Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 5 septembre 2018, le 17 et le 24 septembre 2019, Mme D..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 juillet 2018 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 210 000 euros, assortie des intérêts à compter du 28 février 2008 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat et de la commune d'Aix-en-Provence, ainsi que la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- sa créance n'est pas prescrite ;
- la responsabilité de la commune est engagée en raison des fautes suivantes :
- elle a délivré à tort des licences à des établissements de nuit ;
- elle n'a pas pris de mesures pour mettre fin aux nuisances sonores engendrées par les établissements sous les enseignes " O'Shannon " et " Le Scat " ;
- elle a refusé d'abroger les autorisations d'occupation du domaine public dont bénéficiait l'établissement " O'Shannon " ;
- elle aurait dû saisir le préfet en vue de provoquer la fermeture administrative de l'établissement ;
- elle n'a pas signalé au procureur de la République les infractions commises par les établissements " O'Shannon " et " Le Scat " ;
- elle a saisi tardivement le préfet de police des Bouches-du-Rhône en vue d'avancer l'heure de fermeture des débits de boissons et des restaurants ;
- la police municipale n'assure pas la sécurité des riverains de la rue de la Verrerie la nuit ;
- cette rue est jonchée de détritus après la fermeture nocturne des débits de boissons et des restaurants ;
- le nettoyage matinal de la rue par les services municipaux est bruyant ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des fautes suivantes :
- l'arrêté préfectoral du 19 février 2009 fixant l'horaire de fermeture des débits de boissons et des restaurants à 2h00 est illégal ;
- cet horaire a été tardivement avancé à 0h30 par un arrêté du 11 janvier 2016, puis par un arrêté du 16 août 2016 ;
- le préfet n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer le respect des arrêtés des 19 février 2009, 23 octobre 2012, 11 janvier 2016, 29 janvier 2016 et 16 août 2016 ;
- il n'a pas signalé au procureur de la République les infractions commises par les établissements " O'Shannon " et " Le Scat " ;
- il aurait dû prononcer la fermeture administrative de ces établissements
- les préjudices dont elle demande l'indemnisation sont établis et en lien direct et certain avec les fautes invoquées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 août 2019, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par Mme D... ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle ne comporte aucune critique de la motivation du jugement attaqué ;
- la créance invoquée par Mme D... est prescrite en tant qu'elle porte sur la période antérieure au 1er janvier 2010 ;
- elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les faits allégués ne sont pas établis ;
- les préjudices invoqués ne sont pas établis ;
- ils ne sont pas en lien direct et certain avec les fautes invoquées ;
- la faute de tiers est de nature à l'exonérer de sa responsabilité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête présentée par Mme D....
Il se réfère aux mémoires produits par le préfet des Bouches-du-Rhône en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Laydevant, substituant Me F..., avocat de Mme D..., et de Me C..., substituant Me B..., avocat de la commune d'Aix-en-Provence.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a résidé dans un appartement situé 16 rue de la Verrerie à Aix-en-Provence qu'elle a acquis le 3 octobre 2000 et cédé le 3 novembre 2015. La rue de la Verrerie est située en centre-ville, dans un quartier de ruelles étroites à la vie nocturne très animée, comportant de nombreux débits de boissons et restaurants destinés notamment à une clientèle jeune dans une ville où résident de nombreux étudiants.
2. Mme D... fait appel du jugement du 18 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune d'Aix-en-Provence à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de troubles à la tranquillité publique.
Sur la responsabilité de la commune et de l'Etat :
En ce qui concerne les troubles à la tranquillité publique dans la rue de la Verrerie :
3. Par un arrêté du 19 février 2009 pris sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 2215-3 du code général des collectivités territoriales, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté l'heure de fermeture des débits de boissons à consommer sur place et des restaurants implantés sur la commune d'Aix-en-Provence de minuit trente à deux heures du matin.
4. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'état des informations alors disponibles, qui ne sont d'ailleurs pas discutées, le préfet des Bouches-du-Rhône ait initialement commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en adoptant cet arrêté. En outre, les pièces du dossier ne révèlent pas que les établissements concernés n'auraient pas respecté cet horaire de fermeture. Le moyen tiré de la carence de l'Etat concernant le respect de cet arrêté doit donc être écarté.
5. Afin de remédier aux nuisances notamment subies par les habitants du centre-ville, la maire d'Aix-en-Provence a édicté, le 15 novembre 2012, un arrêté relatif aux bruits de voisinage, dont l'article 6 prévoit que les établissements ouverts au public doivent prendre toutes mesures utiles pour que le bruit émanant de ces établissements ne puisse troubler le repos ou la tranquillité du voisinage. Elle a engagé au premier trimestre 2013 une dizaine de réunions de sensibilisation avec les acteurs concernés. Le conseil municipal a adopté en juin 2013 une " charte de la vie nocturne ", que le syndicat local de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie a cependant refusé de signer. Elle a édité un dépliant de rappel des règles de civisme destiné aux jeunes, y compris sur le bruit. Elle a modifié les dispositions des permis de stationnement autorisant l'installation de terrasses sur le domaine public, afin de limiter les causes de bruit. Les établissements du centre-ville ont également fait l'objet de contrôles sur la législation relative au bruit par un inspecteur de la salubrité entre 2013 et 2015. Il résulte également de l'instruction que la police municipale donne systématiquement suite aux appels des riverains concernant les nuisances dans la rue de la Verrerie. La maire a finalement demandé aux services de l'Etat le 20 mai 2015 d'abroger l'arrêté préfectoral du 19 février 2009.
6. En raison de la persistance des nuisances, le préfet de police des Bouches-du-Rhône, par un arrêté du 29 janvier 2016, puis par un arrêté du 16 août 2016, a ramené de deux heures du matin à minuit trente l'horaire de fermeture des débits de boissons à consommer sur place et des restaurants de certaines rues d'Aix-en-Provence, dont la rue de la Verrerie.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la commune d'Aix-en-Provence a entrepris successivement plusieurs actions afin de lutter contre les nuisances, notamment sonores, subies par les riverains des rues les plus animées du centre-ville, en recherchant d'abord les mesures les moins contraignantes. En exerçant ces actions, quand bien même elles n'ont pas permis de remédier aux nuisances qu'elles visaient, la maire n'a pas commis de faute dans l'exercice des pouvoirs de police générale qu'elle tient du 2° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. L'Etat n'a pas non plus commis de faute de nature à engager sa responsabilité en s'abstenant de se substituer au maire en matière de police de la tranquillité publique.
8. Compte tenu des mesures successivement mises en oeuvre par la commune d'Aix-en-Provence et des délais inhérents à l'appréciation de la situation et à l'adoption d'une telle réglementation, le préfet de police des Bouches-du-Rhône n'a pas non plus commis de faute en abrogeant son arrêté du 19 février 2009 au cours de l'année 2016.
9. Enfin, les circonstances postérieures à la vente de l'appartement de Mme D... le 2 novembre 2015 sont dépourvues de lien de causalité avec les préjudices invoqués.
En ce qui concerne l'activité de certains établissements :
10. Mme D... se plaint de l'établissement à l'enseigne " O'Shannon ", un pub irlandais situé 30 rue de la Verrerie, à l'angle de cette rue avec la rue des Marseillais où est située sa terrasse. Cet établissement est en conflit avec ses riverains immédiats, notamment une membre du comité d'intérêt de quartier résidant au 16 bis rue des Marseillais. Ainsi qu'il a été dit, l'appartement occupé par Mme D... est, quant à lui, situé dans un immeuble au 16 rue de la Verrerie, à l'angle formé par celle-ci avec la rue des Cordeliers. Les bâtiments de la rue de la Verrerie s'intercalent entre cet immeuble et le coude formé avec la rue des Marseillais, dont il est distant d'approximativement cinquante mètres. Mme D... ne s'est pas associée aux plaintes des riverains et n'a pas contacté la police municipale concernant le pub " O'Shannon ". Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices invoqués soient en lien avec l'activité de ce dernier. Il en va de même concernant les conditions d'occupation du domaine public par la terrasse de l'établissement.
11. Mme D... conteste, en outre, l'inaction des autorités publiques concernant l'établissement à l'enseigne " Le Scat ", une discothèque dont l'entrée est située au 11 rue de la Verrerie. Cet établissement n'est pas mentionné dans les plaintes de riverains produites par Mme D... à l'appui de sa requête. Il n'est pas non plus mentionné dans l'extrait des évènements de main courante relevé par la police municipale au cours de l'année 2015. Les attestations et les témoignages produits par Mme D... font état, de façon générale, des nuisances imputées au fonctionnement de cet établissement de nuit, sans mettre en évidence des faits précis susceptibles de justifier une mesure individuelle de police. Ni la commune, ni l'Etat n'ont commis de faute en s'abstenant de prononcer une telle mesure.
En ce qui concerne les autres fautes invoquées :
12. L'infraction de tapage nocturne réprimée par l'article R. 623-2 du code pénal et les infractions aux règlements de police relèvent de la catégorie des contraventions. Elles n'entrent donc pas dans le champ du deuxième alinéa l'article 40 du code de procédure pénale. Le moyen tiré de ce que les autorités de la commune et de l'Etat auraient commis une faute en ne communiquant pas au procureur de la République les infractions dont elles auraient eu connaissance ne peut ainsi qu'être écarté.
13. Si la rue de la Verrerie est régulièrement salie par des détritus après l'horaire de fermeture des débits de boissons et des restaurants, il est constant que les services municipaux procèdent à son nettoyage tôt le matin. Ni cette circonstance, ni les bruits habituels émis par les activités de nettoyage ne révèlent une faute de la part de la commune.
14. Enfin, le moyen tiré de ce que la commune aurait délivré à tort des " licences " aux établissements concernés et celui tiré de ce que la police municipale n'assurerait pas la sécurité des riverains la nuit ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Il n'est, dès lors, pas nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune en défense.
Sur les frais liés au litige :
16. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de Mme D... le versement de la somme de 2 000 euros à la commune d'Aix-en-Provence au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
17. La commune d'Aix-en-Provence et l'Etat ne sont pas parties perdantes dans la présente instance. Les dispositions de cet article font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Mme D... sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Mme D... versera à la commune d'Aix-la-Provence la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre de l'intérieur et à la commune d'Aix-en-Provence.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020, où siégeaient :
- Mme G..., présidente de la cour,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2020.
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No 18MA04126