Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 février 2020, la société Ionic Eco, représentée par Me Jung, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 62 845,92 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi avec les intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2016 ;
3°) de prononcer la capitalisation des intérêts ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'Etat a commis une faute en agréant la société Alpha GEC comme sous-traitant en méconnaissance de l'article 114 du code des marchés publics ; cette faute consiste en une insuffisance fautive du contrôle de l'Etat sur les capacités professionnelles et financières de la société Alpha Gec ; le sous-traitant ne disposait pas des capacités professionnelles et financières requises ;
- cette faute a un lien direct avec le préjudice qu'elle a subi consistant au non-paiement des factures de ses prestations par le sous-traitant pour un montant total de 62 845,92 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Ionic Eco ne sont pas fondés.
Un mémoire enregistré le 15 juillet 2021 présenté pour la société Ionic Eco n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 1er juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... Guillaumont, rapporteur,
- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,
- les parties n'étant ni présentes, ni représentées.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministère de la défense a passé un accord-cadre notifié le 30 avril 2009 au groupement d'entreprises composé des sociétés Bouygues Bâtiment Nord Est (anciennement Pertuy Construction), DV Construction, GFC Construction, GTB Construction, Norpac et Quille pour la construction d'un bâtiment à usage d'hébergement. Dans le cadre de ce marché, un acte spécial de sous-traitance a été signé le 12 décembre 2013 au profit de la société Alpha GEC. Cet acte spécial a ensuite été modifié pour prendre en compte l'augmentation du montant prévisionnel maximum du prix des prestations sous-traitées. Afin d'exécuter ses prestations, la société Alpha GEC a passé commande auprès de la société Ionic Eco de divers matériels pour un montant de 62 845,92 euros. Par courrier en date du 18 février 2015, la société Ionic Eco a été informée par Me Simon Laure, mandataire judiciaire, que la société Alpha GEC était placée en redressement judiciaire à la suite d'un jugement du tribunal de commerce de Toulon en date du 3 février 2015. La procédure collective a été ultérieurement convertie en liquidation judiciaire et la société Ionic Eco a fait valoir auprès du liquidateur sa créance de 62 845,92 euros. Cette créance n'a toutefois pas été payée par le liquidateur de la société Alpha GEC en raison d'une insuffisance d'actif. Après le rejet de sa demande indemnitaire préalable, la société Ionic Eco a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui payer la somme de 62 845,92 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi avec les intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2016. La société Ionic Eco relève appel du jugement du 12 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ". Aux termes de l'article 112 du code des marchés publics alors applicable : " Le titulaire d'un marché public de travaux, d'un marché public de services ou d'un marché industriel peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement. " L'article 114 du même code prévoit que : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement sont demandés dans les conditions suivantes : / 1° Dans le cas où la demande de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre ou de la proposition, le candidat fournit au pouvoir adjudicateur une déclaration mentionnant : / a) La nature des prestations sous-traitées ; / b) Le nom, la raison ou la dénomination sociale et l'adresse du sous-traitant proposé ; / c) Le montant maximum des sommes à verser par paiement direct au sous-traitant ; / d) Les conditions de paiement prévues par le projet de contrat de sous-traitance et, le cas échéant, les modalités de variation des prix ; e) Les capacités techniques, professionnelles et financières du sous-traitant. / Il lui remet également une déclaration du sous-traitant indiquant qu'il ne tombe pas sous le coup d'une interdiction d'accéder aux marchés publics. / La notification du marché emporte acceptation du sous-traitant et agrément des conditions de paiement ; / 2° Dans le cas où la demande est présentée après le dépôt de l'offre, le titulaire remet contre récépissé au pouvoir adjudicateur ou lui adresse par lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, une déclaration contenant les renseignements mentionnés au 1°. / Le titulaire établit en outre qu'aucune cession ni aucun nantissement de créances résultant du marché ne font obstacle au paiement direct du sous-traitant, dans les conditions prévues à l'Art. 116, en produisant soit l'exemplaire unique ou le certificat de cessibilité du marché qui lui a été délivré, soit une attestation ou une mainlevée du bénéficiaire de la cession ou du nantissement des créances. / L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont alors constatés par un acte spécial signé des deux parties. / Figurent dans l'acte spécial les renseignements ci-dessus mentionnés au 1° ; / 3° Si, postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui a été indiqué dans le marché ou l'acte spécial, il demande la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité prévus à l'Art. 106 du présent code. / Si cet exemplaire ou ce certificat de cessibilité a été remis en vue d'une cession ou d'un nantissement de créances et ne peut être restitué, le titulaire justifie soit que la cession ou le nantissement de créances concernant le marché est d'un montant tel qu'il ne fait pas obstacle au paiement direct de la partie sous-traitée, soit que son montant a été réduit afin que ce paiement soit possible. / Cette justification est donnée par une attestation du bénéficiaire de la cession ou du nantissement de créances résultant du marché. / Le pouvoir adjudicateur ne peut pas accepter un sous-traitant ni agréer ses conditions de paiement si l'exemplaire unique ou le certificat de cessibilité n'a pas été modifié ou si la justification mentionnée ci-dessus ne lui a pas été remise. / Toute modification dans la répartition des prestations entre le titulaire et les sous-traitants payés directement ou entre les sous-traitants eux-mêmes exige également la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité ou, le cas échéant, la production d'une attestation ou d'une mainlevée du ou des cessionnaires ; / 4° Le silence du pouvoir adjudicateur gardé pendant vingt et un jours à compter de la réception des documents mentionnés aux 2 et 3 vaut acceptation du sous-traitant et agrément des conditions de paiement ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 28 août 2006 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs : " A l'appui des candidatures et dans la mesure où ils sont nécessaires à l'appréciation des capacités des candidats, le pouvoir adjudicateur ne peut demander, en application de l'article 45 du code des marchés publics ou de l'article 17 du décret du 30 décembre 2005 susvisé, que le ou les renseignements et le ou les documents suivants : / - déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les fournitures, services ou travaux objet du marché, réalisés au cours des trois derniers exercices disponibles ; / - déclaration appropriée de banques ou preuve d'une assurance pour les risques professionnels ; / - bilans ou extraits de bilans, concernant les trois dernières années, des opérateurs économiques pour lesquels l'établissement des bilans est obligatoire en vertu de la loi (...) ". Aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Pour justifier des capacités professionnelles, techniques et financières d'autres opérateurs économiques sur lesquels il s'appuie pour présenter sa candidature en application du III de l'article 45 du code des marchés publics ou du I de l'article 17 du décret du 30 décembre 2005 susvisé, le candidat produit les mêmes documents concernant cet opérateur économique que ceux qui lui sont exigés par le pouvoir adjudicateur. En outre, pour justifier qu'il dispose des capacités de cet opérateur économique pour l'exécution du marché, le candidat produit un engagement écrit de l'opérateur économique ".
3. Il résulte de l'instruction que le groupement d'entreprise titulaire du marché formé par les sociétés Bouygues Bâtiment Nord Est (anciennement Pertuy Construction), DV Construction, GFC Construction, GTB Construction, Norpac et Quille a présenté, après le dépôt de son offre, une demande de sous-traitance au profit de la société Alpha GEC à laquelle l'administration a consenti par un acte spécial de sous-traitance signé le 12 décembre 2013. La société Alpha GEC a bénéficié, en tant que sous-traitant du groupement, du paiement direct de l'ensemble de ses prestations par le ministère de la défense. Il résulte également de l'instruction, et il n'est pas contesté, que la société Ionic Eco a livré à la société Alpha GEC, des matériels et doit être regardée comme liée à cette dernière par un simple contrat de fournitures.
4. En premier lieu, dès lors que le groupement d'entreprises titulaire du marché ne s'est pas appuyé sur la société Alpha GEC pour justifier de ses capacités professionnelles, techniques et financières au moment du dépôt de sa candidature, la société requérante n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance d'une obligation qui serait issue des articles 1er et 3 de l'arrêté précité du 28 août 2006.
5. En second lieu, d'une part, si la société requérante soutient que le ministère de la défense n'a pas contrôlé suffisamment les capacités professionnelles et financières de la société Alpha GEC et que cette société ne disposait pas des capacités professionnelles et financières requises par l'article 114 du code des marchés publics, il résulte de l'instruction, notamment des formulaires DC1 et DC2 ainsi que de l'acte spécial modifié, que le ministère de la défense était précisément informé de la nature des prestations sous-traitées, du nom et de la raison sociale du sous-traitant proposé, de son adresse, du montant maximum - au demeurant relativement mesuré au regard de l'objet et du montant du marché - des sommes à verser par paiement direct au sous-traitant, des conditions de paiement prévues (règlement par acomptes mensuels fermes) ainsi que du chiffre d'affaires, de plusieurs millions d'euros et en augmentation, des trois dernières années. Le ministère de la défense disposait également d'une déclaration de la société Alpha GEC indiquant notamment qu'elle ne tombait pas sous le coup d'une interdiction d'accéder aux marchés publics. Ainsi, contrairement à ce que fait valoir la société requérante, l'ensemble de ces éléments étaient de nature à permettre au ministère de la défense d'exercer le contrôle prévu à l'article 114 du code des marchés publics et d'appréhender les capacités professionnelles et financières du sous-traitant proposé par le groupement. D'autre part, il résulte de l'article 113 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce qu'en cas de sous-traitance, " le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant du marché ". Si la société requérante fait valoir que le ministère de la défense n'a pas sollicité les bilans de la société Alpha GEC ni des précisions sur la part de son chiffre d'affaires concernant les fournitures, les services ou les travaux objet du marché, elle ne fait état d'aucune circonstance particulière qui aurait dû conduire le pouvoir adjudicateur à solliciter en l'espèce des documents complémentaires à ceux dont il disposait. Eu égard à tout ce qui précède, la société Ionic Eco n'est pas fondée à soutenir que le ministère de la défense a commis une faute dans le contrôle des capacités professionnelles et financières de la société Alpha GEC.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui payer une somme quelconque en réparation de son préjudice. Par suite, la société Ionic Eco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.
Sur les frais du litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
8. Ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la société requérante soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Ionic Eco est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ionic Eco et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Guy Fédou président,
- M. Gilles Taormina, président assesseur,
- M. B... Guillaumont, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2021.
N° 20MA00563 6