Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 août 2019 et le 23 mars 2020, l'association de préservation de l'environnement de Grisgione, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Bastia du 30 mai 2019 ;
2°) d'annuler la délibération du 25 janvier 2019 du conseil municipal de San-Martino-di-Lota ;
3°) d'enjoindre à la commune de San-Martino-di-Lota d'engager la procédure de résolution amiable de la vente et, à défaut d'y parvenir dans un délai de deux mois, de saisir le juge civil du contrat afin de procéder à la remise en état et à l'affectation au public de la portion du chemin litigieuse ;
4°) de mettre à la charge de la commune de San-Martino-di-Lota le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la cession du chemin en litige est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime, ce chemin n'ayant jamais cessé d'être affecté à l'usage du public avant qu'un riverain ne procède à l'installation illégale d'un portail qui en condamne l'accès ;
- la délibération contestée est entachée d'un détournement de pouvoir ;
- son annulation doit conduire, pour le cas où la vente des parcelles en cause serait intervenue, à enjoindre à la commune d'engager une procédure amiable de résolution de cette vente ou à défaut de saisir le juge civil pour obtenir cette résolution.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 février 2020, le 17 mars 2020 et le 30 mars 2020, la commune de San-Martino-di-Lota, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association de préservation de l'environnement de Grisgione au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable faute pour l'association requérante de contester l'inopérance de son moyen qui lui a été opposée par le premier juge ;
- les moyens soulevés par l'association APEG sont inopérants, la décision d'aliénation du chemin rural en cause résultant, non pas de la délibération en litige, mais d'une précédente délibération du conseil municipal du 8 mars 2018 qui est définitive faute d'avoir été contestée dans le délai du recours contentieux ;
- ces moyens, en tout état de cause, ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me D..., représentant la commune de San-Martino-di-Lota.
Considérant ce qui suit :
1. L'association de préservation de l'environnement de Grisgione (APEG) a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la délibération adoptée le 25 janvier 2019 par le conseil municipal de San-Martino-di-Lota (Haute-Corse) portant aliénation de plusieurs tronçons du chemin rural de Grandinaja à trois propriétaires riverains. L'association APEG relève appel de l'ordonnance du 30 mai 2019 par laquelle le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.
Sur la recevabilité de la requête :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 811-13 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV ". Au sein du livre IV de ce même code, l'article R. 411-1 précise que " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".
3. D'autre part, un requérant est recevable en appel à invoquer des moyens opérants relevant de la même cause juridique qu'un moyen inopérant présenté en première instance.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'association APEG invoquait au soutien de sa demande devant le tribunal administratif de Bastia un seul moyen relatif à la légalité interne de la délibération qu'elle contestait au motif qu'un précédent jugement du 28 juillet 2017 du même tribunal avait condamné la commune de San-Martino-di-Lota à faire retirer un portail se situant sur le chemin rural de Grandinaja afin d'en permettre l'accès au public et aux engins de secours. Alors même que, par l'ordonnance attaquée, le premier juge a écarté ce moyen comme inopérant, d'une part l'association APEG est recevable à soulever en appel des moyens nouveaux tirés de l'erreur de droit et du détournement de pouvoir entachant ladite délibération, qui relèvent de la même cause juridique que son moyen inopérant présenté en première instance. D'autre part, si l'association requérante n'a pas contesté dans sa requête d'appel l'inopérance de ce moyen qui lui a été opposée par le premier juge, celle-ci contient un exposé détaillé des faits, les conclusions soumises au juge d'appel et un énoncé précis des critiques adressées à la délibération dont l'association APEG avait demandé l'annulation au tribunal administratif. Dès lors, la requête de l'association APEG, qui est motivée, est recevable. La fin de non-recevoir opposée par la commune de San-Martino-di-Lota, doit, par suite, être écartée.
Sur le caractère opérant des moyens soulevés en appel :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsqu'un chemin rural cesse d'être affecté à l'usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l'article L. 161-11 n'aient demandé à se charger de l'entretien dans les deux mois qui suivent l'ouverture de l'enquête. / Lorsque l'aliénation est ordonnée, les propriétaires riverains sont mis en demeure d'acquérir les terrains attenant à leurs propriétés. / Si, dans le délai d'un mois à dater de l'avertissement, les propriétaires riverains n'ont pas déposé leur soumission ou si leurs offres sont insuffisantes, il est procédé à l'aliénation des terrains selon les règles suivies pour la vente des propriétés communales ".
6. D'autre part aux termes de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date de la délibération attaquée : " Le conseil municipal délibère sur la gestion des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune (...). / Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité ".
7. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un chemin rural cesse d'être affecté à l'usage du public, sa vente ne peut être décidée qu'après enquête publique et par une délibération du conseil municipal. Lorsque l'aliénation est ainsi décidée et après que les propriétaires riverains aient été mis en demeure d'acquérir les terrains attenant à leurs propriétés, une nouvelle délibération du conseil municipal doit fixer les modalités de la cession et préciser notamment le nom de l'acquéreur ou du propriétaire riverain ayant préempté ainsi que le prix et les modalités de la vente. La délibération du conseil municipal fixant les modalités de cession des parcelles concernées aux propriétaires riverains et celle décidant de l'aliénation du chemin rural sur le fondement de laquelle elle a été prise constituent les éléments d'une même opération complexe. Dès lors, à l'appui de conclusions dirigées contre la délibération fixant les modalités de cession, un requérant peut utilement se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la délibération décidant du principe de la cession du chemin rural en dépit du caractère définitif de cet acte.
8. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 9 mars 2018, le conseil municipal de San-Martino-di-Lota (Haute-Corse) a décidé, après enquête publique, de procéder à l'aliénation du chemin rural de Grandinaja dans sa section proche de la nouvelle route de Porraja. La délibération en litige du 25 janvier 2019 s'est bornée à fixer les modalités de cette cession en précisant le nom des acquéreurs, la superficie respective des parcelles concernées de 245 m², 346 m², et 75 m² ainsi que le prix de vente fixé à 75 euros le m² conformément à l'estimation du service des domaines. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 7 que l'association APEG peut utilement se prévaloir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre cette dernière délibération, de l'illégalité de la délibération du 9 mars 2018 décidant du principe de la cession du chemin rural en cause, alors même qu'elle serait devenue définitive. En invoquant dans sa requête la méconnaissance des dispositions de l'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime au motif que ce chemin n'avait jamais cessé d'être affecté à l'usage du public et l'existence d'un détournement de pouvoir tenant à ce que cette désaffection résulterait d'une situation illégale imputable à l'abstention du maire à faire usage de ses pouvoirs de police, l'association APEG doit être regardée comme se prévalant, par la voie de l'exception, de l'illégalité de délibération du 9 mars 2018. Par suite, la commune de San-Martino-di-Lota n'est pas fondée à soutenir que ces moyens seraient inopérants.
Sur la légalité de la délibération du 25 janvier 2019 :
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime que : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale ". Un seul des éléments indicatifs figurant à l'article L. 161-2 permet de retenir la présomption d'affectation à l'usage du public.
10. Par ailleurs, lorsqu'il est soutenu que l'aliénation d'un chemin rural est possible du fait d'une désaffectation résultant d'un état de fait, caractérisé notamment par la circonstance qu'il n'est plus utilisé comme voie de passage et qu'il ne fait plus l'objet de la part de l'autorité communale d'actes réitérés de surveillance ou de voirie, il appartient au juge, qui apprécie souverainement cet état de fait, de tenir compte, pour cette appréciation, de l'éventuelle irrégularité de la situation ayant empêché l'utilisation de ce chemin et des contestations qu'elle a, le cas échéant, suscitées.
11. Il ressort des pièces du dossier que le chemin rural de la Grandinaja est constitué, dans sa partie basse, d'une partie carrossable permettant notamment l'accès aux propriétés riveraines et dans sa partie haute, d'une section qui n'est plus accessible sur une longueur d'environ 173 mètres en raison de la présence d'un portail cadenassé posé par un riverain, ce portail représentant selon l'avis du commissaire enquêteur " un signe apparent de clôture privée, une dissuasion qui n'incite pas à aller plus avant ". Par ailleurs, il n'est pas établi que cette partie du chemin ferait l'objet de la part de l'autorité communale d'actes réitérés de surveillance ou de voirie, le commissaire enquêteur ayant relevé dans ses conclusions motivées que " l'ensemble du chemin était manifestement à l'abandon, la nature y ayant repris largement ses droits, notamment par la présence d'arbres et d'arbustes " et l'association requérante précisant pour sa part que " l'ancien conseiller municipal qui entretenait régulièrement le chemin a cessé de le faire ". Néanmoins, il résulte des témoignages concordants et suffisamment circonstanciés produits par l'association APEG, qu'avant l'installation de ce portail au début des années 2000, le chemin rural de Grandinaja était régulièrement utilisé par les habitants du village comme voie de passage lors de déplacements à pied. Si l'utilisation de ce chemin est depuis empêchée par la présence de ce portail, il ressort de ces mêmes pièces que celui-ci a été établi irrégulièrement et que sa présence a suscité des contestations. C'est ainsi que par un jugement du 28 juillet 2017, rendu à la demande de l'association APEG, le tribunal administratif de Bastia a annulé le refus implicite du maire de faire usage de ses pouvoirs de police et lui a enjoint de prendre toutes mesures afin de faire procéder à l'enlèvement de ce portail entravant la circulation publique sur ce chemin dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Cette décision a par la suite été confirmée par un arrêt de la Cour n° 17MA04026 du 9 mars 2020. Enfin, la circonstance que le chemin rural en cause se terminerait en impasse, débouchant soit sur le mur de soutènement de la route départementale de la Poraja, soit sur des remblais ou des talus abrupts, n'est pas, en tant que telle, de nature à faire obstacle à ce qu'il puisse être regardé comme une voie de passage, au sens de l'article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime. Ainsi, au regard de l'ensemble de ces circonstances, à la date de la délibération du 9 mars 2018 décidant de son aliénation, ce chemin devait être regardé comme étant encore affecté à l'usage du public. Il s'en déduit que l'association APEG est fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que cette délibération est entachée d'illégalité.
12. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus que la commune de San-Martino-di-Lota ne pouvait légalement par la délibération en litige du 25 janvier 2019, prise sur le fondement de la délibération illégale du 9 mars 2018, décider de la cession des tronçons numérotés 1 à 5 du chemin rural de la Grandinaja aux propriétaires riverains mentionnés dans cette délibération.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'association APEG est fondée à soutenir, par le moyen qu'elle invoque pour la première fois en appel et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de sa requête, que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée du 30 mai 2019, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. Il résulte de l'instruction, et notamment des éléments produits par la commune de San-Martino-di-Lota à la suite de la mesure d'instruction diligentée par la Cour, qu'aucun acte de vente des parcelles en litige n'a été établi au profit des propriétaires riverains. Par suite, les conclusions de l'association APEG tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de rechercher une résolution amiable des contrats de vente des parcelles litigieuses et de saisir le juge du contrat afin qu'il tire les conséquences de l'absence de délibération autorisant le maire à signer les contrats de vente des parcelles mentionnées dans la délibération du 25 janvier 2019, sont, en tout état de cause, dépourvues d'objet et ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de San-Martino-di-Lota, la somme de 1 500 euros à verser à l'association de préservation de l'environnement de Grisgione au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association de préservation de l'environnement de Grisgione, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 1900407 du 30 mai 2019 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Bastia et la délibération n° 2019-013 du 25 janvier 2019 du conseil municipal de San-Martino-di-Lota sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La commune de San-Martino-di-Lota versera à l'association de préservation de l'environnement de Grisgione la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de commune de San-Martino-di-Lota présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de préservation de l'environnement de Grisgione et à la commune de San-Martino-di-Lota.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2021.
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N° 19MA03786
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