Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2016, M. B...C..., représenté par Mes D...etA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 mai 2016 ;
2°) d'annuler la décision non formalisée par laquelle le directeur de la maison centrale d'Arles le soumet à un régime de fouilles à nu systématiques après chaque parloir, chaque fouille de cellule et chaque fouille de sortie en raison de son statut de détenu particulièrement surveillé ;
3°) d'enjoindre au directeur de la maison centrale d'Arles de suspendre ce régime dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de cent cinquante euros par jour de retard ;
4) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le directeur de la maison centrale d'Arles a méconnu les dispositions de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles ;
- son comportement en détention, qui ne soulève pas de difficulté dès lors notamment que ses fréquentations sont connues et qu'il n'est pas dangereux, ne justifie pas la pratique de fouilles systématiques ;
- aucun soupçon ne pèse sur lui ;
- les parloirs s'opèrent sous la surveillance visuelle des gardiens ;
- le seul but de ses fouilles systématiques est de l'humilier afin de conserver un ascendant sur lui voire de le punir d'un éventuel comportement qui déplairait aux surveillants ;
- les premiers juges ont fait une substitution de motifs, ne se fondant pas sur ceux retenus par le directeur de l'établissement ;
- il n'a pas eu de tentative d'évasion depuis trente ans ;
- l'établissement refuse délibérément d'utiliser le scanner corporel.
Une mise en demeure a été adressée le 5 avril 2018 au ministère de la Justice.
Un mémoire, présenté par le ministre de la Justice, a été enregistré le 6 septembre 2018, soit postérieurement à la clôture d'instruction qui est intervenue le 29 mai 2018.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juillet 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pecchioli,
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
1. M. C...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les décisions par lesquelles le directeur de la maison centrale d'Arles le soumet à un régime de fouilles à nu systématiques après chaque parloir, chaque fouille de cellule et chaque fouille de sortie en raison de son statut de détenu particulièrement surveillé. M. C...relève appel du jugement qui a rejeté sa requête.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 susvisée dispose que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. " ; le 1er alinéa de l'article 57 de la même loi prévoit que : "Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. " ; ce même article ajoute que " Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation de moyens de détection électronique sont insuffisantes (...) ". L'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale prévoit que : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en oeuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement (...) ". Enfin l'article R. 57-7-80 du même code précise que " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement. ".
3. Il résulte de la lecture combinée de ces dispositions, d'une part, que les mesures de fouilles corporelles intégrales ne sauraient revêtir un caractère systématique, dès lors qu'elles doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient et qu'elles revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou par rapport à l'utilisation de moyens de détection électronique. L'exigence de proportionnalité des modalités selon lesquelles les fouilles intégrales sont organisées implique ainsi qu'elles soient strictement adaptées non seulement aux objectifs qu'elles poursuivent mais aussi à la personnalité des personnes détenues qu'elles concernent. A cette fin, il appartient aux autorités pénitentiaires de tenir compte, dans toute la mesure du possible, du comportement de chaque détenu, de ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des tiers.
4. Les décisions par lesquelles le directeur de la maison centrale d'Arles a soumis M. C... à un régime de fouilles à nu systématiques après chaque parloir, chaque fouille de cellule et chaque fouille de sortie sont tout d'abord fondées sur son statut de " détenu particulièrement signalé ", à raison d'un lourd passé criminel, à son appartenance à la criminalité organisée, à l'existence de soutiens extérieurs, à son important potentiel de violence et à 1'éloignement de sa fin de peine. M.C..., détenu depuis le 27 juin 1985, a en effet été condamné neuf fois pour des délits et des crimes d'une particulière violence, notamment pour une attaque à main armée avec prise d'otages commise en 1980 à Antibes et un homicide commis à Paris. Il convient de souligner, en outre, que l'intéressé s'est évadé le 11 septembre 1992 avec huit autres détenus de la maison centrale de Clairvaux. Au cours de cette évasion, des surveillants pénitentiaires furent pris en otages et l'un d'entre eux fut tué. Le requérant, bénéficiant de complicité, ne fut arrêté que près d'une année plus tard, en août 1993 et réincarcéré. En 2003, détenu à la Maison centrale de Moulins Izeure, M. C...tenta à nouveau de s'évader. Les décisions en litige trouvent, ensuite, leur fondement sur le risque réel d'échanges d'objets ou de produits interdits ou dangereux au sein de l'établissement pénitentiaire. Si les parloirs dit classiques s'opèrent sous la surveillance visuelle des surveillants, il n'est pas contesté que chaque visite se déroule sans dispositif de séparation, de sorte qu'il est toujours possible de déjouer une vigilance visuelle si aiguisée soit elle. Le risque est encore accru pour les parloirs familiaux et les unités de vie familiale, lesquels se déroulent sans contrôle direct et permanent du personnel pénitencier. La relative intimité laissée au détenu lors de ces " parloirs " présente inévitablement un risque pour lequel la fouille à nu apparaît comme un contrôle nécessaire. M. C...ne conteste d'ailleurs pas avoir réussi à se procurer des objets matériels et immatériels non autorisés, comme des logiciels interdits, en tout début d'incarcération à la maison centrale d'Arles, puis le 18 octobre 2013 à nouveau des logiciels interdits, plusieurs connexions USB et un reportage " Alerte évasion " de M6 présentant les méthodes d'interventions des équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) et enfin le 18 février 2014 une carte mémoire et un câble USB. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration ait refusé d'utiliser le scanner corporel à ondes millimétriques, la directrice de l'établissement pénitencier expliquant d'ailleurs, sans être contredite sur ce point, que ledit portique à ondes millimétriques n'a été mis en service que le 15 avril 2014. Enfin, il n'apparaît pas que la fréquence des fouilles dites à nu pratiquées sur la personne de M.C..., lesquelles ont été pratiquées en moyenne tous les douze jours environ, sur une période de 173 jours présente un caractère excessif.
5. Il résulte de tout ce qui précède, compte tenu de la personnalité et du comportement passé et actuel du requérant, que les fouilles corporelles intégrales pratiquées sur sa personne, qui ne présentaient pas un caractère disproportionné au regard du nécessaire respect des droits et de la dignité de l'intéressé, tant dans leur nature que leur fréquence, au regard des nécessités de la sécurité des personnes et du maintien du bon ordre au sein de l'établissement, n'ont pas été prises en violation des dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il s'ensuit que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision litigieuse, n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. C...ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. B...C..., à MeD..., à Me A... et au garde des sceaux, ministre de la Justice.
Copie en sera adressée au directeur de la maison centrale d'Arles.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président de chambre,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2018.
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N° 16MA03615