la réception de la proposition de rectification n'est pas de nature, à elle seule, à justifier de la nature de prêt de la somme comptabilisée en tant qu'avance sur les remises de fin d'année ; que, dès lors que la société requérante ne conteste pas s'être engagée à débiter en exclusivité toutes les boissons commercialisées par la société SDBM, l'administration doit être regardée comme démontrant que la somme en litige constituait la contrepartie d'une prestation rendue par la société requérante à son fournisseur ; que, par suite, c'est à bon droit que cette somme a été regardée comme devant être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Le Bull Dog est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de la reconstitution de ses recettes et correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée à régulariser, ainsi que des pénalités correspondantes ; que le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SARL Le Bull Dog de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La SARL Le Bull Dog est déchargée, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 et 2004, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2004 en tant qu'ils résultent de la reconstitution de ses recettes et qu'ils correspondent à la taxe sur la valeur ajoutée à régulariser.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 1001545 du 27 novembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Le Bull Dog une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Le Bull Dog est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Le Bull Dog et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2016 où siégeaient :
- M. Martin, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carotenuto, premier conseiller,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 février 2016.
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N° 14MA00262 2