Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 6 septembre 2013, 15 juillet 2014, 26 janvier 2015, 1er juin 2015, 27 avril 2016 et 9 juin 2016, la SAS ESII représentée par Me B... et Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 juillet 2013 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes ;
2°) de prononcer la restitution des crédits d'impôt recherche restant en litige ;
3°) de désigner en tant que de besoin un expert afin de déterminer l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des dépenses qu'elle a déclarées au titre des années 2009 et 2010 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les premiers juges n'ont pas apprécié l'éligibilité au crédit d'impôt recherche du projet ChannelServer et ne sont pas prononcés sur l'évaluation forfaitaire des heures passées sur le sous-projet Smartwait ;
- l'administration n'a pas suffisamment motivé ses décisions du 15 décembre 2011 et du 25 septembre 2012, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 190 et du troisième alinéa de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et des articles 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'administration n'établit pas que les projets déclarés n'apportaient aucune nouveauté et ne faisaient pas avancer l'état de l'art dans le domaine sociétal ;
- l'administration opère une confusion entre recherche et développement et innovation ;
- les pourcentages de dépenses considérées comme éligibles au cours des années 2007 et 2008 sont un indicateur de l'incohérence de la forfaitisation pratiquée par l'administration fiscale en 2009 et 2010 ;
- elle est en droit d'opposer à l'administration l'interprétation donnée par l'instruction administrative référencée n° 4 A-3-12 ainsi que les énonciations du BOI-BIC-RICI-10-10-10-20, n° 520.
Par des mémoires en défense enregistrés le 17 mars 2014, 17 décembre 2014, 5 mai 2015, 26 mai 2016 et 21 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut à ce qu'il soit constaté qu'il n'y a plus lieu de statuer à hauteur des sommes restituées au cours de la présente instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que, s'agissant des sommes restant en litige, les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carotenuto,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que la société ESII, spécialisée dans la conception et la commercialisation de solutions matérielles et logicielles pour le marché de la gestion de l'accueil, a sollicité la restitution de crédits d'impôt recherche au titre de l'année 2009 pour un montant de 497 518 euros et au titre de l'année 2010 pour un montant de 511 231 euros ; que par des décisions du 15 décembre 2011 et du 25 septembre 2012, l'administration n'a que partiellement accordé les remboursements demandés à hauteur respectivement de 97 972 euros et 95 063 euros ; que la société ESII a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à la restitution des sommes de 399 546 euros et 416 168 euros, correspondant aux compléments de crédit d'impôt recherche auquel elle estime avoir droit au titre, respectivement, des années 2009 et 2010 ; que la société ESII relève appel du jugement du 4 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de 51 222 euros sur les conclusions de la SAS ESII tendant à la restitution d'un crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2010, et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que l'expert désigné le 26 novembre 2015 par le ministère de l'enseignement et de la recherche a estimé, dans un rapport en date du 24 février 2016, que tous les projets au titre desquels la société requérante sollicite le remboursement des crédits d'impôt recherche en litige sont éligibles, à l'exception du projet " eKiosk " s'agissant de l'année 2009 et des projets " Interopérabilité entre les solutions de gestion des files d'attentes et de communication audiovisuelle dynamique " et " Prototypes d'afficheurs " s'agissant de l'année 2010 ; que par décision en date du 27 mai 2016 intervenue postérieurement à l'introduction de la requête, l'administration fiscale, se conformant entièrement aux conclusions de ce rapport, a restitué à la SAS ESII les sommes de 319 775 euros et de 237 923 euros au titre, respectivement, des années 2009 et 2010 ; que, dès lors, les conclusions de la requête sont dans cette mesure devenues sans objet ;
Sur le surplus des conclusions de la requête :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments exposés par la SAS ESII, ont indiqué de façon suffisamment circonstanciée les raisons pour lesquelles ils ont écarté comme inopérant le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions susmentionnées du 15 décembre 2011 et du 25 septembre 2012 ; qu'ils ont ainsi nécessairement écarté les moyens tirés de ce que le défaut de motivation de ces décisions méconnaîtrait les articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité sur ce point ;
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
4. Considérant que la demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que la décision par laquelle l'administration rejette tout ou partie d'une telle réclamation n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de redressement ; qu'ainsi, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de cette réclamation sont sans incidence sur le bien-fondé de la décision refusant de rembourser le crédit d'impôt recherche ; que, par suite, les moyens relatifs à l'insuffisante motivation des décisions des 15 décembre 2011 et 25 septembre 2012 doivent être écartés ;
En ce qui concerne le bien-fondé des refus partiels de restitution :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 decies et 44 undecies qui exposent des dépenses de recherche peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) " ; qu'aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au même code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale (...) / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée (...) ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté. " ;
6. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si des dépenses sont éligibles au dispositif du crédit d'impôt prévu par les dispositions précitées du code général des impôts ;
7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise mentionné au point 2, que les travaux réalisés en 2009 au titre du module " eKiosk ", consistant dans la conception de bornes interactives, relèvent du développement classique et non de la recherche et développement ; que la SAS ESII ne conteste pas les appréciations de l'expert quant à la nature des travaux en cause ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les dépenses exposées pour ce projet ne sont pas éligibles au régime du crédit d'impôt prévu par les dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts ;
8. Considérant, d'autre part, que s'agissant des dépenses exposées en 2010 au titre des projets " Interopérabilité entre les solutions de gestion des files d'attentes et de communication audiovisuelle dynamique " et " Prototypes d'afficheurs ", il ressort du rapport d'expertise cité au point 2, que le premier projet, qui consiste en la conception et la réalisation d'un module logiciel permettant de fournir les données aux applications de communication audiovisuelle dynamique existante dans le commerce, ne constitue pas un progrès technologique relevant de la recherche et du développement mais relève davantage du développement industriel, alors même que le domaine concerné est original et que la réalisation du projet est complexe ; qu'en ce qui concerne le second projet, qui porte sur la conception de prototypes d'écrans et leur rendement énergétique, l'expert a estimé que les travaux réalisés résultent d'une application de techniques existantes et relèvent du domaine de l'ingénierie technologique ; que la SAS ESII ne critique pas utilement les analyses sur la base desquelles l'expert a conclu à l'inéligibilité des projets en cause ; que, par suite, l'administration était fondée à refuser de restituer un crédit d'impôt recherche au titre des dépenses engagées pour ces projets ;
9. Considérant que la société requérante ne conteste pas les évaluations par l'expert des dépenses à retenir au titre des projets déclarés éligibles, sur le fondement desquelles l'administration a procédé à la restitution des sommes mentionnées au point 2 ;
10. Considérant enfin, que la société requérante ne saurait utilement invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la documentation administrative référencée n° 4 A-3-12 en date du 3 février 2012 ni les énonciations du BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 en date du 12 septembre 2012, dès lors qu'elles sont postérieures aux années en litige ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que la société ESII n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS ESII et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société ESII à hauteur des restitutions de crédits d'impôt recherche prononcées en cours d'instance par l'administration pour un montant de 319 775 euros au titre de l'année 2009 et pour un montant de 237 923 euros au titre de l'année 2010.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS ESII est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS ESII une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS ESII et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
- Mme Carotenuto, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2016.
2
N° 13MA03634