Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 mai 2018, M. B..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 février 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande et de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la date de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce dernier renonçant dans ce cas à percevoir l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis de répondre aux moyens tirés du défaut de motivation de l'arrêté en litige et de ce qu'il n'était pas justifié de la publication de la délégation de signature de son auteur ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;
- son signataire n'a pas justifié d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- le principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu a été méconnu ;
- l'arrêté a été pris en violation des dispositions du 5° de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du même code ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que M. B... n'a, en première instance, présenté que des moyens de légalité interne et qu'ainsi, il n'est pas recevable, en appel, à soutenir que l'arrêté en litige aurait été pris en méconnaissance du droit d'être entendu et qu'il serait insuffisamment motivé, ces moyens de légalité externe reposant sur une cause juridique différente de celle qui fondait ses moyens de première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- la directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 28 octobre 2016 fixant la liste des pièces à fournir pour l'exercice, par un ressortissant étranger, d'une activité professionnelle salariée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guidal, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 14 décembre 1970, titulaire d'une carte de résident de longue durée-CE délivrée par les autorités italiennes le 18 mars 2011, est entré en France selon ses déclarations le 19 janvier 2015. Il a sollicité, le 25 février 2016, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " en se prévalant des dispositions de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 novembre 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer ce titre de séjour et l'a invité à quitter le territoire français dans le délai de trente jours sous peine de faire l'objet d'une décision de remise aux autorités italiennes. M. B... relève appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Marseille que M. B... n'avait pas soulevé à l'appui de sa requête dirigée contre l'arrêté du 15 novembre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône les moyens tirés de ce que cet arrêté était insuffisamment motivé au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979 et de ce que son signataire n'avait pas justifié d'une délégation de signature régulièrement publiée. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à ces moyens.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 15 novembre 2016 :
3. Devant le tribunal administratif, M. B... n'avait soulevé que des moyens tirés de l'illégalité interne de l'arrêté contesté. Si devant la Cour, il soutient en outre que cet arrêté a été pris en méconnaissance du droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne et qu'il est insuffisamment motivé, ces moyens, fondés sur une cause juridique distincte, constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.
4. M. A..., attaché d'administration, adjoint au chef du bureau de l'éloignement du contentieux et de l'asile, à la direction des migrations, de l'intégration et de la nationalité, à la préfecture des Bouches-du-Rhône, signataire de l'arrêté litigieux du 15 novembre 2016, bénéficiait d'une délégation de signature consentie par un arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 20 septembre 2016, régulièrement publié le 22 septembre 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer notamment les refus de séjour. Dès lors, le moyen d'ordre public invoqué pour la première fois en appel et tiré de ce que M. A... n'aurait pas été compétent pour signer l'arrêté refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour manque en fait et doit être écarté.
5. D'une part, aux termes de l'article 3 de la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 susvisée : " 1. La présente directive s'applique aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d'un Etat membre. / (...) 3. La présente directive s'applique sans préjudice des dispositions plus favorables : (...) b) des accords bilatéraux déjà conclus entre un Etat membre et un pays tiers avant la date d'entrée en vigueur de la présente directive ". L'article 8 de la même directive énonce que : " (...) 2. Les États membres délivrent au résident de longue durée le permis de séjour de résident de longue durée - CE. Ce permis a une durée de validité d'au moins cinq ans; à son échéance, il est renouvelable de plein droit, au besoin sur demande. / 3. Le permis de séjour de résident de longue durée - CE peut être émis sous forme de vignette adhésive ou de document séparé. Il est émis selon les règles et le modèle type prévus par le règlement (CE) no 1030/2002 du Conseil du 13 juin 2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (6). Sous la rubrique " catégorie du titre de séjour ", les États membres inscrivent " résident de longue durée - CE (...) ". Selon l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile assurant la transposition de la directive précitée : " L'étranger titulaire de la carte de résident de longue durée-UE définie par les dispositions communautaires applicables en cette matière et accordée dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins et, le cas échéant, à ceux de sa famille ainsi que d'une assurance maladie obtient, sous réserve qu'il en fasse la demande dans les trois mois qui suivent son entrée en France et sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée : (...) 5° Une carte de séjour temporaire portant la mention de l'activité professionnelle pour laquelle il a obtenu l'autorisation préalable requise, dans les conditions définies, selon le cas, aux 1°, 2° ou 3° de l'article L. 313-10. (...) ". Aux termes de l'article L. 313-10 du même code : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié " (...) ". En vertu des dispositions précitées de l'article 3 de la directive du 25 novembre 2003, l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transpose cette directive, est applicable aux ressortissants tunisiens, sans qu'y fasse obstacle les stipulations de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : (...) / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ". Selon l'article R. 5221-3 du même code : " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : (...) 8° La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", délivrée en application du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...). Elle autorise à exercer une activité professionnelle salariée dans le respect des termes de l'autorisation de travail accordée ". Aux termes de l'article R. 5221-11 dudit code : " La demande d'autorisation de travail (...) est faite par l'employeur. Elle peut également être présentée par une personne habilitée à cet effet par un mandat écrit de l'employeur. ". Selon l'article R. 5221-20 de ce code : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail (...) " .
7. Enfin la liste des documents à présenter à l'appui d'une demande d'autorisation de travail, prévue par l'article R. 5221-12 du même code, a été fixée en dernier lieu par un arrêté du 28 octobre 2016 selon lequel : " L'employeur qui sollicite une autorisation de travail relevant des 4°, 8°, 9° (à l'exception des cas de détachement), 13° et 14° de l'article R. 5221-3 du code du travail produit, à l'appui de sa demande, outre le formulaire CERFA correspondant à la situation du ressortissant étranger, les pièces suivantes : (...) / 2° Selon le cas, un extrait à jour K bis, s'il s'agit d'une personne morale, ou un extrait à jour K ou une carte d'artisan, s'il s'agit d'une personne physique, ou un avis d'imposition, s'il s'agit d'un particulier employeur ; / 3° L'attestation de versement des cotisations et contributions sociales à l'organisme chargé de leur recouvrement et le cas échéant à la caisse des congés payés lorsque l'employeur est soumis à cette obligation ; (...) / 5° Lorsque la situation de l'emploi est opposable, les justificatifs des recherches effectuées auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail(...) ".
8. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet des Bouches-du-Rhône s'est fondé, après consultation des services de la DIRECCTE, d'une part, sur l'absence de preuves de la recherche de candidats sur le marché local de main d'oeuvre par la société Econet, employeur de M. B... ainsi que de documents relatifs à cette entreprise et, d'autre part, sur la circonstance que M. B... qui déclarait être entré en France le 19 janvier 2015, n'alléguait pas avoir déposé sa demande de titre de séjour dans les trois mois suivant son entrée en France.
9. A supposer que la société Econet ait reçu différents " curriculum vitae " établis par des demandeurs d'emploi, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier quelle aurait accompli une quelconque recherche auprès des organismes concourant au service public de l'emploi, et notamment Pole Emploi, pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail et qu'une telle recherche serait restée vaine. Conformément aux dispositions précitées de l'article R. 5221-20 du code du travail, applicables aux demandes de titre de séjour présentées au titre des dispositions de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet était légalement fondé à opposer à M. B... l'absence de preuve d'une telle recherche par son employeur pour lui refuser le titre sollicité. Il ressort par ailleurs de ces mêmes pièces que l'intéressé, qui a déclaré être entré sur le territoire français le 19 janvier 2015, n'a déposé sa demande de titre de séjour que le 25 février 2016, soit bien au-delà du délai de trois mois suivant son entrée en France, en méconnaissance des prescriptions de cet article. Ainsi, ces deux motifs étaient de nature à justifier légalement le refus de séjour opposé à M. B.... Si la décision en litige repose aussi sur la circonstance que la société Econet n'a pas joint à sa demande différents documents la concernant, il résulte de l'instruction que la même décision aurait été prise si ce motif n'avait pas été retenu.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a demandé au préfet des Bouches-du-Rhône la délivrance d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux étrangers titulaires d'une carte de résident de longue durée dans un autre pays de l'Union européenne. Il ne peut, en conséquence utilement soutenir que le refus de séjour contesté est illégal au motif que le préfet aurait dû lui délivrer un titre de séjour distinct " vie privée et familiale " sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du même code.
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
12. Il ne ressort d'aucune des pièces très éparses produites par M. B... qu'il résiderait en France depuis l'année 2011 comme il le soutient. Au demeurant, une telle allégation est contradictoire avec l'indication mentionnée dans sa demande de titre de séjour selon laquelle il est entré en France le 19 janvier 2015. Et à supposer même que son séjour sur le territoire français soit établi depuis cette dernière date, il ne justifie pas de liens personnels et familiaux en France ni être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine ou en Italie, pays qui lui a délivré une carte de résident de longue durée-CE en cours de validité à la date de l'arrêté en litige. S'il établit avoir travaillé au cours des mois de novembre et décembre 2017 et janvier 2018 auprès de la société Skynet, cette circonstance est postérieure à l'arrêté en litige et sans incidence sur sa légalité. Dans ces conditions, le refus de séjour contesté n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché son refus de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au ministre de l'intérieur et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 22 février 2019 où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président-assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 8 mars 2019.
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N° 18MA02374
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