Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2020, la SARL Brasserie Le Virginie, représentée par la SCP Delplancke-Lagache-Pozzo di Borgo-Rometti et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 décembre 2019 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition en litige et pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée et comporte des incohérences en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et de la doctrine administrative ;
- en application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales, elle doit être déchargée de la totalité des impositions en litige ;
- la reconstitution des recettes ne tient pas compte du chiffre d'affaires réalisé dans le cadre de son activité traiteur ;
- le coefficient " chiffre d'affaires des liquides sur chiffre d'affaires total " est erroné, le service ayant omis de retenir certaines boissons significatives ainsi que les boissons comprises dans les menus servis, tous les midis, aux gendarmes ;
- les premiers juges ont considéré, à tort, que la reconstitution qu'elle proposait ne pouvait être tenue pour exacte au motif qu'elle portait sur la période d'avril à décembre 2008, alors que le vérificateur s'est fondé sur cette même période.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carotenuto,
- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Brasserie Le Virginie, qui exploite un bar-restaurant, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale, après avoir écarté la comptabilité et procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires, a, en dernier lieu, notifié à la société un rehaussement d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos 2009 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2009, assortis de pénalités. La SARL Brasserie Le Virginie relève appel du jugement du 26 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.
3. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 19 décembre 2012 accompagnée d'annexes sur supports papier et informatique compilant les données des fichiers analysés, décrit la procédure suivie, les motifs du rejet de la comptabilité, la méthode de détermination du montant des recettes omises ainsi que les conséquences de ces omissions en ce qui concerne les différentes catégories d'impôts rehaussés et expose ainsi de manière suffisamment détaillée les motifs de droit et de fait à l'origine des redressements envisagés pour permettre au contribuable de présenter utilement ses observations. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la motivation de proposition de rectification du 19 décembre 2012 dont elle a été destinataire ne répondait pas aux exigences de l'article L. 57 précité du livre des procédures fiscales. La circonstance que l'annexe 1 de la proposition de rectification comporterait une incohérence " entre deux éléments retenus pour le total produits " relève, en tout état de cause, du bien-fondé de ses motifs et, par conséquent, est sans incidence sur sa régularité.
4. En second lieu, la SARL Brasserie Le Virginie ne peut invoquer sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales la documentation administrative référencée BOI-CF-IOR-10-40 qui est relative à la procédure d'imposition.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que la procédure mise en œuvre à l'encontre de la SARL Brasserie Le Virginie n'est entachée d'aucune irrégularité. Par suite, la société requérante ne saurait demander l'application des dispositions de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité
6. Il convient de confirmer, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, au point 2 du jugement attaqué, le caractère régulier du rejet par l'administration fiscale de la comptabilité présentée par la SARL Brasserie Le Virginie lors des opérations de vérification et regardée comme non probante, en raison des graves irrégularités qui l'affectent.
En ce qui concerne la charge de la preuve :
7. Aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article R. 60-3 du même livre : " L'avis ou la décision de la commission départementale doit être motivé. Il est notifié au contribuable par l'administration des impôts ". Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les rappels d'impôt que l'administration envisage de mettre à la charge d'un contribuable ne peuvent être regardés comme établis conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'à la condition que la commission ait expressément entériné les bases d'imposition notifiées par le service et, d'autre part, que lorsque la commission estime qu'elle n'est pas en mesure d'émettre, en l'état du dossier qui lui est soumis par l'administration, un avis sur les redressements envisagés par celle-ci, il lui appartient de procéder à un supplément d'instruction.
9. A l'issue de sa séance du 26 janvier 2015, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, après avoir confirmé le rejet de la comptabilité, a été d'avis de retenir un pourcentage de pertes et d'offerts à 2 %. Elle a, par ailleurs, relevé des erreurs et a invité les parties à se rapprocher pour fixer les bases en tenant compte des remarques effectuées. Il ne résulte pas de l'instruction que cette commission se soit de nouveau réunie postérieurement à cet avis. En l'absence d'un avis entérinant expressément les bases d'imposition notifiées par le service dans une lettre du 14 avril 2015, la charge de la preuve repose sur l'administration.
En ce qui concerne la reconstitution des recettes :
10. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société, le vérificateur a mis en œuvre la méthode dite " des liquides ", portant sur les vins, champagnes et boissons " soft " vendus en bouteilles et non au verre. Le vérificateur a évalué le ratio entre les recettes des boissons en bouteilles et les recettes totales à partir des brouillards de caisse dont il disposait pour la période d'avril à décembre 2008 et a déterminé le montant des recettes correspondant aux achats de produits revendus, en tenant compte des stocks, ainsi que des pertes et offerts, fixés en dernier lieu à 4 %, avant d'appliquer à ces recettes, pour évaluer le chiffre d'affaires total de la société, le ratio précédemment mentionné évalué à 9,7 %.
11. En premier lieu, la SARL Brasserie Le Virginie soutient que le vérificateur aurait dû tenir compte des conditions d'exercice de son activité de traiteur. Toutefois, il résulte de l'instruction que lors des opérations de contrôle, le vérificateur n'a trouvé aucune trace d'une telle activité de traiteur dans la comptabilité ni dans aucun autre document. En outre, les données comptables produites en appel, relatives à l'activité de traiteur de la société, sont éditées postérieurement au contrôle, le 6 février 2020, et si la société requérante produit également, pour les besoins de l'instance, des factures et devis relatifs à cette activité, elle ne justifie ni la réalisation ni le paiement desdites prestations.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 19 décembre 2012, que pour déterminer le montant du chiffre d'affaires, le vérificateur s'est fondé sur les achats revendus de l'ensemble de l'exercice en litige du 1er avril 2008 au 31 mars 2009, seul le ratio ayant été fixé à partir des brouillards de caisse pour la période d'avril à décembre 2008. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les éléments de reconstitution proposés par la société requérante, qui se fondent exclusivement sur les achats revendus entre la période d'avril à décembre 2008, ne pouvaient être tenus pour exacts.
13. En troisième lieu, la société requérante fait valoir que le ratio entre chiffre d'affaires liquides sur chiffre d'affaires total doit être fixé à 12,5 %, en tenant compte non des seules ventes de vins et champagnes en bouteilles, mais de l'ensemble des boissons, y compris celles servies au verre, qui représenterait des recettes supplémentaires de 23 406,30 euros, ainsi que des boissons assortissant les menus servis aux gendarmes. Toutefois, pour déterminer ce ratio, la société s'est fondée exclusivement sur les achats revendus pour la période d'avril à décembre 2008, alors que le vérificateur a retenu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, les achats revendus de l'ensemble de l'exercice. Ainsi, les données chiffrées proposées par la société requérante ne sont pas représentatives des conditions d'exercice de son activité sur l'ensemble de l'exercice en litige et ne permettent pas de contredire utilement la réponse de l'interlocuteur régional du 23 novembre 2015 selon laquelle la correction résultant de la prise en compte de la consommation des boissons servies au verre, portant les recettes à un montant de 38 097 euros et le chiffre d'affaires total des boissons à la somme de 170 024 euros, serait au désavantage de la société. Par ailleurs, les factures produites des 1er mai, 5 juin, et 30 août 2008 portent la seule mention du nombre de repas facturés aux gendarmes de la caserne " Nau " à Nice, dont des déjeuners et dîners, sans aucune précision sur les boissons supposées accompagner les menus.
14. Il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qui lui incombe que la méthode utilisée par elle, qui s'appuie sur les conditions d'exploitation de l'établissement, n'est ni excessivement sommaire, ni radicalement viciée.
15. Il résulte de tout ce qui précède, que la SARL Brasserie Le Virginie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Brasserie Le Virginie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Brasserie Le Virginie et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 3 mars 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Bernabeu, présidente assesseure,
- Mme Carotenuto, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.
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N° 20MA00893