Procédure devant la cour :
Par deux requêtes, enregistrées le 18 février 2021 sous les numéros 21MA00704 et 21MA00708, la commune de Bagnols-en-Forêt, représentée par Me Merland, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2020 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) d'annuler les titres exécutoires émis le 22 février 2019 et le 15 juin 2020 par le directeur général de l'ONF ;
3°) de mettre à la charge de l'ONF la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les titres exécutoires n'indiquent pas les bases de la liquidation ;
- le site de l'installation de stockage des déchets non dangereux au lieu-dit " les Lauriers " n'est pas soumis au régime forestier ;
- il n'est plus exploité.
Par des observations en défense, enregistrées le 28 octobre 2021, l'ONF, représenté par la SCP de Nervo et Poupet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Bagnols-en-Forêt ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la commune de Bagnols-en-Forêt ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2021, la commune de Bagnols-en-Forêt demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution de l'article 92 de la loi n° 78-1239 du 29 décembre 1978.
Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, le principe d'égalité devant les charges publiques, le principe de nécessité de l'impôt et la libre administration des collectivités territoriales.
Par un mémoire, enregistré le 25 novembre 2021, l'ONF soutient que la question soulevée par la commune de Bagnols-en-Forêt est dépourvue de caractère sérieux.
Les parties ont été informées, dans le dossier 21MA00708, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de la commune de Bagnols-en-Forêt devant le tribunal administratif de Toulon dirigée contre le titre exécutoire du 15 juin 2020, faute d'avoir été précédée d'une réclamation préalable devant l'ONF conformément à l'article R. 772-2 du code de justice administrative.
Un mémoire a été enregistré le 27 décembre 2021, sous le numéro 21MA00708, en réponse à cette mesure d'information pour la commune de Bagnols-en-Forêt.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- le code forestier ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 78-1239 du 29 décembre 1978, notamment son article 92 ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Charre, représentant la commune de Bagnols-en-Forêt, et de Me Poupet, représentant l'Office national des forêts.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Bagnols-en-Forêt fait appel du jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, d'une part, du titre exécutoire du 22 février 2019 par lequel le directeur général de l'ONF a mis à sa charge la somme de 4 839,04 euros au titre de la contribution à l'hectare des frais de garderie et d'administration dus pour l'exercice 2019 et la décision du 14 mai 2019 rejetant sa réclamation, et, d'autre part, le titre exécutoire du 15 juin 2020 mettant à sa charge la somme de 45 728,88 euros au titre du prélèvement sur les produits de la forêt pour le même exercice.
2. Les requêtes de la commune enregistrées sous les numéros 21MA00704 et 21MA00708 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer sur celles-ci par le présent arrêt.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
4. L'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 de finances pour 1979, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, dispose qu' : " à compter du 1er janvier 1996, les contributions des collectivités territoriales, sections de communes, établissements publics, établissements d'utilité publique, sociétés mutualistes et caisses d'épargne aux frais de garderie et d'administration de leurs forêts relevant du régime forestier, prévues à l'article L. 147-1 du code forestier, sont fixées à 12 p. 100 du montant hors taxe des produits de ces forêts ; toutefois, dans les communes classées en zone de montagne, ce taux est fixé à 10 p. 100. / Les produits des forêts mentionnés au premier alinéa sont tous les produits des forêts relevant du régime forestier, y compris ceux issus de la chasse, de la pêche et des conventions ou concessions de toute nature liées à l'utilisation ou à l'occupation de ces forêts, ainsi que tous les produits physiques ou financiers tirés du sol ou de l'exploitation du sous-sol. Pour les produits de ventes de bois, le montant est diminué des ristournes consenties aux acheteurs dans le cas de paiement comptant et, lorsqu'il s'agit de bois vendus façonnés, des frais d'abattage et de façonnage hors taxe. / A compter du 1er janvier 2012, les personnes morales mentionnées au premier alinéa acquittent en outre au bénéfice de l'Office national des forêts une contribution annuelle de 2 € par hectare de terrains relevant du régime forestier et dotés d'un document de gestion au sens de l'article L. 4 du code forestier ou pour lesquels l'office a proposé à la personne morale propriétaire un tel document. / Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. "
5. En premier lieu, la commune de Bagnols-en-Forêt ne fait pas état d'une différence de traitement entre personnes placées dans une même situation. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
6. En deuxième lieu, l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 institue une contribution destinée, conformément à l'article L. 224-1 du code forestier, à financer les missions de service public accomplies gratuitement par l'ONF concernant les bois et forêts appartenant aux personnes morales énumérées au 2° de l'article L. 211-1 du code forestier. Le législateur a entendu inclure dans son assiette l'ensemble des produits tirés des forêts relevant du régime forestier, y compris ceux qui résultent d'activités sans autre lien avec les bois et forêts que leur localisation géographique à l'intérieur d'une zone soumise à ce régime. L'assiette de la contribution n'est donc pas liée à la réalisation des missions de l'ONF définies à l'article L. 224-1 du code forestier. Toutefois, cette contribution n'a pas le caractère d'une redevance pour service rendu, mais celui d'un prélèvement fiscal, qui, par définition, est exigible sans contrepartie. La contribution ne peut donc être inconstitutionnelle du fait de l'absence d'une contrepartie directe pour le contribuable. Le législateur a entendu créer une recette nouvelle au profit de l'ONF, assise sur les capacités contributives des personnes concernées en fonction de l'étendue de leur patrimoine forestier et des ressources qu'elles en tirent. Il s'est ainsi fondé sur des critères objectifs et rationnels, en rapport direct avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit donc être écarté.
7. En troisième lieu, les dispositions de l'article 14 de la Déclaration de 1789 sont mises en œuvre par l'article 34 de la Constitution et n'instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
8. En quatrième lieu, la création d'un prélèvement de 12 % sur l'ensemble des produits des forêts et d'une contribution annuelle de deux euros par hectare de terrain forestier, proportionnels au patrimoine forestier des collectivités territoriales et aux ressources qu'elles en tirent, n'a pas, compte tenu des autres ressources dont elles disposent, pour effet de réduire leurs ressources globales ou de diminuer la part de leurs ressources fiscales et de leurs autres ressources propres au point de porter atteinte à leur libre administration. La commune de Bagnols-en-Forêt n'essaie d'ailleurs pas de le démontrer s'agissant de sa propre situation financière.
9. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée par la commune de Bagnols-en-Forêt ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.
Sur le titre exécutoire du 22 février 2019 :
10. En premier lieu, le titre exécutoire indique pour assiette la surface en hectares des bois et forêts de la commune de Bagnols-en-Forêt relevant du régime forestier et le taux de deux euros appliqué par hectare. Il comporte ainsi les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, conformément à l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Il n'avait pas à mentionner l'intitulé d'un arrêté préfectoral du 13 avril 2007, l'existence d'une installation de stockage des déchets non dangereux, ou encore les références parcellaires de la forêt communale, dès lors que ces éléments ne relèvent pas des bases de la liquidation destinées au calcul de la créance.
11. En deuxième lieu, la surface taxée prévue à l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 est issu d'une installation de stockage des déchets non dangereux située au lieu-dit " les Lauriers ". La commune fait valoir que ce site a été défriché conformément à une autorisation préfectorale du 25 avril 2003, modifiée le 2 juillet 2004, et que cette opération a mis fin à l'application du régime forestier prévu au 2° du I de l'article L. 211-1 du code forestier.
12. Le défrichement d'une parcelle appartenant aux bois et forêts d'une collectivité territoriale est une opération matérielle soumise à une autorisation préfectorale par l'article L. 214-13 du code forestier. La distraction d'une parcelle du régime forestier s'analyse comme l'abrogation de l'acte, aujourd'hui prévu à l'article L. 214-3 du même code, par lequel ces parcelles avaient été soumises à ce régime. Le défrichement d'une parcelle et sa distraction du régime forestier sont deux questions distinctes, qui font l'objet de procédures distinctes. Par suite, une autorisation de défrichement et les opérations autorisées ne peuvent avoir pour objet ou pour effet d'abroger l'acte ayant précédemment soumis les parcelles concernées au régime forestier. Le moyen tiré de ce que le terrain d'assiette du site n'aurait pas été soumis au régime forestier doit donc être écarté.
13. En troisième lieu, les questions relatives à la présence d'une installation de stockage de déchets non dangereux et aux produits qui en sont tirés sont étrangères à l'assiette de la contribution à l'hectare prévue au troisième alinéa de l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978.
14. Il résulte de ce qui précède que la commune de Bagnols-en-Forêt n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande dirigée contre le titre exécutoire du 22 février 2019.
Sur le titre exécutoire du 15 juin 2020 :
15. L'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 de finances pour 1979 institue une contribution due à l'ONF par les collectivités territoriales et certaines autres personnes morales, qui revêt le caractère d'un prélèvement fiscal. En application du deuxième alinéa de l'article R. 772-1 du code de justice administrative, les demandes relatives à cette contribution doivent être présentées selon les règles prévues par ce code, sans préjudice de l'application des principes généraux qui régissent le contentieux fiscal.
16. En vertu de l'article R. 772-2 du même code, les demandes relatives à cette contribution " doivent être précédées d'une réclamation à la personne morale qui a établi la taxe ". En l'absence de texte spécial, cette réclamation doit être présentée " au plus tard le 31 décembre de l'année qui suit celle de la réception par le contribuable du titre d'imposition ou d'un extrait de ce titre ".
17. La demande présentée par la commune de Bagnols-en-Forêt devant le tribunal administratif de Toulon n'a pas été précédée d'une réclamation devant l'ONF, qui a établi la contribution contestée. Quand bien même l'obligation de former ce recours préalable n'a pas été indiquée dans la notification du titre exécutoire contesté, la demande est irrecevable en application des articles R. 772-1 et R. 772-2 du code de justice administrative.
18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Bagnols-en-Forêt n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande dirigée contre le titre exécutoire du 15 juin 2020.
Sur les frais liés au litige :
19. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Bagnols-en-Forêt le versement de la somme de 800 euros à l'ONF au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la commune de Bagnols-en-Forêt sont rejetées.
Article 2 : la commune de Bagnols-en-Forêt versera à l'ONF la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bagnols-en-Forêt et à l'Office national des forêts.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2022, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2022.
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Nos 21MA00704 et 21MA00708