Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juin 2015 et le 6 juillet 2016, M. A... B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 mai 2015 en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la décision du 2 mai 2015 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision du 2 mai 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer, d'une part, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter de la date de l'arrêt à intervenir, et, d'autre part, sur le fondement de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et dans le délai d'un mois à compter de la même date, à titre principal, un certificat de résidence valable dix ans ou, à titre subsidiaire, un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le préfet ne pouvait, sans méconnaître les dispositions des 3° et 5° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obliger à quitter le territoire français dès lors qu'une demande de titre de séjour était en cours d'instruction ;
- la mesure d'éloignement porte une atteinte excessive à la vie privée et familiale, en violation des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du même code, de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire n'entre en l'espèce dans aucune des catégories d'étrangers prévues par le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... B...ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen tenant à l'insuffisance de motivation du jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,
- et les observations de Me C..., représentant M. A... B....
1. Considérant que, par jugement du 6 mai 2015, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 2 mai 2015 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a placé M. A... B..., de nationalité tunisienne, en rétention administrative et rejeté le surplus de la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de la décision du même jour portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi ; que M. A... B...relève appel de ce jugement en tant que le surplus de sa demande a été rejeté ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que M. A... B...n'a soulevé dans le mémoire introductif d'instance que des moyens critiquant le bien-fondé du jugement attaqué ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement, qui relève de la régularité de celui-ci et n'a été soulevé pour la première fois que par mémoire enregistré le 6 juillet 2016, après l'expiration du délai d'appel, doit être écarté comme irrecevable ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ; / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ; 5° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé ".
4. Considérant que M. A... B...justifie que, le 13 mai 2014, il a retiré auprès des services de la préfecture des Bouches-du-Rhône un formulaire à compléter en vue de solliciter la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ; que, toutefois, s'il produit un ticket de passage au guichet de la préfecture en date du 4 décembre 2014, au demeurant non nominatif, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles il aurait ce jour-là déposé une demande de titre de séjour mais qu'une panne informatique aurait fait obstacle à l'impression du récépissé correspondant ; que l'administration certifie qu'elle ne trouve pas trace d'une telle demande ; que, par ailleurs, M. A... B...ne démontre pas qu'il serait entré pour la dernière fois en France le 25 janvier 2003 sous couvert d'un visa de trente jours comme il le soutient ; que, par suite, alors qu'aucune demande de titre de séjour n'était en cours d'instruction, le préfet a pu légalement lui opposer une obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans méconnaître, en tout état de cause, les dispositions du 3° et du 5° du I du même article ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'indépendamment de l'énumération, donnée par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure que si l'étranger se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi ou un accord international prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement forcée ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " ;
7. Considérant que M. A... B..., né le 18 mai 1972, ne justifie pas, par les seules pièces produites, qu'il résiderait habituellement en France depuis l'année 2003, en particulier pour les années 2006, 2008, et 2010 ; qu'il est célibataire sans enfant ; que, si une de ses soeurs séjourne régulièrement en France, il reconnaît dans l'instance qu'il dispose d'attaches familiales importantes en Tunisie, où vivent sa mère ainsi que cinq de ses frères et soeurs ; que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de la durée et des conditions de séjour en France de M. A... B...et alors même qu'il y a travaillé et qu'il communique une promesse d'embauche, l'intéressé ne peut se prévaloir d'une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale pour soutenir qu'il remplit les conditions d'attribution de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement des stipulations de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 combinées avec les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
9. Considérant que, pour les motifs énoncés au point 7, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d'éloignement serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... B...;
Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :
11. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...) ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente (...) " ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. A... B...ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; que, dans ces conditions, à supposer même établi qu'il présenterait des garanties de représentation suffisantes, et en l'absence de toute circonstance particulière, il existe, en vertu des dispositions du a) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un risque que l'intéressé se soustraie à cette obligation ; qu'ainsi, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions de cet article en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en tant qu'elle est dirigée contre la décision du 2 mai 2015 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ; que, par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lascar, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Chanon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 décembre 2016.
N° 15MA02601 2
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