Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 juin 2014 et le 19 mai 2016, la SNC Eden représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 3 avril 2014 ;
2°) de prononcer la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration ne pouvait rejeter sa réclamation du 28 décembre 2010 comme irrecevable en application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales sans méconnaître le principe d'égalité des armes dans le contentieux fiscal et l'exigence constitutionnelle de l'équilibre des droits des parties ;
- en rejetant sa réclamation, par application des articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales, l'administration a porté atteinte à son droit au respect de ses biens, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la législation française applicable jusqu'au 11 mars 2010, qui prévoyait l'assujettissement systématique à la taxe sur la valeur ajoutée sur marge des marchands de biens, était incompatible avec les objectifs de la directive 2006/112/CE du Conseil de l'Union européenne, dès lors qu'elle ne prévoit une telle imposition que sur option ;
- le délai prévu par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, qui est moins favorable que le délai de droit commun prévu en droit interne français pour les actions en répétition de l'indu, contrevient aux principes d'effectivité et d'équivalence issus du droit de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 octobre 2014, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carotenuto,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que dans le cadre de son activité de marchand de biens, la SNC Eden a été assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2007, à hauteur d'une somme de 108 249 euros qui a été calculée sur sa marge bénéficiaire en application des dispositions combinées du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts, après imputation de la taxe sur la valeur ajoutée déductible ; que par une réclamation du 28 décembre 2010, la SNC Eden a demandé le remboursement de cette somme au motif qu'en méconnaissance des articles 137 et 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, elle a fait l'objet d'une imposition systématique sur la marge, alors que cette dernière ne pouvait intervenir que sur option ; que sa réclamation ayant été regardée comme tardive au regard des dispositions de l'article R. 196-1 du livres des procédures fiscales, la SNC Eden a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée en litige ; que par le jugement attaqué du 3 avril 2014, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
2. Considérant qu'aux termes de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. (...) " ; que l'article R. 196-3 du même livre dispose que : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations. " ; qu'enfin, selon l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. " ;
3. Considérant que la réclamation du 28 décembre 2010 par laquelle la SNC Eden a sollicité le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée entre le 1er janvier et le 31 décembre 2007 a été présentée après le 31 décembre de la deuxième année suivant le versement de cette taxe ; qu'ainsi, elle était tardive au regard des dispositions précitées du b) de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
4. Considérant que dans l'hypothèse où le contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification, il dispose, aux termes mêmes de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter une réclamation ; que, dès lors, la SNC Eden n'est pas fondée à soutenir que l'administration, en déclarant sa réclamation irrecevable au regard du délai prévu par les dispositions ci-dessus reproduites de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales aurait, du fait qu'elle dispose, en application de l'article L. 176 du même livre, d'un délai plus long pour exercer son droit de reprise, porté atteinte au principe de l'égalité des armes, tel qu'il est garanti par l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'à l'exigence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, telle que protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que si l'administration n'a pas en l'espèce exercé le droit de reprise prévu par l'article R. 196-3, cette circonstance ne saurait être regardée comme étant de nature à créer, par elle-même, une rupture d'égalité entre l'administration et la société requérante au regard des principes invoqués par cette société ; que, dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de ces principes ne peuvent être accueillis ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions et des amendes " ;
6. Considérant qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, toutefois, l'instauration, par les dispositions précitées de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, d'un délai de réclamation d'au moins deux ans à compter de la date de la mise en recouvrement ou, à défaut, du versement de l'imposition est suffisante pour permettre aux contribuables de faire valoir utilement leurs droits ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la SNC Eden, ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences qui s'attachent à la protection d'un droit patrimonial telles qu'elles découlent des stipulations précitées du premier protocole additionnel ; que si la SNC Eden se prévaut de ce que le délai de transposition en droit interne de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 venait à expiration le 1er janvier 2008 et que cette transposition n'a été effectuée qu'à compter du 11 mars 2010, elle ne saurait en tout état de cause déduire de ces circonstances, alors que le présent litige est relatif à une imposition acquittée au titre de l'année 2007, qu'elle ne pouvait valablement présenter sa réclamation avant le 31 décembre 2009 ;
7. Considérant, en troisième lieu, que si la SNC Eden soutient qu'en méconnaissance des principes d'effectivité et d'équivalence issus du droit de l'Union européenne, le délai qui lui est imposé par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales est moins favorable que le délai de droit commun de cinq ans prévu en droit interne français pour la répétition de l'indu, l'administration, pour rejeter la réclamation de la société requérante, ne lui a pas opposé un délai prévu par cet article, mais la tardiveté de cette réclamation au regard des dispositions précitées de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; qu'en tout état de cause, à supposer que la société requérante ait entendu critiquer le délai de réclamation fixé par ces dispositions, celui-ci, qui est au moins de deux ans, ne peut être regardé, s'agissant du principe d'effectivité, comme rendant impossible ou excessivement difficile une action en restitution d'impositions indûment perçues ; que le principe d'équivalence ne saurait être interprété comme obligeant un Etat membre à étendre à l'ensemble des actions en restitution de taxes ou de redevances perçues en violation du droit communautaire son régime de prescription le plus favorable ; qu'ainsi, le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce que la législation d'un Etat membre comporte, à côté d'un délai de prescription de droit commun applicable aux actions en répétition de l'indu entre particuliers, des modalités particulières de réclamation et de recours en justice moins favorables pour la contestation des taxes et autres impositions ; que, par suite, les moyens ci-dessus analysés doivent être écartés ;
8. Considérant, enfin, que la SNC Eden ne se prévaut d'aucun événement au sens des dispositions du c) de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales qui serait de nature à rouvrir le délai prévu par ces dispositions et, par voie de conséquence, à remettre en cause l'irrecevabilité qui a été opposée à sa réclamation ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SNC Eden n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la SNC Eden au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SNC Eden est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Eden et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 31 mai 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- M. Martin, président-assesseur,
- Mme Carotenuto, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 juin 2016.
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N° 14MA02486
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