Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 23 février 2018 et 12 septembre 2018, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 5 juin 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Nice a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont il est atteint ;
3°) d'annuler, par voie de conséquence, les arrêtés du 5 novembre 2015 et du 26 août 2016 le plaçant en congé de longue durée non imputable au service ;
4°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Nice de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de reconstituer sa carrière ou, à défaut, de réexaminer sa situation, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 5 juin 2015 est entachée d'incompétence dès lors que la délégation consentie à son signataire est imprécise, qu'il n'est pas établi que l'autorité compétente ait été absente ou empêchée et qu'il n'en est pas même fait mention ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- l'avis de la commission de réforme n'est pas motivé ;
- cette commission a siégé dans une composition irrégulière au regard des dispositions des articles 5, 6 et 12 du décret du 14 mars 1986, en l'absence d'un médecin spécialiste de son affection lors de la séance du 28 mai 2015 ;
- la décision est entachée d'un vice de procédure car le recteur a sollicité la consultation du docteur Cristofari comme expert alors qu'il est membre de droit de la commission de réforme, en violation des articles 7, 12 et 19-1 du décret du 14 mars 1986 ;
- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a produit un mémoire, enregistré le 15 juillet 2019, qui, dépourvu d'éléments utiles à la solution du litige, n'a pas été communiqué au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Par ordonnance du 27 juin 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 31 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur,
- et les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., alors professeur certifié d'économie et de gestion au lycée Jean Moulin de Draguignan, a été atteint à la fin du mois de janvier 2014 d'un syndrome mêlant épuisement et dépression. Il a bénéficié de congés de maladie ordinaire du 1er février 2014 au 15 février 2014 puis du 4 avril au 18 avril 2014. Le recteur de l'académie de Nice l'a ensuite placé en congé de longue maladie à compter du 21 mai 2014 pour une durée d'un an en vertu d'un arrêté du 11 mars 2015. M. A... a sollicité le 7 décembre 2014 la reconnaissance de l'imputabilité de sa pathologie au service. Après avis de la commission de réforme réunie le 28 mai 2015, le recteur de l'académie de Nice a, le 5 juin 2015, rejeté cette demande et décidé par conséquent que les arrêts de travail et les soins dispensés à M. A... du 1er février 2014 au 21 mai 2014, date d'attribution de son congé de longue maladie, relevaient du congé de maladie ordinaire non imputable au service.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 5 juin 2015 :
2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions (...). Toutefois, si la maladie provient (...) d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. M. A..., affecté au lycée Jean Moulin de Draguignan depuis 1984, a été chargé jusqu'à l'année scolaire 2012-2013 d'un service d'enseignement comprenant de dix à douze heures de cours en classe de terminale " sciences et techniques de gestion " et de quatre à six heures en classe de brevet de technicien supérieur, l'horaire total de son service n'excédant pas seize heures. A compter de la rentrée scolaire de septembre 2013, il a dû assurer un service composé de douze heures d'enseignement en classe de terminale " sciences et technologies du management et de la gestion ", de quatre heures en classe de première année de brevet de technicien supérieur et de trois heures de cours en option " droit et grands enjeux du monde contemporain " en classe de terminale littéraire. Le requérant fait par ailleurs valoir, sans être contredit par le ministre de l'éducation nationale, que les programmes des matières qu'il enseignait en classe de terminale étaient, à compter de la rentrée scolaire de septembre 2013, entièrement nouveaux. M. A... assurait en outre la formation initiale et continue des professeurs de l'académie de Nice en matière d'enseignement de la gestion, participait à la conception de " jeux sérieux " et d'un logiciel de gestion à visée pédagogique et avait été désigné en qualité de référent académique s'agissant de ces deux projets. Il était en outre associé à de nombreux jurys d'examen et à la confection de sujets en vue d'examens nationaux ou académiques, avait créé une plateforme collaborative sur l'enseignement de l'option " droit et grands enjeux du monde contemporain " et était impliqué dans divers autres projets académiques.
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des témoignages produits par M. A... ainsi que des certificats et compte rendus d'examens médicaux, dont celui établi par le docteur Cristofari, expert agréé désigné par l'administration qui décrit un " épuisement par excès de travail ", tous corroborés par ce qui vient d'être dit concernant la charge de travail de l'intéressé, que l'accroissement de cette charge à compter de septembre 2013 a contribué à engendrer une anxiété croissante qui a débouché sur l'épuisement constaté par les médecins consultés par M. A..., lesquels ont d'ailleurs unanimement attribué à cet épuisement une origine professionnelle. Dans ces conditions, la pathologie développée par le requérant doit être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice de ses fonctions. S'il ressort également des pièces du dossier et notamment du rapport dressé par le Dr Cristofari que M. A... a, en dépit de l'augmentation de sa charge d'enseignement, accepté certaines des missions facultatives ou secondaires par rapport à son service d'enseignement qui lui étaient confiées par sa hiérarchie et a ainsi contribué, en se refusant à décliner ou à abandonner ces missions, à l'accroissement de sa charge, cette surestimation, par l'intéressé, de sa capacité de travail, en laquelle le ministre de l'éducation nationale indique lui-même, dans son mémoire en défense, voir un " excès de conscience professionnelle ", ne peut être regardée comme un fait ou une circonstance de nature à détacher du service la maladie qui s'est ensuite déclarée. M. A... est par suite fondé à soutenir que le recteur de l'académie de Nice a commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaître comme imputable au service les congés de maladie qui lui ont été octroyés entre le 1er février 2014 et le 21 mai 2014, date à laquelle lui a été attribué un congé de longue maladie. L'arrêté du 5 juin 2015 doit en conséquence être annulé.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation des arrêtés plaçant M. A... en congé de longue durée non imputable au service :
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été placé en congé de longue maladie non imputable au service du 21 mai 2014 au 21 mai 2015 par un arrêté non contesté du 11 mars 2015 puis, par un arrêté en date du 6 novembre 2015, en congé de longue durée non imputable au service du 21 mai 2015 au 20 février 2016. Ce congé de longue durée a été prolongé jusqu'au 20 février 2017 par arrêté en date du 26 août 2016 puis jusqu'au 21 février 2018 par arrêté du 23 janvier 2018 et enfin jusqu'au 20 février 2019 par arrêté du 23 août 2018. M. A... conteste les seuls arrêtés le plaçant en congé de longue durée non imputable au service.
7. Ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, le syndrome d'effondrement professionnel dont a été atteint M. A... à compter du 1er février 2014 est imputable au service. Il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier que l'état de santé de l'intéressé se soit amélioré par la suite, ce dont témoigne d'ailleurs l'attribution d'un congé de longue maladie puis d'un congé de longue durée. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes pièces, et notamment du certificat médical établi le 7 février 2018 par le docteur Clément que la persistance de la pathologie est imputable au service, ce que ne conteste pas le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. M. A... est dès lors fondé à demander également l'annulation des arrêtés des 6 novembre 2015, 26 août 2016, 23 janvier 2018 et 23 août 2018 en tant qu'ils le placent en congé de longue durée non imputable au service.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et des arrêtés des 5 juin 2015, 6 novembre 2015, 26 août 2016, 23 janvier 2018 et 23 août 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
10. Il y a lieu, eu égard au motif d'annulation énoncé ci-dessus et en l'absence de tout changement intervenu dans la situation de M. A..., d'enjoindre au recteur de l'académie de Nice, d'une part, de placer M. A... en position de congé de maladie ordinaire imputable au service pour les congés de maladie qui lui ont été octroyés entre le 1er février 2014 et le 21 mai 2014 et en position de congé de longue durée imputable au service du 21 mai 2015 au 20 février 2019 et, d'autre part, de reconstituer sa carrière ainsi que ses droits à rémunération dans la mesure rendue nécessaire par l'attribution rétroactive de ces congés pour maladie imputable au service, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de l'Etat, à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1502853 du tribunal administratif de Toulon du 26 décembre 2017 et les arrêtés du recteur de l'académie de Nice des 5 juin 2015, 6 novembre 2015, 26 août 2016, 23 janvier 2018 et 23 août 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Nice de placer M. A... en position de congé de maladie ordinaire imputable au service pour les congés de maladie qui lui ont été octroyés entre le 1er février 2014 et le 21 mai 2014 et en position de congé de longue durée imputable au service du 21 mai 2015 au 20 février 2019 et de reconstituer sa carrière ainsi que ses droits à rémunération dans la mesure rendue nécessaire par l'attribution rétroactive de ces congés pour maladie imputable au service, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme E... G..., présidente assesseure,
- M. D... Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
2
N° 18MA00879