Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 mars 2020, M. A... D..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 janvier 2020 ;
2°) de rejeter le déféré présenté par le préfet devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le déféré préfectoral était tardif ;
- il s'en remet à ses moyens et explications de première instance ;
- le terrain ayant déjà été aménagé, une évaluation environnementale serait dépourvue de toute utilité de sorte qu'il ne saurait être reproché une méconnaissance de l'article R. 441-5 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire, enregistré le 6 novembre 2020, la commune de Bonifacio, représentée par Me E..., conclut dans le même sens que M. D... et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le déféré préfectoral était tardif ;
- les dispositions de l'article R. 441-5 du code de l'urbanisme n'ont pas été méconnues ; en tout état de cause, leur méconnaissance est susceptible de régularisation ;
- le projet s'inscrit en continuité d'un village et respecte les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ;
- le projet s'inscrit dans un secteur d'enjeu régional et satisfait aux dispositions de l'article L. 121-13 du même code ;
- ces parcelles qui ont régulièrement fait l'objet de travaux ne doivent pas être laissées en friche.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... relève appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia, saisi par le préfet de la Corse-du-Sud, a annulé l'arrêté en date du 7 décembre 2018 du maire de la commune de Bonifacio, délivrant à M. D... et ses cohéritiers un permis d'aménager un lotissement de dix-neuf lots sur des parcelles d'une superficie totale de 134 584 m2 au lieu-dit Gurgazo.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. ". Aux termes du 1er alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. ". Aucune disposition ne déroge à cette dernière règle lorsque la demande est adressée à l'autorité administrative par le préfet. Ainsi, sans que n'ait d'incidence la circonstance que le bénéficiaire de la décision contestée n'en ait pas été informé, l'intervention d'une décision explicite rejetant un recours gracieux préfectoral avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant l'intervention d'une décision implicite de rejet de ce recours fait à nouveau courir le délai de deux mois fixé par l'article R. 421-2 du code de justice administrative. Le principe de sécurité juridique n'en est pas pour autant méconnu.
3. En l'espèce, le préfet de la Corse-du-Sud a reçu le 26 avril 2019 une lettre du maire de Bonifacio rejetant le recours gracieux que ce dernier avait reçu le 12 février 2019 dans le délai de deux mois suivant la transmission du permis d'aménager litigieux au représentant de l'Etat. Cette lettre, même si elle était confirmative du rejet tacite né le 12 avril 2019 du silence gardé pendant deux mois par le maire, a, conformément à l'article R. 421-2 du code de justice administrative et alors même qu'elle n'aurait été transmise à la préfecture que par courrier électronique, fait courir un nouveau délai de deux mois pendant lequel l'acte contesté pouvait faire l'objet d'un déféré. Ainsi, le déféré introduit par le préfet de la Corse-du-Sud à l'encontre du permis de construire litigieux, qui a été enregistré le 26 juin 2019 au greffe du tribunal administratif de Bastia, n'était pas tardif. Par suite, M. D... et la commune de Bonifacio ne sont pas fondés à soutenir qu'il était irrecevable.
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article R. 441-5 du code de l'urbanisme :
4. Aux termes de l'article R. 441-5 du code de l'urbanisme : " Le dossier joint à la demande de permis d'aménager comprend en outre, selon les cas : / 1° L'étude d'impact ou la décision de l'autorité environnementale dispensant le projet d'évaluation environnementale lorsque le projet relève du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme vérifie que le projet qui lui est soumis est conforme aux mesures et caractéristiques qui ont justifié la décision de l'autorité environnementale de ne pas le soumettre à évaluation environnementale ; / (...). ". En application du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, plus précisément de son point 39. b), les opérations d'aménagement dont le terrain d'assiette est supérieur ou égal à 10 ha sont soumises à une évaluation environnementale.
5. Il n'est pas contesté que la superficie du terrain d'assiette de l'opération d'aménagement litigieuse est supérieure à 10 ha. Il s'ensuit, alors même que les travaux d'aménagement ont déjà été achevés en vertu d'une précédente autorisation d'urbanisme, que le dossier joint à la demande de permis d'aménager devait comporter une évaluation environnementale. La décision contestée, qui accorde le permis malgré l'absence d'une telle évaluation, méconnaît dès lors, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, les dispositions de l'article R. 411-5 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. Aucune construction ne peut en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales : " I. - Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut préciser les modalités d'application, adaptées aux particularités géographiques locales, du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l'urbanisme sur les zones littorales et du chapitre II du titre II du livre Ier du même code sur les zones de montagne. / Les dispositions du plan qui précisent ces modalités sont applicables aux personnes et opérations qui sont mentionnées, respectivement, aux articles L. 121-3 et L. 122-2 dudit code. / (...) ". Aux termes de ces dernières dispositions : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, la réalisation de remontées mécaniques et l'aménagement de pistes, l'ouverture des carrières, la recherche et l'exploitation des minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. ". Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse précise les modalités d'application des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. Il prévoit ainsi que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'il constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral.
8. Il appartient donc à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation du sol mentionnée à l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet aux dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, au regard de ces prescriptions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.
9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les parcelles d'assiette du projet se situent en continuité du lieu-dit Gurgazo, à plusieurs kilomètres du centre-ville de Bonifacio dont il est séparé par un vaste espace naturel. Si ce lieu-dit est identifié comme une " tache urbaine " sur la cartographie du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, il ne rassemble qu'un petit nombre de constructions éparses et de faible densité autour d'une anse littorale dotée de quelques pontons d'amarrage. Quand bien même s'y trouveraient deux hôtels ainsi qu'un service de location de bateaux, il ne constitue ni un village ni une agglomération au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme telles que précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse. Aucune extension de l'urbanisation ne peut ainsi y être autorisée. Il s'ensuit, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que le projet méconnait ces dernières dispositions.
En ce qui concerne l'application de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme :
10. Selon l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article L. 321-2 du code de l'environnement est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une opération conduisant à étendre l'urbanisation d'un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d'une part, de caractère limité, et, d'autre part, justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme selon les critères qu'elles énumèrent. Cependant, lorsqu'un schéma de cohérence territoriale ou un des autres schémas mentionnés par les dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l'extension de l'urbanisation dans l'espace proche du rivage dans lequel l'opération est envisagée, le caractère limité de l'urbanisation qui résulte de cette opération s'apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné.
11. Les dispositions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, qui vaut schéma de mise en valeur de la mer, comportent des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui soulignent que toute extension limitée de l'urbanisation doit être prévue, justifiée et motivée dans un document d'urbanisme local, faire l'objet d'un projet d'aménagement d'ensemble et être effectuée au service d'une amélioration de la mixité des fonctions urbaines et de l'habitat, en répondant notamment à un besoin en habitat permanent. Le caractère limité de l'extension doit être apprécié au regard de l'importance du projet, de son implantation par rapport aux espaces urbanisés et au rivage, de ses caractéristiques et fonctions et de la sensibilité des sites.
12. En l'espèce, il n'est pas contesté que les parcelles d'assiette du projet, situées à proximité immédiate de la côte, constituent un espace proche du rivage. Or, l'extension de l'urbanisation projetée n'est ni justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, ni intégrée dans un projet d'aménagement d'ensemble en vue d'une amélioration de la mixité des fonctions urbaines et de l'habitat, alors même que le hameau de Gurgazo est situé dans un secteur identifié d'enjeu régional par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse. Le projet, qui vise à l'aménagement, sur un terrain de 126 252 m2, d'un lotissement comportant dix-neuf lots destinés à accueillir des maisons individuelles, d'une surface de plancher envisagée de 8 350 m2, ne revêt pas, eu égard à son importance, sa fonction et sa situation, telle qu'évoquée ci-dessus au point 9, un caractère limité. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, il méconnaît donc également les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme.
13. Dès lors, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que les vices tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-13 du code de l'urbanisme ne sont pas susceptibles d'être régularisés, il résulte de tout ce qui précède que M. D... et la commune de Bonifacio ne sont pas fondés, alors même que les parcelles concernées sont déjà aménagées, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté litigieux.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par M. D... et la commune de Bonifacio et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bonifacio au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à la commune de Bonifacio et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 3 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2021.
N° 20MA01044 2