Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 25 février 2020 sous le n° 20MA00915, M. D... représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 3 février 2020 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 27 janvier 2020 ;
4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a commis une erreur de droit en fondant sa décision de transfert sur l'article 18.1.b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors qu'il a indiqué que sa demande d'asile a été rejetée par l'Italie ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'il risque d'être reconduit au Nigéria en cas de transfert en Italie et qu'il craint pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II. Par une requête, enregistrée le 4 mars 2020 sous le n° 20MA01083, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 3 février 2020.
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour compte tenu de son état de santé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens énoncés dans sa requête n° 20MA00915 sont sérieux.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 26 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n ° 603/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes n° 20MA00915 et n° 20MA01083 qui sont présentées par le même requérant sont relatives à la même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. M. D..., ressortissant nigérian né le 1er octobre 1982, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 27 décembre 2019, a présenté une demande d'asile aux autorités françaises. La consultation du fichier " Eurodac " ayant permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes le 22 août 2017, une demande de prise en charge a été adressée à ces autorités le 3 janvier 2020. Une décision implicite d'acceptation par les autorités italiennes est née du silence gardé par celles-ci sur cette demande. Par un arrêté du 27 janvier 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé le transfert de M. D... vers l'Italie. Saisi par ce dernier sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté par un jugement du 3 février 2020 dont M. D... relève appel.
Sur l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
3. M. D... a présenté, pour cette procédure, une demande d'aide juridictionnelle qui a fait l'objet de deux décisions d'admission du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Marseille. Par conséquent, sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est devenue sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Il résulte des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 que le transfert du demandeur doit s'effectuer au plus tard, dans un délai de six mois, à défaut " l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ". Ce même article prévoit que " ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois maximum si la personne concernée prend la fuite ".
5. L'introduction d'un recours contre la décision de transfert, sur le fondement du I de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être regardée comme interrompant le délai de six mois prévu à l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 jusqu'à la notification du jugement du tribunal administratif. Ce délai court, de nouveau, à compter de la date de la dernière notification de ce jugement, l'appel dépourvu de caractère suspensif n'ayant pas pour effet d'interrompre ce nouveau délai.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le délai de six mois imparti à l'administration pour procéder au transfert de M. D... à compter de la décision d'acceptation des autorités italiennes a été interrompu par la présentation, le 28 janvier 2020, de la demande de l'intéressé devant le tribunal administratif de Marseille tendant à l'annulation de la décision de transfert en litige. Il ressort également des pièces du dossier que M. D... a reçu notification du jugement du 3 février 2020 par une lettre recommandée du 5 février 2020 qui comportait la mention des voies et délais de recours. Cette lettre a été présentée par les services postaux le 26 février 2020, à l'adresse indiquée au tribunal administratif par M. D... qui a été avisé du passage du préposé de la Poste et de la mise à sa disposition de la lettre au bureau de poste. Le pli n'a pas été retiré et a été retourné à l'expéditeur, à l'expiration du délai d'instance de quinze jours, avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un changement d'adresse ait été communiqué par M. D... au greffe du tribunal. Dans ces conditions, la notification du jugement attaqué est réputée être régulièrement intervenue à la date de présentation, le 26 février 2020. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, ce délai de six mois a recommencé à courir à compter de la notification à M. D..., le 26 février 2020, du jugement du 3 février 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
7. Il résulte de ce qui précède, alors que le préfet des Bouches-du-Rhône indique sans le justifier, en réponse à une mesure d'instruction, que le délai d'exécution du transfert aurait été prolongé, étant précisé qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait été emprisonné ou aurait pris la fuite, que l'arrêté en litige est devenu caduc à la date du 26 août 2020. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 27 janvier 2020 qui sont devenues sans objet.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
8. La Cour ayant prononcé un non-lieu à statuer par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de M. D... tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20MA01083 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont également privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
10. Le constat de la caducité de l'arrêté de transfert, qui constitue le soutien nécessaire du non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre lui prononcé par le présent arrêt, implique, par l'effet des dispositions précitées de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, que le préfet des Bouches-du-Rhône ou, le cas échéant, le préfet territorialement compétent au regard du lieu de résidence actuel de l'intéressé s'il en a changé, enregistre sa demande d'asile en application des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avec toutes conséquences de droit. Dès lors, il y a lieu, en application des dispositions combinées des articles L. 911-1 et R. 222-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à cette autorité de faire droit à la demande, en ce sens, de M. D..., dans un délai de trois jours à compter de sa présentation.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que le conseil de M. D... a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à ce qu'il soit admis à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de M. D....
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de M. D....
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2020, où siégeaient :
- M. Lascar, président,
- Mme C..., présidente assesseure,
- Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
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N° 20MA00915, 20MA01083
mtr