Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mai 2018, Mme D...épouse B...E..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 20 mars 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet des Pyrénées-Orientales du 15 mars 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est intervenue au terme d'une procédure irrégulière violant son droit au respect du secret médical, au regard de la pathologie de son enfant, garanti par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;
- cette décision attaquée méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'elle implique l'interruption des traitements médicaux de son enfant, qui ne sont pas disponibles en Algérie ;
- elle méconnaît également le 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- compte tenu de l'état de santé de son enfant, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination méconnaissent les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet ne pouvait pas l'obliger à quitter sans délai le territoire français dès lors que la décision va interrompre le traitement de désensibilisation spécifique de sa fille et sa scolarité alors que toute sa famille vit en France ;
- la décision l'assignant à résidence n'est pas justifiée et la fréquence de présentation devant les services de la police aux frontières est excessive ;
- enfin, le préfet ne pouvait prononcer une interdiction de retour d'une durée d'un an dès lors que cette décision ne lui permettra pas de revenir en France avec sa fille alors qu'y réside l'ensemble de ses frères et soeurs.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 août 2018 et le 24 octobre 2018, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D...épouse B...E...de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de légalité externe sont, faute d'avoir été présentés en première instance, irrecevables en appel ;
- les autres moyens soulevés par Mme D...épouse B...E...ne sont pas fondés.
Mme D... épouse B...E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Antonetti, président de la 4ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Carotenuto a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...épouse B...E..., ressortissante algérienne, relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 20 mars 2018 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 15 mars 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, de l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, Mme D...épouse B...E...reprend en appel le moyen soulevé en première instance et tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière au mépris des règles relatives au secret médical, sans apporter d'élément nouveau au soutien de ce moyen qu'il y a lieu d'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
4. Mme D...épouse B...E..., entrée en France le 29 juillet 2015, n'établit pas, par les seules pièces qu'elle produit, avoir transféré le centre de sa vie privée et familiale en France et ne justifie pas d'une insertion notamment professionnelle dans la société française. Dans ces conditions, compte tenu du caractère récent de son entrée en France ainsi que de la possibilité de retourner avec sa fille, Khadidja, dans son pays d'origine où réside également le père de cette dernière et où elle a vécu jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans et alors même qu'elle a engagé une procédure de divorce à l'encontre de son époux et que des membres de sa famille résident régulièrement en France, le préfet des Pyrénées-Orientales n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale et n'a donc méconnu, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ni, en tout état de cause, celles du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien.
5. En troisième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
6. Il ressort des pièces du dossier que la fille de Mme D... épouseB... E... née le 6 février 2007 souffre d'un asthme allergique depuis la petite enfance, qu'elle est en cours de désensibilisation et nécessite un traitement médicamenteux. Cependant, selon l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, le 29 novembre 2016, bien que l'état de santé de l'enfant de la requérante nécessite une prise en charge médicale, son défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et cet enfant pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Les pièces médicales produites, qui ne comportent aucune indication sur les conséquences qu'entraînerait un défaut de prise en charge, ne permettent ni de remettre en cause l'avis ainsi émis par le médecin de l'agence régionale de santé quant à la possibilité de bénéficier, en Algérie, d'une prise en charge médicale appropriée à la pathologie, alors même que la désensibilisation sublinguale n'y serait pas disponible, ni de démontrer l'impossibilité d'un accès effectif à une telle prise en charge dans ce pays. Par ailleurs, le seul changement d'école en cours d'année ne permet pas d'établir que l'autorité administrative n'aurait pas accordé une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant. Ainsi, en prononçant une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de Mme D...épouse B...E..., le préfet des Pyrénées-Orientales n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant et n'a pas méconnu le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
8. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 6, Mme D... épouse B... E...n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire :
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 que le préfet n'a pas entaché d'illégalité sa décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire à Mme D...épouseB... E... aux seuls motifs invoqués tirés, d'une part, de la rupture de la continuité des soins délivrés en France à sa fille, dès lors qu'il ressort de l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, non remis en cause, que le défaut de prise en charge médicale de sa fille ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, d'autre part, de sa scolarité.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour pendant une période d'un an :
10. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. (...) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
11. Ainsi qu'il a été indiqué au point 4, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... épouse B...E...ait transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux en France. Elle s'est, en outre, soustraite à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre le 9 décembre 2016. Ainsi, en tout état de cause, le préfet des Pyrénées-Orientales n'a pas fait une inexacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 en interdisant le retour de l'intéressée pendant un an.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
12. L'assignation à résidence prévue par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constitue une mesure alternative au placement en rétention prévu par les dispositions de l'article L. 551-1 du même code, dès lors qu'une mesure d'éloignement demeure une perspective raisonnable et que l'étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à celle-ci. En vertu de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l'autorité administrative doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Aux termes de l'article R. 561-2 du même code : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application de l'article L. 561-1 (...) est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés (...) ".
13. L'arrêté assignant Mme D...épouse B...E...à résidence lui impose de se présenter chaque semaine, pendant une durée de quarante-cinq jours à compter du 15 mars 2018, les lundi, mercredi et vendredi à 9 h 30, dans les locaux de la police aux frontières de Perpignan. La requérante, qui se borne à soutenir qu'étant mère d'un enfant scolarisé, cette obligation de présentation est excessive et trop contraignante, n'invoque toutefois aucune difficulté particulière ou l'exercice d'une activité qui serait spécialement affectée par cette obligation. Par ailleurs, la circonstance que la requérante s'est " toujours présentée aux convocations " et ne présente aucun risque de fuite est sans incidence sur la légalité de la décision dès lors que l'assignation à résidence n'est pas subordonnée à l'existence d'un tel risque. En outre, ainsi qu'il a été dit, Mme D...épouse B...E...s'est soustraite à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre le 9 décembre 2016. Ainsi, la requérante n'établit pas que le préfet aurait, en prononçant la mesure d'assignation en litige, fait une inexacte application des dispositions précitées.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Pyrénées-Orientales, que Mme D...épouseB... E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
15. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée. Ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser une quelconque somme à l'avocat de Mme D...épouse B...E...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée par le préfet des Pyrénées-Orientales tendant à ce que soit mise à la charge de Mme D... épouse B...E...le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... épouse B...E...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D...épouse B...E..., à Me F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, où siégeaient :
- M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Maury, premier conseiller,
- Mme Carotenuto, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 janvier 2019.
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N° 18MA02274
nc