Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 30 janvier 2020 et 6 mars 2020, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2019 du préfet de Vaucluse ;
3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me C... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car il n'a pas répondu aux moyens tirés de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées et d'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de destination ainsi qu'au moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination devait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit ;
- la décision de refus de séjour est entachée d'erreur de fait ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui refusant le séjour ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- cette décision est intervenue au terme d'une procédure méconnaissant le principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu avant l'édiction de la décision attaquée ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- en l'absence de démonstration de l'existence d'une délégation de signature et de sa publication avant l'intervention de la décision attaquée, l'auteur de la décision fixant le pays de destination est incompétent ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée ;
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête de Mme E... a été communiquée au préfet de Vaucluse, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entrée pour la première fois en France en décembre 2018 selon ses déclarations, Mme E..., née le 24 mai 1989 et de nationalité arménienne, a demandé l'asile le 26 février 2019. A la suite de l'intervention, le 28 juin 2019, d'une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant cette demande, le préfet de l'Hérault a, le 29 juillet 2019, refusé d'admettre Mme E... au séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la requérante, qui a eu recours à une demande rédigée sur un formulaire-type et n'a coché que certains des moyens de légalité mentionnés sur ce formulaire, n'a pas entendu soulever les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de destination et de l'illégalité de cette décision par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, ce dernier moyen ne devant par ailleurs être examiné d'office par le juge de l'excès de pouvoir que s'il fait droit aux conclusions dirigées contre la décision ayant servi de base à l'acte contre lequel il est invoqué, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, le premier juge a expressément statué sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées au point 2 de son jugement en estimant que l'arrêté attaqué était suffisamment motivé. Mme E... n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de refus de séjour :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
5. En premier lieu, la décision de refus de séjour contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de Vaucluse a examiné la situation personnelle de Mme E... avant de refuser de l'admettre au séjour. Le moyen d'erreur de droit qu'elle soulève sur ce point doit dès lors être écarté.
7. En troisième lieu, si Mme E... soutient que la décision attaquée est entachée d'erreur de fait, elle n'apporte aucune précision de nature à permettre à la Cour de statuer sur le bien-fondé de ce moyen, qui ne peut dès lors être admis.
8. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance de ce texte doit dès lors être écarté comme inopérant.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que, si Mme E... réside en France en compagnie de ses deux filles âgées de sept et trois ans, leur séjour sur le territoire français ne datait que de quelques mois à la date de la décision attaquée et il ne ressort pas des pièces du dossier que la famille aurait installé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France. Dès lors, Mme E..., qui a vécu en Arménie puis en Russie jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et n'apparaît pas dépourvue de toute attache privée ou familiale dans son pays d'origine, n'est pas fondée à soutenir que la décision de refus de séjour attaquée aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations reproduites ci-dessus doit être écarté, de même que, pour les mêmes motifs, celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
11. En dernier lieu, la décision de refus d'admission au séjour opposée à la requérante ne fixe par elle-même aucun pays de destination. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut dès lors être utilement soulevé à l'encontre de cette décision.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
12. Aux termes des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
13. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que l'intéressée s'est vu refuser la qualité de réfugiée et n'est plus en droit de se maintenir sur le territoire dès lors qu'elle provient d'un pays d'origine sûr. Il est par suite suffisamment motivé en fait et en droit.
14. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celuici a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En particulier, l'étranger demandeur d'un titre de séjour, du fait même de l'accomplissement de cette démarche volontaire, ne saurait ignorer qu'il est susceptible de faire l'objet d'un refus de séjour et d'une mesure d'éloignement consécutive à cette décision. Par ailleurs, en application de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, étant tenu de se présenter auprès des services administratifs compétents pour y souscrire sa demande de titre de séjour, il est en mesure, à cette occasion, de faire valoir tout argument, élément de fait ou de droit de nature à appuyer cette demande et à faire obstacle, le cas échéant, à une mesure d'éloignement. Il en résulte que Mme E..., qui a pu faire valoir ses observations sur la perspective d'un éventuel éloignement lors du dépôt de sa demande d'asile, n'est pas fondée à soutenir que le préfet de Vaucluse aurait commis un vice de procédure en s'abstenant de l'entendre de nouveau avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français attaquée.
15. En troisième lieu, à l'appui des moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation, Mme E... invoque les mêmes arguments qu'à l'encontre du refus de séjour. Ces moyens doivent donc être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 10 ci-dessus.
16. En dernier lieu, l'obligation de quitter le territoire français édictée à l'encontre de la requérante ne fixe par elle-même aucun pays de destination. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut dès lors être utilement soulevé à l'encontre de cette décision.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
17. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'obligation de quitter le territoire français opposée à Mme E... n'est pas entachée des illégalités qu'elle lui impute. Dès lors, elle n'est pas fondée à invoquer son illégalité par voie d'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
18. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination a été signée par le préfet de Vaucluse lui-même. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte à raison de l'absence de délégation de signature régulière doit donc en tout état de cause être écarté.
19. En troisième lieu, l'arrêté attaqué vise le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement de la décision d'éloignement, et précise que Mme E... est de nationalité arménienne, que ce pays constitue un pays d'origine sûr et que l'intéressée n'établit pas être exposée au risque de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans ce pays. Cette décision est par suite suffisamment motivée.
20. En quatrième lieu, Mme E... a, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, résidé l'essentiel de sa vie en Arménie, pays dont elle a la nationalité, de même que ses deux enfants mineurs, de telle sorte que la décision, qui fixe l'Arménie comme pays de destination, ne viole pas, en tout état de cause, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
21. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
22. Si Mme E... affirme craindre des actions de rétorsion à la suite de sa conversion à l'islam en cas de retour en Arménie, ses affirmations sur ce point se bornent à la description de persécutions religieuses, d'une arrestation et de violences subies dans ce pays après cette conversion, qui ne sont établies ni dans leur réalité, ni quant à leur lien avec l'appartenance religieuse de la requérante et qui, au surplus, n'ont pas été regardées comme suffisamment étayées par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la cour nationale du droit d'asile. Il s'ensuit que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination aurait été prise en méconnaissance des dispositions et stipulations précitées.
23. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 29 juillet 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
24. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme E..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée par Me C... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme F... G..., présidente assesseure,
- M. D... B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2020.
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N° 20MA00400