Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 avril 2019, 13 août 2019 et 15 décembre 2020, la SCI B2M, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 14 février 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le préfet devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- dès lors que le dossier de demande a été transmis à la direction départementale des territoires et de la mer le 21 juin 2016 au titre de l'obligation fixée par l'article R. 423-7 du code de l'urbanisme, et qu'en tout état de cause le préfet avait connaissance acquise du permis tacite obtenu au cours de l'année 2016, le délai imparti au préfet pour déférer ledit permis, dont la décision du 22 mai 2018 n'était que confirmative, était échu à la date d'introduction de la demande devant le tribunal ; en tout état de cause, le principe de sécurité juridique, eu égard au délai écoulé depuis que le préfet avait pris connaissance du permis tacite, faisait obstacle à la recevabilité de la demande ;
- la commune a acquiescé aux faits quant à l'implantation de la construction en continuité d'un village ou d'une agglomération au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans l'instance relative au refus préalablement opposé le 10 octobre 2016 ; le préfet ne peut plus remettre en cause cette appréciation ;
- le terrain d'assiette est en zone urbanisée sans rupture importante, caractéristique de la morphologie urbaine de la commune ; il est en zone urbaine du plan local d'urbanisme ; la construction viendrait renforcer cette zone sans étendre l'urbanisation ; elle respecte les dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-13 du code de l'urbanisme telles que précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, sans qu'il soit besoin de se référer aux notions de village et d'agglomération ;
- le préfet n'a pas contesté la légalité d'autorisations délivrées pour des constructions sur des terrains avoisinants ; l'appréciation évolutive de l'application de la loi méconnaît le principe de sécurité juridique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, le préfet de la Haute-Corse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève et que le projet méconnaît également les dispositions de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme.
La procédure a été communiquée à la commune de Santa-Lucia-Di-Moriani qui n'a pas produit d'observations.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement, comme s'étant mépris sur la nature de la décision attaquée dès lors que le préfet devait être regardé comme sollicitant l'annulation du permis tacite du 16 août 2016 et non de l'arrêté du 22 mai 2018, se bornant à constater l'existence dudit permis tacite.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI B2M relève appel du jugement du 14 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a, à la demande du préfet de la Haute-Corse, annulé l'arrêté du 22 mai 2018 par lequel le maire de la commune de Santa-Lucia-di-Moriani a " confirmé " le permis tacite délivré à la SCI B2M pour la construction d'une maison individuelle avec garage, de 237 m2 de surface de plancher, sur la parcelle cadastrée section AB n°195 au lieu-dit Ponticchio.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La SCI B2M a déposé sa demande de permis de construire le 16 juin 2016. Par un arrêté du 10 octobre 2016, le maire de la commune de Santa-Lucia-di-Moriani a refusé de délivrer le permis ainsi sollicité. Toutefois, par un jugement du 5 avril 2018, n°1700199, devenu définitif, le tribunal administratif de Bastia a reconnu la SCI B2M titulaire d'un permis de construire tacite depuis le 16 août 2016 et a annulé cet arrêté du 10 octobre 2016 au motif que la requérante n'avait pas été préalablement invitée à présenter ses observations. Il a ainsi enjoint au maire de délivrer une attestation de permis tacite, ce que ce dernier a entendu faire en prenant l'arrêté litigieux du 22 mai 2018. Si le préfet a formellement sollicité l'annulation de cet arrêté du 22 mai 2018, il a invoqué des moyens tirés non de ce qu'aucun permis tacite n'était acquis mais de l'illégalité d'un tel permis. Il doit ainsi être regardé comme ayant en réalité entendu contester, non pas l'acte du 22 mai 2018, qui se borne à constater l'existence du permis tacite du 16 août 2016, mais ledit permis lui-même. Le tribunal administratif, qui a censuré l'arrêté du 22 mai 2018, s'est ainsi mépris sur l'objet du litige et le jugement entrepris doit dès lors être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande d'annulation présentée par le préfet de la Haute-Corse devant le tribunal administratif de Bastia.
Sur la légalité du permis tacite du 16 août 2016 :
En ce qui concerne la recevabilité du déféré :
Quant au délai
4. Lorsqu'une décision créatrice de droits a été retirée dans le délai de recours contentieux puis rétablie à la suite de l'annulation juridictionnelle de son retrait, le délai de recours contentieux court à nouveau à l'égard des tiers à compter de la date à laquelle la décision créatrice de droits ainsi rétablie fait à nouveau l'objet des formalités de publicité qui lui étaient applicables ou, si de telles formalités ne sont pas exigées, à compter de la date de notification du jugement d'annulation.
5. Lorsque la décision créatrice de droits remise en vigueur du fait de l'annulation de son retrait par le juge a pour auteur l'une des autorités mentionnées à l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, il appartient à cette autorité de transmettre cette décision au représentant de l'Etat dans le département dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement d'annulation. Le préfet dispose alors de la possibilité de déférer au tribunal administratif la décision ainsi remise en vigueur du fait de cette annulation s'il l'estime contraire à la légalité, dans les conditions prévues à l'article L. 2131-6 du même code.
6. En l'espèce, l'arrêté du 10 octobre 2016, refusant le permis sollicité et retirant le permis tacite litigieux du 16 août 2016, est intervenu dans le délai de recours contentieux ouvert contre ledit permis. A la suite de l'annulation dudit arrêté par le jugement du tribunal administratif du 5 avril 2018, le préfet a été informé de la remise en vigueur du permis implicite litigieux par la transmission, le 24 mai 2018, de l'arrêté du 22 mai 2018. Dès lors, et eu égard au délai de deux mois fixé par les dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le préfet n'était pas, lorsqu'il a introduit son déféré devant le tribunal administratif le 17 juillet 2018, tardif à demander l'annulation de la décision tacite du 16 août 2016. Compte-tenu des principes énoncés ci-dessus aux points 4 et 5, la requérante ne saurait à cet égard se prévaloir de ce que la transmission de sa demande de permis à la direction départementale des territoires le 21 juin 2016 aurait fait courir le délai de déféré contre cette décision tacite, de ce que le préfet aurait prétendument eu connaissance acquise de cette dernière lorsqu'elle est intervenue ou de ce que, au regard de cette connaissance, le délai raisonnable au-delà duquel le principe de sécurité juridique implique que des situations consolidées ne puissent plus être contesté serait expiré.
Quant à l'acquiescement aux faits
7. Si, à l'occasion de l'instance devant le tribunal administratif portant sur l'arrêté du 10 octobre 2016 retirant la décision implicite octroyant le permis de construire, la commune de Santa-Lucia-di-Moriani n'a pas défendu malgré la mise en demeure qui lui avait été adressée par la juridiction, de telle sorte que le tribunal a rappelé que la collectivité était réputée avoir admis l'exactitude matérielle des faits allégués par la SCI B2M dans l'instance, il n'en résulte en tout état de cause pas que le préfet, dans le cadre du déféré introduit contre la décision octroyant ledit permis, ne pourrait plus contester ces éléments de faits ni, a fortiori, l'appréciation qui en a été faite par la requérante, à laquelle la collectivité n'est pas réputée avoir acquiescé.
En ce qui concerne le bien-fondé du permis litigieux :
8. En premier lieu, si le préfet relevait, dans ses écritures de première instance, que l'arrêté du 22 mai 2018 comportait une erreur matérielle sur la date d'acquisition tacite du permis en cause, cette circonstance, dont il n'a d'ailleurs pas soutenu qu'il découlait une quelconque illégalité, est sans incidence sur la légalité dudit permis.
9. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans sa version applicable : " L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales : " I. - Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut préciser les modalités d'application, adaptées aux particularités géographiques locales, du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l'urbanisme sur les zones littorales et du chapitre II du titre II du livre Ier du même code sur les zones de montagne. / Les dispositions du plan qui précisent ces modalités sont applicables aux personnes et opérations qui sont mentionnées, respectivement, aux articles L. 121-3 et L. 122-2 dudit code. / (...) ". Aux termes de ces dernières dispositions : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, la réalisation de remontées mécaniques et l'aménagement de pistes, l'ouverture des carrières, la recherche et l'exploitation des minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. ". Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse précise les modalités d'application des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. Il prévoit ainsi que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'il constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. Il indique également que la continuité implique la contigüité du projet avec le village ou l'agglomération, celle-ci étant difficile à établir lorsqu'une distance de 80 mètres ou plus d'espace naturel ou agricole sépare la parcelle d'implantation d'un projet de la zone urbanisée, un tel espace, mais également une voie importante, un obstacle ou une rupture de la forme urbaine comme du rythme parcellaire et bâti empêchant de caractériser une continuité. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral.
11. Il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation du sol mentionnée à l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet aux dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, au regard de ces prescriptions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.
12. Eu égard, d'une part, au seul rapport de compatibilité prévu entre le plan local d'urbanisme et les règles spécifiques à l'aménagement et à la protection du littoral et, d'autre part, au rapport de conformité qui prévaut entre les décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation du sol et ces mêmes règles, la circonstance qu'une telle décision respecte les prescriptions du plan local d'urbanisme ne suffit pas à assurer sa légalité au regard des dispositions directement applicables des articles L. 121-8 et suivants du code de l'urbanisme.
13. En l'espèce, si la requérante soutient que la commune de Santa-Lucia-di-Moriani s'est développée le long de la route nationale n°198 (route territoriale n°10) qui la traverse, sans posséder de véritable centre urbain, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que la parcelle cadastrée section AB n°195 est entourée d'espaces vierges de toute construction, de bien plus de 80 mètres de long, au sud, à l'est et à l'ouest. La seule présence de quelques constructions de tourisme au nord, elles-mêmes entourées de parcelles demeurées à l'état naturel, ne permet pas de regarder le terrain d'assiette du projet comme situé en continuité des zones construites présentes le long de cette route, à supposer même que celles-ci puissent être qualifiées de village au sens des dispositions visées ci-dessus. Dès lors, le permis de construire litigieux, qui permet une extension de l'urbanisation en discontinuité d'un village ou d'une agglomération, méconnaît les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, alors même que le plan local d'urbanisme aurait classé la parcelle en cause en zone constructible.
14. En troisième lieu, selon l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article L. 321-2 du code de l'environnement est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une opération conduisant à étendre l'urbanisation d'un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d'une part, de caractère limité, et, d'autre part, justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme selon les critères qu'elles énumèrent. Cependant, lorsqu'un schéma de cohérence territoriale ou un des autres schémas mentionnés par ces dispositions comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l'extension de l'urbanisation dans l'espace proche du rivage dans lequel l'opération est envisagée, le caractère limité de l'urbanisation qui résulte de cette opération s'apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné.
15. Les dispositions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, qui vaut schéma de mise en valeur de la mer, comportent des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui soulignent que toute extension limitée de l'urbanisation doit être prévue, justifiée et motivée dans un document d'urbanisme local, faire l'objet d'un projet d'aménagement d'ensemble et être effectuée au service d'une amélioration de la mixité des fonctions urbaines et de l'habitat, en répondant notamment à un besoin en habitat permanent.
16. En l'espèce, il n'est pas contesté que la parcelle d'assiette du projet, située à proximité immédiate de la côte, constitue un espace proche du rivage. Or, il n'est pas allégué que, contrairement à ce que soutient le préfet, l'extension de l'urbanisation projetée serait justifiée et motivée au sens de ces dispositions dans le plan local d'urbanisme. Le permis litigieux méconnaît donc également les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme.
17. En quatrième lieu, la société requérante ne saurait soutenir utilement que le principe de sécurité juridique aurait été méconnu au seul motif que des permis de construire auraient été délivrés pour des projets implantés sur des parcelles avoisinantes sans que le préfet ne les conteste.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le permis tacite du 16 août 2016 doit être annulé.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par la SCI B2M et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 14 février 2019 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le permis tacite obtenu par la SCI B2M le 16 août 2016 est annulé.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI B2M, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune de Santa-Lucia-di-Moriani.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2021, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Merenne, premier conseiller,
- Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
N°19MA01756 2