Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2019, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 juillet 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 février 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour temporaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- la compétence du signataire de la décision en cause n'est pas établie ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le préfet s'est abstenu de saisir la commission du titre de séjour alors qu'il y était tenu dès lors qu'il justifie être présent habituellement sur le territoire français depuis plus de dix ans ;
- la décision querellée méconnaît l'article 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il justifie du bénéfice d'un titre de séjour de plein droit ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 31 décembre 1981, de nationalité tunisienne, relève appel du jugement du 2 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 février 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du même code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
3. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux. Lorsque le préfet fait usage de cette faculté et recherche ainsi d'office si l'étranger peut bénéficier d'un titre de séjour sur un ou plusieurs autres fondements possibles, l'intéressé peut alors se prévaloir à l'encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour de la méconnaissance des dispositions au regard desquelles le préfet a également fait porter son examen.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêté querellé que, alors que M. C... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet des Bouches-du-Rhône a également examiné la situation de l'intéressé au regard des dispositions de l'article L. 313-14 de ce même code concernant les demandes d'admission exceptionnelle au séjour. Ce faisant, il appartenait à l'autorité préfectorale, avant de décider que l'intéressé ne justifiait pas d'une admission au séjour à ce titre, de vérifier si la condition de résidence habituelle en France depuis plus de dix ans posée au deuxième alinéa de cet article L. 313-14 était ou non satisfaite et de saisir, le cas échéant, la commission du titre de séjour.
5. En l'espèce, par les nombreuses pièces qu'il produit dans l'instance, M. C..., qui affirme être entré pour la dernière fois en France le 25 novembre 2007 et y être demeuré depuis, justifie de ces dix années de présence habituelle sur le territoire français. En conséquence, et alors que le préfet, qui n'a pas présenté d'écritures devant la Cour, ne contestait pas sérieusement la réalité de cette présence de dix années devant le tribunal, M. C... est fondé à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'illégalité faute pour l'autorité préfectorale d'avoir saisi la commission du titre de séjour préalablement à son édiction.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
8. Il y a lieu, eu égard aux motifs de l'annulation de l'arrêté en cause, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande présentée par M. C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D... de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juillet 2019 et l'arrêté du 14 février 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus de la requête de M. C... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Me D..., sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2020.
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N° 19MA04640
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