Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2020, et un mémoire, enregistré le 13 décembre 2021, l'association Lutte pour un football populaire, représentée par Me Barthélémy, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1709729 du 16 décembre 2019 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2017 du préfet de police des Bouches-du-Rhône ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant en première instance qu'en appel.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas sérieusement répondu au moyen tiré de l'absence de risques de troubles graves à l'ordre public ;
- le jugement est irrégulier et méconnaît le principe du contradictoire ; le préfet qui n'a pas produit de mémoire en défense a implicitement mais nécessairement acquiescé au moyen tiré de l'absence de risques de troubles graves à l'ordre public ; le tribunal n'a pas mis en œuvre ses pouvoirs d'instruction ;
- le jugement est entaché de dénaturation des pièces du dossier ;
- le tribunal a commis une erreur de fait et une erreur de droit dès lors que la réalité d'une insuffisante disponibilité des effectifs de police n'est pas démontrée ;
- il a également commis une erreur de fait et une erreur de droit quant à l'impossibilité de prendre des mesures moins contraignantes ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en écartant le moyen tiré de la tardiveté de l'arrêté alors même qu'aucune circonstance ne la justifiait ;
- la mesure de police n'est ni justifiée ni proportionnée ; l'existence de risques de troubles graves à l'ordre public n'est pas établie ; la réalité d'une insuffisante disponibilité des effectifs de police n'est pas démontrée ; l'ordre public pouvait être garanti par des mesures moins contraignantes ;
- le préfet de police des Bouches-du-Rhône n'a ni consulté le référent des supporters ni noué un dialogue avec les associations de supporters ;
- la mesure de police a été prise trop tardivement, ce qui méconnaît sa finalité même.
Par un mémoire en défense, enregistré 11 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête présentée par l'association Lutte pour un football populaire.
Il soutient que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Par une ordonnance du 13 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 janvier 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Balaresque,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 décembre 2017, publié le 7 décembre suivant, le préfet de police des Bouches-du-Rhône a, à l'occasion de la rencontre sportive devant avoir lieu le 10 décembre 2017 à Marseille entre le club de l'association sportive Saint-Etienne (ASSE) et celui de l'Olympique de Marseille (OM), interdit à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'ASSE ou se comportant comme tel l'accès au stade Orange Vélodrome de Marseille et à ses abords du dimanche 10 décembre à 8h au lundi 11 décembre 2017 à 4h. L'association Lutte pour un football populaire (LFP) relève appel du jugement n° 1709729 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ont répondu de façon suffisamment précise à l'ensemble des moyens qui étaient soulevés devant eux. En particulier, ils ont précisément exposé au point 5 du jugement attaqué, les motifs de droit et de fait pour lesquels ils ont estimé infondé le moyen tiré de ce que la mesure de police n'était ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée. Dans ces conditions, l'association n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une insuffisance de motivation.
4. En deuxième lieu, si l'association requérante soutient que les premiers juges auraient dû faire usage de leurs pouvoirs d'instruction dès lors que la partie adverse n'a pas produit de mémoire en défense, la mise en œuvre du pouvoir d'instruction constitue toutefois un pouvoir propre du juge qui n'est ainsi jamais tenu d'y faire droit, a fortiori si, comme en l'espèce, il s'estime suffisamment éclairé au vu des pièces du dossier sur les faits portés à sa connaissance. Il ne résulte, par ailleurs, ni des dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative ni d'aucune autre disposition ou principe que le juge serait tenu, à peine d'irrégularité de sa décision, de mettre en demeure les parties qui ne l'ont pas fait de produire un mémoire et de mettre en œuvre les dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative relatives à l'acquiescement aux faits. L'absence de production d'un mémoire en défense par le préfet devant le tribunal ne traduit pas, par elle-même, une méconnaissance par le tribunal administratif du principe du caractère contradictoire de la procédure. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en l'absence de production d'un mémoire du préfet de police des Bouches-du-Rhône en première instance doit être écarté.
5. En dernier lieu, si l'association requérante soutient que les premiers juges ont commis des erreurs de fait ou de droit, ou ont dénaturé les pièces du dossier, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du jugement, sont sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. En premier lieu, l'association requérante reprend en appel le moyen tiré de ce que le préfet de police des Bouches-du-Rhône n'a ni consulté le référent des supporters ni noué un dialogue avec les associations de supporters. Toutefois, et ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, de telles procédures ne sont imposées ni par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne sur la violence de spectateurs et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives du 19 août 1985 ni par celles des articles 6 et 8 de la convention du Conseil de l'Europe sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matches de football du 3 juillet 2016, qui sont au demeurant dépourvues d'effet direct, dès lors qu'elles ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que des réunions préparatoires ont été organisées préalablement à l'édiction de l'arrêté contesté, les 20 et 30 novembre 2017, la première s'étant déroulée en présence d'un représentant de l'association sportive de Saint-Etienne (ASSE) et la seconde à la suite d'échanges entre les services préfectoraux et les représentants de cette association, qui ont indiqués à cette occasion ne pas être en mesure de limiter le nombre de supporters " ultras ", si le déplacement encadré de leurs supporters était autorisé. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré du vice de procédure doit donc être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 332-16-2 du code du sport : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique (...) ". Les interdictions que le représentant de l'Etat dans le département peut décider, sur le fondement de ces dispositions, présentent le caractère de mesures de police. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public.
8. Il ressort des termes de l'arrêté contesté, pris sur le fondement de ces dispositions à l'occasion de la rencontre devant avoir lieu le 10 décembre 2017 à Marseille entre le club de l'Association sportive Saint-Etienne (ASSE) et celui de l'Olympique de Marseille (OM), qu'un antagonisme ancien existe entre les supporters de ces deux clubs de football et que des incidents violents sont survenus à plusieurs reprises, en marge de rencontres opposant ces équipes. Si l'autorité préfectorale n'a expressément mentionné et détaillé dans l'arrêté contesté que les incidents qui ont émaillé la rencontre Saint-Etienne-Olympique de Marseille du 30 novembre 2016, au cours de laquelle des projectiles et des engins pyrotechniques ont été jetés par les supporters marseillais à l'encontre des forces de l'ordre, il ressort des pièces du dossier, et notamment des deux notes des services de renseignements précises et circonstanciées, soumises au débat contradictoire devant la Cour, qu'en février et septembre 2014, des incidents violents avaient opposé des supporters stéphanois et marseillais lors de précédentes rencontres entre l'ASSE et l'OM, que le 5 novembre 2017, lors d'une rencontre opposant l'ASSE à l'Olympique lyonnais, des supporters stéphanois ont envahi le terrain, provoquant l'interruption du match et l'intervention des forces de sécurité et que le 19 novembre 2017, lors d'une rencontre opposant le F.C Girondins de Bordeaux et l'OM, des supporters stéphanois se sont joints aux supporters " ultramarines " bordelais pour affronter physiquement les supporters marseillais. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, ces éléments factuels précis, qui révèlent des comportements agressifs, violents et répétés dans la période récente de certains supporters stéphanois ainsi que l'inimitié particulière qui règne entre les supporters de l'ASSE et ceux de l'OM, suffisent à démontrer le risque de troubles graves à l'ordre public pouvant résulter d'une confrontation entre ces derniers. Il ressort en outre des pièces du dossier, en particulier du compte-rendu de la deuxième réunion relative au dispositif de sécurité pour ce match de football qui s'est tenue le 30 novembre 2017 que la disponibilité des forces de police, dans une période où le risque d'attentat était particulièrement élevé, était insuffisante, une seule unité de forces mobiles étant disponible pour assurer les missions de sécurité liées à la manifestation sportive en lieu et place des trois unités requises par la direction départementale de sécurité publique des Bouches-du-Rhône. Par ailleurs, il résulte des termes mêmes de l'arrêté contesté que la portée de la mesure d'interdiction édictée était limitée à la fois dans le temps, soit le 10 décembre de 8 heures au lundi 11 décembre 2017 à 4 heures, et dans un périmètre géographique restreint aux abords immédiats du stade. Enfin, eu égard en particulier au caractère récent des derniers affrontements entre les supporters de l'ASSE et de l'OM, l'arrêté contesté du 5 décembre 2017, bien qu'il n'ait été publié que le 7 décembre suivant, soit trois jours avant son entrée en vigueur, a été pris en temps utile. Dans ces conditions, et alors qu'il n'apparaît pas que des mesures moins contraignantes que celles édictées par cet arrêté auraient été de nature à éviter la survenance des troubles graves à l'ordre public susceptibles de se produire, la mesure de police contestée était nécessaire, adaptée et proportionnée.
9. En dernier lieu, si la circulaire du ministre de l'intérieur du 18 novembre 2019 contient d'utiles et nécessaires recommandations quant aux conditions limitatives d'utilisation des pouvoirs dévolus aux autorités préfectorales par les dispositions susmentionnées de l'article L. 332-16-2 du code du sport, l'association requérante ne saurait en tout état de cause se prévaloir de ces recommandations pour contester l'arrêté d'interdiction en litige pris par le préfet de police des Bouches-du-Rhône.
10. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2017.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'association Lutte pour un football populaire est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Lutte pour un football populaire (LFP) et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à la préfète de police des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 28 février 2022, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.
2
N° 20MA00652