Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 février 2019, la commune d'Ajaccio, représentée par la SELARL Parme Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 20 décembre 2018 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 048 665,63 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le recouvrement de 108 titres de recette portant sur la taxe locale d'équipement s'est trouvé prescrit ; cette absence de recouvrement engage la responsabilité de l'Etat pour faute simple ;
- elle n'a commis aucune négligence qui aurait participé à l'absence de recouvrement litigieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2019, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande porte sur une créance prescrite en application de l'article L. 190 A du livre des procédures fiscales et de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;
- la commune a commis des fautes exonératoires en ne suivant pas l'état du recouvrement de la taxe et en transmettant des informations de mauvaise qualité aux services de l'Etat pour la détermination de l'assiette et la liquidation de la taxe ;
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d'Ajaccio relève appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 3 048 665,63 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'absence fautive de recouvrement de taxes locales d'équipement par les services fiscaux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué et la demande de condamnation :
2. D'une part, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit. Toutefois, aux termes de l'article L. 190 A du livre des procédures fiscales : " (...) la demande de dommages et intérêts résultant de la faute commise dans la détermination de l'assiette, le contrôle et le recouvrement de l'impôt ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l'existence de la créance a été révélée au demandeur. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 274 A du livre des procédures fiscales alors applicable : " En ce qui concerne la taxe locale d'équipement, l'action en recouvrement de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle soit le permis de construire a été délivré ou la déclaration de construction déposée, soit le procès-verbal constatant une infraction a été établi. / (...) ". Aux termes des dispositions de l'article 1723 quater du code général des impôts applicables : " I. La taxe locale d'équipement visée à l'article 1585 A est due par le bénéficiaire de l'autorisation de construire. / (...) / Le premier versement ou le versement unique est exigible à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date de délivrance du permis de construire ou de la date à laquelle l'autorisation de construire est réputée avoir été tacitement accordée. Le second versement est exigible à l'expiration d'un délai de vingt-quatre mois à compter de la même date. / (...) / III. A défaut de paiement de la taxe dans les délais impartis au I, le recouvrement de cette taxe, de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 et de la majoration prévue à l'article 1731 est poursuivi par les comptables publics compétents dans les conditions fixées au titre IV du livre des procédures fiscales. (...) ". Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que celles de l'article L. 274 A du livre des procédures fiscales ont pour objet d'imposer à l'ordonnateur un délai maximum à compter du fait générateur de la taxe pour émettre, à peine de prescription, le titre de recettes, et non pas de fixer au comptable le délai maximum dans lequel il peut procéder au recouvrement des sommes mentionnées sur le titre de recettes, fixé lui par les dispositions de l'article L. 274 du même livre.
4. En l'espèce, la commune d'Ajaccio a été informée, par courrier électronique du 13 décembre 2016, de l'intention du comptable public de procéder à l'apurement de créances de taxes locales d'équipement pour lesquelles il estimait être dans l'impossibilité juridique de diligenter des poursuites compte-tenu de ce que la prescription était acquise au bénéfice du contribuable.
5. Pour l'application des dispositions de l'article L. 190 A du livre des procédures fiscales, la créance dont la commune d'Ajaccio entend se prévaloir dans la présente instance lui a ainsi été révélée par ce courrier du 13 décembre 2016, de telle sorte que son action en réparation du préjudice né de la faute commise par le comptable public à avoir laissé prescrire l'action en recouvrement ne peut porter, sans qu'il soit besoin de se référer aux dispositions de la loi du 31 décembre 1968, que sur les créances pour lesquelles la prescription a été acquise postérieurement au 1er janvier 2014.
6. L'Etat ne se prévaut d'aucun évènement qui serait de nature à justifier ou expliquer l'acquisition de la prescription s'agissant de ces créances, laquelle est de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de la commune d'Ajaccio. Particulièrement et dès lors qu'il n'est pas contesté que la prescription dont il s'agit est celle de l'action en recouvrement du comptable public, les circonstances que les informations nécessaires à la détermination de l'assiette et la liquidation de la taxe auraient été transmises tardivement et de façon peu fiable par la commune d'Ajaccio aux services de la direction départementale de l'équipement chargée des opérations de liquidation n'est pas de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité. Il n'est par ailleurs pas établi que, s'agissant des créances litigieuses, la collectivité aurait fourni des indications relatives aux coordonnées et identités des débiteurs erronés. Il ne saurait par ailleurs lui être reproché, alors qu'elle n'avait pas à intervenir dans la procédure de recouvrement de l'impôt, de ne s'être pas enquise en temps utile de l'état du recouvrement de la taxe auprès du comptable public.
7. Le montant des recettes dont le recouvrement s'est trouvé atteint par la prescription postérieurement au 1er janvier 2014 s'élève, selon le tableau produit par le ministre en charge des comptes publics, à la somme de 161 191 euros. Toutefois, ce dernier fait valoir sans être contredit que la somme de 3 048 665,63 euros mentionnée globalement dans ce tableau, et donc celle de 161 191 euros en cause, comprend, outre la taxe locale d'équipement à proprement parler, perçue au bénéfice de la commune, également les taxes départementales pour le financement des dépenses des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement et pour les espaces naturels sensibles, perçues au bénéfice du département. Eu égard au taux de chacune de ces taxes, la part correspondant à la taxe locale d'équipement s'élève à la somme de 102 343,68 euros.
8. Dès lors qu'en application de l'article 1647 du code général des impôts dans sa version alors applicable, l'Etat effectuait, pour frais d'assiette et de recouvrement, un prélèvement sur le montant de la taxe locale d'équipement correspondant à 4% du montant des recouvrements, le préjudice de la commune d'Ajaccio s'élève au montant du reste à recouvrer abattu de ce pourcentage, soit 98 249,93 euros.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Ajaccio est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande et que l'Etat doit être condamné à lui verser la somme de 98 249,93 euros.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune d'Ajaccio et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Ajaccio du 20 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la commune d'Ajaccio la somme de 98 249,93 euros.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la commune d'Ajaccio au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Ajaccio et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 15 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2021.
N°19MA00856 5