Par une requête, enregistrée le 31 mars 2017, les consortsC..., représentés par Me A..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 février 2017 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Gard du 4 décembre 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif a omis d'examiner le moyen tiré de l'absence de motivation des conclusions du commissaire-enquêteur sur l'intérêt général du projet et celui tiré de l'absence d'intérêt général du projet ;
- les conclusions du commissaire-enquêteur sont insuffisamment motivées tant en ce qui concerne l'utilité publique du projet que la cessibilité des parcelles et l'enquête parcellaire ;
- il n'a pas émis d'avis personnel ;
- les conclusions du commissaire-enquêteur sont fondées sur des observations erronées ;
- le plan parcellaire et le dossier d'enquête publique présentent des lacunes ;
- les dépenses ont été sous-estimées ;
- le projet ne revêt pas d'utilité publique ;
- la commune dispose de terrains permettant de réaliser l'opération sans avoir recours à l'expropriation ;
- l'atteinte à leur propriété privée est excessive.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2018, la commune d'Aulas, représentée par MeH..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge des consorts C...la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le commissaire enquêteur a suffisamment motivé ses conclusions et rendu un avis éclairé au regard des données de l'enquête parcellaire et des avis recueillis, dont il n'est pas démontré qu'ils auraient été émis par des personnes non concernées par le projet ou seraient de complaisance ;
- le projet est d'utilité publique ;
- elle a créé le chemin litigieux ainsi que les réseaux d'assainissement et les équipements publics qui s'y trouvent, ce qui permet une valorisation de la propriété des consortsC... ;
- il n'est pas démontré qu'elle disposerait de terrains permettant de mener à bien l'opération sans avoir recours à l'expropriation.
La requête a été communiquée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités et au ministre de l'intérieur, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de MeD..., représentant les consortsC.d'autre part limités, dès lors qu'il ne résulte notamment pas de l'instruction que M. Janel serait empêché en raison de l'expropriation d'accéder à sa propriété
Considérant ce qui suit :
1. Les consorts C...sont propriétaires depuis 1999 des parcelles cadastrées section B n°s 2303, 2295, 2296 et 2298 sur le territoire de la commune d'Aulas. Ils ont construit une maison d'habitation sur la parcelle 2303, à laquelle ils accèdent par le chemin de Boulignac. Ce chemin, réalisé par la commune en 1965, a été classé par délibération du conseil municipal du 7 janvier 1987 dans la voirie communale sur une longueur de 705 mètres. Les acquisitions foncières des emprises de la voirie n'ont cependant pas été réalisées. Par délibération du 19 mai 2014, le conseil municipal de la commune d'Aulas a décidé de régulariser la situation en procédant à l'acquisition des emprises du chemin et de l'aire de retournement déjà créée et en procédant au classement dans la voirie communale de la longueur restante du chemin, soit 280 mètres. Par arrêté du 17 septembre 2014, le préfet du Gard a prescrit l'ouverture d'une enquête d'utilité publique et parcellaire de l'opération, qui s'est déroulée du 6 octobre 2014 au 7 novembre 2014. Le 4 décembre 2014, le préfet a édicté un arrêté portant déclaration d'utilité publique et cessibilité des terrains nécessaires au classement dans la voirie communale du chemin de Boulignac. Les consorts C...relèvent appel du jugement du 7 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que soutiennent les appelants, le tribunal administratif, qui n'avait pas à répondre à tous les arguments des parties avancés au soutien de leurs moyens, a examiné le moyen tiré de l'absence de motivation des conclusions du commissaire-enquêteur au point 3 du jugement et celui tiré de l'absence d'intérêt général du projet au point 5. Il s'ensuit que le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions du commissaire-enquêteur :
3. Selon l'article R. 11-10 alors en vigueur du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Le commissaire enquêteur ou la commission examine les observations consignées ou annexées aux registres et entend toutes personnes qu'il paraît utile de consulter ainsi que l'expropriant s'il le demande. Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l'opération ". Aux termes de l'article R. 112-17 du même code, dans sa version applicable : " Pendant le délai fixé par l'arrêté prévu à l'article R. 112-12, des observations sur l'utilité publique de l'opération peuvent être consignées, par toute personne intéressée, directement sur les registres d'enquête, ou être adressées par correspondance, au lieu fixé par cet arrêté, au commissaire enquêteur ou au président de la commission d'enquête. Il en est de même des observations qui seraient présentées par les chambres d'agriculture, les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers et de l'artisanat. Les observations peuvent, si l'arrêté prévu à l'article R. 112-12 le prévoit, être adressées par voie électronique ".
4. Il ressort de la lecture du rapport d'enquête publique que le commissaire-enquêteur a suffisamment motivé ses conclusions et rendu un avis personnel, en mentionnant notamment que " le raccordement de la boucle est très malaisé par les poids-lourds " et qu'" il est nécessaire de disposer d'une plateforme de retournement qui supporte en plus la borne incendie et contribue à la sécurité des biens et des personnes ". Il a par ailleurs répondu de manière précise et argumentée aux observations émises par MmeC..., notamment quant à la surface de l'emprise à exproprier et la nécessité d'acquérir la place de retournement dans sa localisation actuelle. S'agissant de l'enquête parcellaire, le commissaire-enquêteur a noté qu'il n'existait aucune ambiguïté au sujet du plan parcellaire.
5. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que le commissaire-enquêteur se serait fondé sur des observation erronées, dès lors que M. C...n'établit pas que les deux personnes qu'il vise comme n'habitant pas le chemin concerné par l'expropriation ne seraient pas des " personnes intéressées " au sens des dispositions précitées du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, et alors que l'enquête publique conviait l'ensemble de la population de la commune à s'exprimer. Le commissaire-enquêteur a également pu valablement conclure à la nécessité du rond-point présent sur la voie pour assurer la sécurité des personnes et biens du quartier du Bruel, alors même que les habitants de ce quartier n'empruntent pas ce chemin pour accéder à leurs habitations. Enfin, ni le rapport ni l'avis du commissaire enquêteur ne démontrent qu'aurait été négligé le sens unique de circulation du chemin.
En ce qui concerne le plan parcellaire et le dossier d'enquête publique :
6. Malgré l'absence de légende du plan parcellaire, l'emprise du projet peut aisément être appréhendée notamment quant à la localisation et la superficie de la partie de la parcelle des requérants objet de l'expropriation. La circonstance que ce plan ait été établi en 2012, soit deux ans avant l'ouverture de l'enquête publique, ne suffit pas à démontrer qu'il serait obsolète ou entaché d'erreurs. Enfin, si les requérants soutiennent que le dossier d'enquête publique ne mentionne pas la nécessité du rétablissement de l'accès à leur maison d'habitation, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'expropriation aboutirait à la suppression de cet accès. Le moyen tiré des insuffisances du plan parcellaire et du dossier d'enquête publique doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne l'estimation des dépenses :
7. Le coût du projet de la commune a été évalué à la somme de 6 850 euros, incluant le prix d'acquisition du foncier pour 150 euros. M. C...ne démontre par aucune pièce que le prix d'acquisition de la partie expropriée de son terrain, de 482 m², est insuffisant, tandis qu'il ne résulte pas de l'instruction ni que l'expropriation conduirait à une suppression de l'accès des consorts C...à leur maison d'habitation, et donc au dédommagement concernant le mur en pierres réalisé pour soutenir cet accès, ni qu'un mur de clôture devrait être réalisé pour sécuriser les lieux. La commune n'a ainsi pas procédé à une sous-estimation des dépenses nécessitées par le projet. Ce moyen doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne l'utilité publique du projet :
8. Il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
9. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la notice de présentation du projet, que la déclaration d'utilité publique contestée a pour objet, non seulement d'assurer la sécurité eu égard aux risques d'incendie, l'aire de retournement étant nécessaire à la manoeuvre des véhicules des servies d'incendie et de secours, quand bien même le chemin est à sens unique et ne constitue pas une impasse, mais également l'acquisition des terrains nécessaires au classement dans la voirie communale du chemin de Boulignac, dont il résulte de l'instruction qu'il a été créé et est entretenu par la commune, ainsi que l'inclusion dans la voirie communale de 280 mètres linéaires supplémentaires. Le projet revêt dans ces conditions un caractère d'intérêt général, lequel n'est pas remis en cause par l'absence de mention dans les titres de propriété des requérants de l'existence d'une servitude de passage ou d'une voie communale ni par le fait que postérieurement à l'acquisition de leur propriété, l'aire de retournement ait été goudronnée et une borne incendie installée sans leur accord.
10. Compte-tenu de la finalité d'intérêt général exposée au point précédent, la nécessité des expropriations envisagées est démontrée, les requérants ne justifiant toujours pas que l'opération aurait pu être menée dans des conditions équivalentes, notamment en termes de coût, sans recourir à l'expropriation. Les inconvénients du projet demeurent.d'autre part limités, dès lors qu'il ne résulte notamment pas de l'instruction que M. Janel serait empêché en raison de l'expropriation d'accéder à sa propriété
11. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts C...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Gard du 4 décembre 2014.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme aux consortsC..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu en revanche de mettre, sur le fondement des mêmes dispositions, à la charge des requérants la somme demandée par la commune.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Aulas en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., à Mme F...E...épouseC..., à Mme G...C..., à la commune d'Aulas, au ministre de l'intérieur et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2019, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président-assesseur,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 1er avril 2019.
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N° 17MA01394