Par un arrêt n°17MA02017 du 28 juin 2019, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la commune de l'Île-Rousse, a, annulé les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 mars 2017, rejeté la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Bastia en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de l'Île-Rousse sur leur demande tendant à la libération de la parcelle B 952 leur appartenant et à ce qu'il soit enjoint à la commune de libérer cette parcelle dans le délai de trois mois sous astreinte, ramené la somme de 5 000 euros que la commune de l'Île-Rousse a été condamnée à verser à M. et Mme B... à 3 000 euros, réformé l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 mars 2017 en ce qu'il a de contraire à cet arrêt, et rejeté le surplus des conclusions de la requête et les conclusions incidentes présentées par M. et Mme B... devant la Cour.
Par une décision n° 433938 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. et Mme B..., a annulé les articles 1er et 2 de l'arrêt du 28 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'ils rejettent les conclusions de M. et Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à la commune de L'Île-Rousse de libérer la parcelle cadastrée section B n° 952 et renvoyé l'affaire dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour après renvoi :
Par un mémoire enregistré le 20 novembre 2020 M. et Mme B..., représentés par Me C..., concluent au rejet de la requête de la commune de l'Ile Rousse en tant qu'elle demande l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia, et demandent que soit mise à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'expropriation ne présenterait aucun caractère d'utilité publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2021, la commune de l'Ile Rousse, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la procédure d'expropriation est en cours et dispose d'un intérêt général suffisant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont propriétaires, dans la commune de L'Île Rousse (Haute-Corse), d'une parcelle, cadastrée section B n° 952, sur laquelle a été aménagée et ouverte à la circulation générale une voie communale constituant le segment nord de la rue du Sergent Canioni. M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, en particulier et d'une part, d'enjoindre à la commune de L'Île-Rousse de libérer leur propriété de cette emprise qu'ils estimaient irrégulière, c'est-à-dire d'y supprimer l'ouvrage public que constitue la voie communale. Ils lui ont demandé, d'autre part, de prononcer la condamnation de cette commune à leur verser une indemnité à raison des conséquences dommageables de l'atteinte portée à leur propriété. Par une décision n° 433938 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. et Mme B..., a annulé les articles 1er et 2 de l'arrêt du 28 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'ils rejettent les conclusions de M. et Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à la commune de L'Île-Rousse de libérer la parcelle cadastrée section B n° 952 et renvoyé l'affaire dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Lorsque le juge administratif est saisi d'un recours de pleine de juridiction tendant à la réparation du dommage causé par une emprise irrégulière, il peut s'il convient de faire droit à cette demande, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre, à titre principal, à l'administration de faire cesser cette emprise. En application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative selon lequel : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision ", la recevabilité d'une telle demande est, toutefois, subordonnée à la présentation par le requérant d'une demande préalable en ce sens auprès de l'administration compétente et au rejet de celle-ci par une décision expresse ou implicite. Le cas échéant, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête.
3. Si dans leur requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Bastia M. et Mme B... ont seulement présenté des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de l'Île-Rousse de libérer la parcelle cadastrée B 952 leur appartenant, sans contester une décision de la commune, ni justifié lui avoir adressé une demande préalable, ils ont, dans un mémoire enregistré par le greffe du tribunal le 14 octobre 2016, produit une lettre datée du 26 septembre 2016 adressée au maire de la commune par laquelle ils lui ont demandé, d'une part, la cessation de l'emprise irrégulière, et, d'autre part, le versement d'une somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice. Les conclusions dirigées contre le refus de faire cesser l'emprise étant absorbées par les conclusions en injonction, les premiers juges ont pu à juste titre se saisir de conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet née de la demande de M. et Mme B..., quand bien même ces derniers n'ont pas expressément présenté de conclusions en ce sens. Dès lors, la commune requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif est irrégulier pour avoir, en prononçant l'annulation du rejet implicite opposé par le maire de l'Île-Rousse à la demande du 3 octobre 2016, statué au-delà des conclusions dont il était saisi.
Sur la recevabilité des demandes de première instance :
4. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les conclusions présentées par M. et Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de l'Île-Rousse de libérer la parcelle cadastrée B 952 leur appartenant étaient recevables dès lors qu'à la date à laquelle les premiers juges ont statué, une décision administrative refusant de faire droit à une telle demande était intervenue.
Sur l'injonction :
5. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
6. Il résulte de l'instruction que, par délibération du 31 mai 2017 adoptée postérieurement au jugement attaqué, le conseil municipal de l'Île-Rousse a décidé de recourir à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique afin de régulariser la bande de terrain en litige au motif que cette voie contribue à la desserte automobile du quartier et que la conservation de cette desserte présente un caractère d'intérêt général et a mandaté le maire à l'effet d'entreprendre toutes diligences à cette fin. Il résulte également de l'instruction que l'enquête publique, dont l'ouverture a été décidée par arrêté préfectoral du 4 avril 2019, s'est déroulée du 30 avril 2019 au 17 mai 2019. Il résulte de la même instruction que, à la date du présent arrêt de la Cour, la déclaration d'utilité publique n'a pas été prise en temps utile, et que donc, cette procédure n'a pas abouti. Au surplus, la partie de la voie soumise à enquête publique, d'une longueur d'environ 35 mètres et d'une largeur moyenne de 5 à 6 mètres, à sens unique, ne peut réellement servir de voie alternative à l'encombrement de l'entrée nord de la ville, ni de voie de délestage des propriétés riveraines, ni se présenter comme " un élément routier essentiel dans le plan de circulation " mis en place par la commune. Au total, l'opération envisagée ne peut être regardée comme présentant un intérêt général suffisant, au regard en particulier des inconvénients apportés aux propriétés riveraines et de l'atteinte à la propriété des requérants. Il en résulte, et alors même que le commissaire enquêteur conclut à son intérêt général, que cette opération ne revêt pas un caractère d'utilité publique suffisant à justifier qu'il soit porté atteinte au droit de propriété des requérants.
7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la commune dirigées contre les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 mars 2017 annulant le rejet implicite opposé par le maire de L'Île-Rousse à la demande du 3 octobre 2016 et enjoignant à la commune de libérer la parcelle B 952 dans le délai de trois mois suivant la notification du présent jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
8. M. et Mme B... n'ayant pas la qualité de partie perdante à l'instance, les conclusions de la commune de l'Ile Rousse fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu sur le fondement des mêmes dispositions de mettre à la charge de la commune de l'Ile Rousse une somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions, à verser à M. et Mme B....
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la commune de l'Ile Rousse tendant à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 mars 2017, et celles fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 2 : Il est mis à la charge de la commune de l'Ile Rousse une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à M. et Mme B....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de l'Île-Rousse et à M. et Mme A... et Nicole B....
Copie du présent arrêt est adressée au préfet de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 19 avril 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. D..., président assesseur,
- M. Merenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mai 2021.
2
N° 20MA02968