Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 5 avril 2019 et 19 juin 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 septembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a rejeté ses conclusions contre la décision portant refus de titre de séjour comme irrecevables car l'arrêté en litige contient bien une telle décision ;
- en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a fait une inexacte application du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants, en méconnaissance de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2019.
La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... a été rejetée par une décision du 30 avril 2019, confirmée par un arrêt de la Cour du 28 août 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France en août 2016, M. A..., ressortissant albanais, né le 28 août 1976, a demandé à bénéficier du statut de réfugié. Le 18 avril 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile et cette décision a été confirmée le 28 novembre 2017 par la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 12 septembre 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône, tirant les conséquences de ces décisions et constatant ainsi que l'intéressé ne pouvait se voir délivrer le titre de séjour prévu par les dispositions du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé d'office.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. ".
3. D'une part, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code. Il est toutefois loisible au préfet d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement d'une autre disposition du code. Il lui est aussi possible, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant un titre de séjour, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle. En vertu du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la carte de résident est délivrée de plein droit, sauf menace pour l'ordre public et sous réserve de la régularité du séjour, à l'étranger reconnu réfugié en application du livre VII du code. Le 1° de l'article L. 313-13, pour sa part, prévoit que la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est, sauf menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit à l'étranger qui s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-1 du code. Saisi d'une demande d'autorisation de séjour présentée uniquement au titre de l'asile ou de la protection subsidiaire, le préfet n'est pas tenu, ainsi qu'il vient d'être dit, d'examiner d'office si le demandeur est susceptible de se voir délivrer une autorisation de séjour à un autre titre. Il est en revanche loisible au préfet de procéder à un tel examen.
4. D'autre part, indépendamment de l'énumération donnée par les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
5. En l'espèce, il ressort tant des pièces du dossier que de la rédaction de la décision attaquée que le préfet des Bouches-du-Rhône s'est borné à vérifier, avant d'édicter l'obligation de quitter le territoire français contestée, que M. A..., qui n'a présenté aucune demande de titre de séjour sur un fondement autre que l'asile et n'avait pas davantage manifesté sa volonté que sa situation soit examinée à un autre titre, n'entrait pas dans les catégories d'étrangers susceptibles de se voir attribuer de plein droit un titre de séjour. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir, en dépit de la rédaction maladroite de l'article 1er de l'arrêté en litige, qu'une décision lui refusant le séjour aurait été prise par le préfet des Bouches-du-Rhône. Il s'ensuit que le premier juge n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en estimant n'être pas saisi d'une telle décision et en rejetant comme irrecevables les conclusions présentées contre celle-ci par M. A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France en août 2016 en vue d'y solliciter l'octroi du statut de réfugié, n'y résidait que depuis deux ans à la date de l'arrêté contesté. Son épouse vit également en France mais il est constant qu'elle a fait l'objet, le même jour, d'une décision de refus de séjour accompagnée d'une obligation de quitter le territoire français. Par ailleurs, si les deux enfants du couple résident en France avec leurs parents et y sont scolarisés, ils n'étaient âgés que de sept et quatre ans à cette même date. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., s'il a travaillé deux mois en vertu d'un contrat de travail conclu en janvier 2018, serait particulièrement intégré à la société française. Dès lors, le requérant, qui a vécu en Albanie jusqu'à l'âge de quarante ans et y conserve des attaches privées et familiales, n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français en litige aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. D'autre part, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. A... n'est pas au nombre des étrangers pouvant se voir attribuer de plein droit un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, c'est sans méconnaître ces dispositions que le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, les tribunaux des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Il ressort des pièces du dossier que les enfants de M. A... sont, ainsi qu'il vient d'être dit, jeunes et scolarisés respectivement en classes de CE 1 et de grande section de maternelle. L'arrêté attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de les priver de la possibilité de suivre une scolarité. Il n'induit pas davantage une séparation entre ces enfants et leurs parents. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que cet arrêté porterait atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants et aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
12. Si M. A... affirme craindre la menace d'une vengeance liée à un crime commis par un membre de sa famille, les pièces qu'il produit, constituées d'attestations émanant du procureur de la République de Shkodër et du directeur de la police nationale de cette ville faisant état de menaces subies par l'intéressé jusqu'en 2012 et se bornant à affirmer que le conflit n'est " pas résolu à ce jour ", ne démontrent ni la réalité ni le caractère actuel des risques qu'il affirme encourir en cas de retour en Albanie, et pas davantage, en tout état de cause, l'impossibilité pour les autorités de ce pays de lui assurer leur protection. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit donc être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 septembre 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée sur leur fondement pour le compte de Me B..., avocat de M. A..., soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme E... F..., présidente assesseure,
- M. D... C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.
6
N° 19MA01658