Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2015 sous le n° 15MA04260, le préfet de la région Provence, Alpes, Côte d'Azur préfet des Bouches-du-Rhône, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 novembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... sur ce point ;
3°) de mettre à la charge de M. A..., la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que si la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français suppose l'appréciation de l'ensemble des critères du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l'administration n'était pas tenue de préciser qu'elle avait examiné le motif lié à l'ordre public dès lors qu'elle ne l'avait pas retenu et ne pouvait se voir reprocher une erreur manifeste d'appréciation sur ce point.
II°) Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2015, sous le n° 15MA04554, M. E... A..., représenté, par Me D... demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 1505761 du 2 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler la partie de l'arrêté du 2 juillet 2015 que le tribunal n'a pas annulée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les dispositions des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe du respect du contradictoire, principe général du droit, ont été méconnus en l'absence de transmission de l'avis défavorable du DIRECCTE ;
- son admission exceptionnelle au séjour aurait dû être prononcée dès lors qu'il entre parfaitement dans les prévisions de la " circulaire dite Valls " ;
- le centre de sa vie privée se trouvant en France, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision l'éloignant vers la Turquie est contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2016, le préfet de la région Provence, Alpes, Côte d'Azur préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, première conseillère,
- et les observations de M. A....
1. Considérant que les requêtes du préfet des Bouches-du-Rhône et de M. A... sont dirigées contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que, par arrêté du 2 juillet 2015, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il serait éloigné en cas d'exécution d'office de la mesure et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans ; que, par jugement du 2 novembre 2015, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision interdisant à M. A... le retour sur le territoire français et rejeté le surplus de ses conclusions ; que le préfet des Bouches-du-Rhône et M. A... relèvent respectivement appel de la partie du jugement qui leur est défavorable ;
Sur les conclusions dirigées par le préfet des Bouches-du-Rhône contre l'article 1er du jugement :
3. Considérant qu'aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) / Lorsqu'un délai de départ volontaire a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour, prenant effet à l'expiration du délai, pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) / L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.(...) " ;
4. Considérant qu'il incombe à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour de tenir compte des quatre critères énumérés par les dispositions mentionnées ci-dessus sans nécessairement préciser expressément les circonstances qu'elle ne retient pas après prise en compte de chacun de ces critères ; qu'au cas d'espèce, le préfet a relevé que l'ancienneté alléguée de la présence de M. A... sur le territoire n'était pas établie, qu'il ne justifiait pas d'une insertion socio-professionnelle notable depuis la date alléguée de son arrivée en France, que l'intéressé était célibataire, sans charge de famille et disposait d'attaches familiales dans son pays d'origine et, enfin, qu'il n'avait pas exécuté spontanément plusieurs mesures d'éloignement datées des 27 janvier 2008, 6 novembre 2009, 12 octobre 2011 et 21 octobre 2013 ; qu'au vu de ces éléments, le préfet des Bouches-du-Rhône pouvait, sans erreur d'appréciation, assortir l'obligation de quitter le territoire français notifiée à M. A... d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et ce, même si la présence de l'intéressé en France ne représentait pas une menace pour l'ordre public ; qu'il en résulte qu'il est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que sa décision était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille ;
6. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté a été signé par M. C... B..., attaché d'administration, adjoint au chef de bureau des mesures administratives, du contentieux et des examens spécialisés, lequel bénéficiait d'une délégation de signature consentie par arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 mai 2015, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 84 bis du même jour, notamment à l'effet de signer les interdictions de retour sur le territoire français ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision d'interdiction n'est pas fondé ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou lui interdisant le retour sur le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ;
8. Considérant qu'à l'occasion du dépôt de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, M. A... a été conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demandait que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande ; qu'il lui appartenait, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il jugeait utile et qu'il lui était loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas eu la possibilité, pendant l'instruction de sa demande de titre de séjour, de faire état de tous éléments pertinents relatifs à sa situation personnelle susceptibles d'influer sur le contenu des décisions se prononçant sur cette demande ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet aurait porté atteinte au principe général du droit de l'Union européenne selon lequel toute personne a le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle l'affectant défavorablement doit être écarté ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort de l'ensemble des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de son article L. 512-1, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français et, le cas échéant, l'interdiction de retour sur le territoire ; que, par suite, l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, désormais codifié à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, en prévoyant que ces décisions n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales, ne saurait être utilement invoqué à l'encontre d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français lorsque celle-ci est, comme en l'espèce, prise en même temps que la décision confirmant l'obligation de quitter le territoire français ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé sa décision du 2 juillet 2015 faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
Sur les conclusions dirigées par M. A... contre l'article 2 du jugement :
11. Considérant, en premier lieu, que si le préfet, qui n'y était pas tenu, a néanmoins consulté la DIRECCTE avant de statuer sur la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. A..., aucune disposition législative ou règlementaire ne lui imposait de communiquer l'avis rendu par cette dernière à l'intéressé qui n'est, pour les raisons exposées au point 8, pas fondé à soutenir que le principe du droit d'être entendu ou le respect du contradictoire auraient été méconnus et ne saurait, pour les raisons exposées au point 9, utilement se prévaloir de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ; qu'il ne saurait davantage invoquer utilement les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui sont relatives au droit à un procès équitable et au droit à un recours effectif et non à la procédure d'élaboration d'une décision administrative qui ne présente pas le caractère d'une sanction ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, relatives aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne constituent pas des lignes directrices dont les intéressés peuvent utilement se prévaloir devant le juge ;
13. Considérant, en troisième lieu, que depuis son entrée déclarée en France en 2006, M. A... a exercé, de façon ponctuelle, une activité clandestine et a produit à l'appui de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour des documents reflétant une activité à temps partiel, durant douze mois, pour un salaire mensuel de 315 euros ; que la présence continue alléguée par M. A... sur le territoire français n'est corroborée ni par les documents de voyage, ni par les autres justificatifs produits dans la requête qui ne démontrent qu'une présence ponctuelle ; qu'âgé de 29 ans, il est célibataire, sans enfant ; que le préfet de Bouches-du-Rhône a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ni méconnaître les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, estimer que la situation particulière dans laquelle se trouvait M. A... ne justifiait pas qu'il prenne une mesure gracieuse favorable à l'intéressé ;
14. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que si M. A..., dont la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA le 13 août 2009, rejet confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 11 juin 2010, soutient que son éloignement vers la Turquie contreviendrait aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, rien ne vient corroborer cette affirmation ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne sauraient, par suite, être accueillies ; que le préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat ne fait pas état de frais spécifiques exposés par lui à l'occasion de l'instance 1MA04260, au titre de laquelle il demande à la Cour de faire application de cet article ; qu'en l'absence de frais spécifiquement exposés, les conclusions présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 novembre 2015 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 2 juillet 2015 lui faisant interdiction de retourner en France pour une durée de deux ans et sa requête enregistrée sous le n° 15MA04554 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A....
Copie en sera adressée au préfet de la région Provence, Alpes, Côte d'Azur préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, où siégeaient :
- M. Lascar, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 8 décembre 2016.
N° 15MA04260, 15MA04554 2
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