Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 mars 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Var du 30 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me D... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur le refus de titre de séjour :
- eu égard à sa présence en France depuis douze années, le préfet était tenu de saisir la commission du titre de séjour en application des dispositions combinées des articles L. 313-14 et L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet se devait de solliciter le visa de long séjour dont il lui est reproché de n'avoir pas été muni ;
- de même, le préfet se devait d'examiner sa qualification, son expérience professionnelle et ses diplômes ;
- son intégration professionnelle justifie son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences du refus de séjour contesté sur sa situation personnelle ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale du fait des illégalités entachant le refus de titre de séjour.
La requête a été communiquée le 27 mars 2019 au préfet du Var qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 19 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 10 octobre 2019.
M. A... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par des décisions du 12 juillet 2019 et du 25 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme C... E..., rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. Déclarant être entré pour la première fois en France en 2007, M. A..., ressortissant tunisien né le 21 septembre 1984, a sollicité, le 22 mai 2018, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou la mention " salarié ". Par un arrêté du 30 novembre 2018, le préfet du Var lui en a refusé la délivrance et a prescrit son éloignement. M. A... relève appel du jugement du 12 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, l'article 7 quater de la convention franco-tunisienne du 17 mars 1988, modifiée prévoit que : " Sans préjudice des dispositions du b) et du d) de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". En vertu de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. D'une part, si M. A... s'est marié avec une ressortissante française le 7 juin 2008 à Montauroux, le couple s'est séparé au cours de l'année 2010 et aucun enfant n'est né de cette brève union. D'autre part, si M. A... justifie par les pièces versées aux débats avoir séjourné en France du début de l'année 2008 jusqu'en juin 2010 de manière continue, puis également de janvier à juillet 2014, de mars à novembre 2015, d'avril à décembre 2016 et de juillet 2017 à novembre 2018 et avoir, au cours de ces différentes périodes, exercé plusieurs emplois comme ouvrier maçon dans plusieurs entreprises et été hébergé chez son frère, qui réside régulièrement en France avec sa famille, il ne justifie cependant pas, par ces mêmes pièces, d'une présence continue sur le territoire national de juillet 2010 à décembre 2013, d'août 2014 à février 2015, de décembre 2015 à mars 2016 et de janvier 2017 à mai 2017. Dans ces conditions, et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, la continuité alléguée de la présence en France de M. A... depuis sa première entrée en 2007 n'est pas établie. Par ailleurs, l'appelant ne démontre pas l'intensité des liens qu'il entretiendrait avec les membres de sa famille résidant en France, non plus que l'absence de tout lien avec les autres membres de sa famille restés en Tunisie, en l'occurrence sa mère et quatre de ses frères et soeurs, alors qu'il a passé dans ce pays la majeure partie de son existence. Dans ces circonstances, l'arrêté attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Pour les mêmes motifs, en rejetant la demande de titre de séjour " vie privée et familiale ", le préfet du Var n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A....
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988 susvisé : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation. ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié''. ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008, stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent code régit l'entrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine (...). Ses dispositions s'appliquent sous réserve des conventions internationales. (...) ". L'article L. 313-2 de ce code, applicable au présent litige, dispose : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle (...) sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1. ".
5. Pour refuser de délivrer à M. A... le titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988, le préfet du Var s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé n'a pas présenté le visa de long séjour prévu par les dispositions précitées de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors que l'accord franco-tunisien ne fait pas obstacle à l'application de ces dernières dispositions et que M. A... n'établit ni même n'allègue qu'il aurait présenté aux services préfectoraux le visa de long séjour requis à l'appui de sa demande d'admission au séjour en qualité de salarié, le préfet a pu valablement refuser pour ce motif de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur ce fondement, sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation et sans qu'il puisse utilement lui être reproché de ne pas lui-même avoir sollicité, pour le compte de l'intéressé, le visa de long séjour manquant à son dossier.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...). / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
7. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 précité de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
8. D'une part, il résulte de ce qui a vient d'être dit que M. A... ne peut utilement se prévaloir, que ce soit à titre procédural ou sur le fond, des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour contester le refus de titre de séjour portant la mention " salarié " qui lui a été opposé. Par ailleurs, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Var a néanmoins examiné l'opportunité d'une mesure de régularisation au regard de sa situation professionnelle, cela sans s'être estimé lié, contrairement à ce qui est soutenu, par la seule circonstance qu'il n'était pas entré en France muni d'un visa de long séjour.
9. D'autre part, concernant le refus de régularisation au titre de la vie privée et familiale, le requérant n'est pas fondé, compte tenu de ce qui a été énoncé au point 3, d'où il résulte qu'il ne peut se prévaloir d'une résidence habituelle en France depuis au moins dix ans à la date de l'arrêté en litige, à soutenir que le préfet du Var aurait dû préalablement consulter la commission du titre de séjour. Sur le fond, par ailleurs, les dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir. Or, comme il a été dit, M. A..., célibataire depuis 2010 et sans charge de famille sur le territoire français, ne justifie ni de l'intensité des liens qu'il entretiendrait avec les membres de sa famille résidant en France ni de l'absence de tout lien avec les autres membres de sa famille restée en Tunisie. Ainsi, alors même qu'il fréquente le territoire français depuis plusieurs années et y a exercé ponctuellement une activité professionnelle, sa situation ne caractérise pas l'existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels susceptibles de justifier une mesure de régularisation par la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". La décision contestée n'est donc pas entachée, à cet égard, d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. M. A... n'établissant pas que la décision de refus de titre de séjour qui lui a été opposée serait entachée d'illégalité, il n'est dès lors pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mars 2019 et de l'arrêté du préfet du Var du 30 novembre 2018. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me D....
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme C... E..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
2
N° 19MA01336