Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 juin 2017 et le 21 juin 2017, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 23 mai 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Vaucluse en date du 22 février 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ainsi qu'un récépissé valant, durant l'instruction de la demande, autorisation provisoire de séjour et de travail et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, les premiers juges s'étant abstenus d'exercer un contrôle minimum sur le pouvoir discrétionnaire de régularisation du préfet et n'ayant pas répondu au moyen qui n'était pas inopérant tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur sa situation personnelle ;
- la décision portant refus de titre de séjour contestée est entachée d'un vice de procédure tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard du 7° de l'article L. 313-11 de ce code dès lors qu'elle l'exclut du champ de cette disposition en raison de l'applicabilité à son cas de la procédure de regroupement familial ;
- elle est entachée d'erreurs de droit concernant la date à prendre en compte pour apprécier l'ancienneté de sa résidence en France et l'appréciation de la régularité de son séjour ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle repose sur des faits matériellement inexacts concernant la date d'expiration du titre de séjour de son mari ;
- elle a été prise en violation des articles 3-1, 8, et 10 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de droit du préfet qui s'est à tort, estimé en situation de compétence liée pour édicter cette mesure d'éloignement suite au refus de titre de séjour ;
- elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2017, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens développés par Mme E... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 17 janvier 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 6 février 2018.
Un mémoire présenté pour Mme E..., enregistré le 8 mai 2018, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guidal, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme E..., née le 1er juin 1983, de nationalité marocaine, est entrée sur le territoire français le 29 novembre 2013 sous couvert d'un passeport muni d'un visa D ; qu'elle s'est vue délivrer une carte de séjour temporaire mention " travailleur saisonnier " ; qu'elle a, par la suite, sollicité un changement de statut en présentant une demande de carte de séjour au titre de la vie privée et familiale ; qu'elle relève appel du jugement en date du 23 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Vaucluse en date du 22 février 2017 lui refusant la délivrance du titre de séjour sollicité et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
3. Considérant qu'en application de ces stipulations il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée régulièrement en France en novembre 2013 et y a ensuite séjourné sous couvert de cartes de séjour temporaire portant la mention " travailleur saisonnier " valables du 12 décembre 2013 au 11 décembre 2016 ; qu'elle avait épousé le 21 novembre 2012 un compatriote, M. B... né en 1947, avec lequel elle a eu deux enfants nés en France le 24 septembre 2015 et le 4 octobre 2016 ; qu'il est constant que M. B... réside régulièrement sur le territoire français depuis 1974 sous couvert de cartes de résident et qu'il y avait donc sa résidence habituelle depuis quarante-trois années à la date de l'arrêté en litige ; que, par ailleurs, il résulte des certificats médicaux produits par la requérante que M. B... souffre de pathologies respiratoires nécessitant un suivi médical régulier et impliquant un traitement nocturne par " pression positive continue " avec une assistance ; que, eu égard à la nature des soins nécessités par son état de santé, son épouse est la mieux à même de lui apporter l'assistance nécessaire ; que la requérante vivait avec son époux en France depuis plus de trois ans à la date des décisions contestées ; que le couple avait deux enfants nés sur le territoire français ; que, dès lors, en admettant même que Mme E... serait susceptible, en retournant dans son pays d'origine, de bénéficier, à la demande de son conjoint, du regroupement familial et qu'elle ne serait pas dépourvue de toute attache au Maroc où vivent ses parents et sa fratrie, l'arrêté en litige du 22 février 2017 a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a, ainsi, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ;
7. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation retenu au point 4, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait survenu depuis l'intervention de l'arrêté du 22 février 2017, la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme E... ; qu'il y a lieu, en application des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de Vaucluse de délivrer ce titre de séjour à l'intéressée dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les frais liés au litige :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
9. Considérant, qu'en application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme E... au titre des frais d'instance non compris dans les dépens ; que ces dispositions s'opposent en tout état de cause, en revanche, à ce qu'une quelconque somme soit mise à ce titre à la charge de la requérante qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D É C I D E
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 1700914 en date du 23 mai 2017 et l'arrêté du préfet de Vaucluse du 22 février 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme E... dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du préfet de Vaucluse présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2018 où siégeaient :
- M. Pocheron, président,
- M. Guidal, président-assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, 1er juin 2018.
N° 17MA02429 2
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