Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2016 et le 30 juin 2016, l'Union des Mutuelles de France 06, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 15 décembre 2015 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de l'inspecteur du travail en date du 11 juillet 2013 ;
3°) de mettre à la charge de Mme F... la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable en raison de sa tardiveté ;
- les premiers juges ont relevé d'office le moyen tiré du caractère non contradictoire de l'enquête de l'inspecteur du travail ;
- cette enquête a présenté un caractère contradictoire ;
- la commission d'enquête du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a fait preuve de neutralité ;
- les faits reprochés à la salariée sont établis ;
- l'inspecteur du travail a pu légalement, pour apprécier la gravité des faits fautifs, se fonder sur l'avertissement précédemment reçu par Mme F... ;
- l'autorisation de licenciement est dépourvue de lien avec les mandats exercés par l'intéressée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 mai 2016 et le 7 juillet 2016, Mme F..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Union des Mutuelles de France 06 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'Union des Mutuelles de France 06 ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a présenté des observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Salvage, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant l'Union des Mutuelles de France 06.
1. Considérant que, par courrier du 1er juillet 2013, l'Union des Mutuelles de France 06 a demandé l'autorisation de licencier pour faute Mme F..., chirurgien-dentiste et titulaire des mandats de délégué syndical, membre suppléant du comité d'entreprise et membre suppléant du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; que, par jugement du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 11 juillet 2013, datée par erreur du 21 mai 2013, par laquelle l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée ; que l'Union des Mutuelles de France 06 relève appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire introductif d'instance présenté par Mme F..., que le tribunal n'a pas relevé d'office le moyen sur lequel il s'est fondé, tiré du caractère non contradictoire de l'enquête de l'inspecteur du travail, ; que, par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Considérant qu'il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté d'une action introduite devant une juridiction administrative, d'établir la date à laquelle la décision attaquée a été régulièrement notifiée à l'intéressé ; qu'en cas de retour à l'administration, au terme du délai de mise en instance, du pli recommandé contenant la décision, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé ;
4. Considérant que le pli recommandé contenant la décision en litige a été retourné à l'administration avec la mention " Pli avisé et non réclamé " ; qu'il résulte de l'examen de la copie de l' " avis de réception d'une lettre recommandée ", transmise par l'administration à la salariée à l'appui d'une nouvelle communication de la décision de l'inspecteur du travail, et produite à l'instance par cette dernière, que le pli recommandé a été présenté à l'adresse de Mme F... le 15 juillet 2013, l'indication erronée selon laquelle il aurait été distribué le même jour n'ayant aucune incidence ; que la preuve d'une première présentation le 12 juillet n'est pas apportée par le résultat de la " recherche de courrier suivi " sur le site internet de La Poste, dont la copie produite au dossier n'apporte cette précision, en marge de l'indication " en cours de traitement à Nice Thiers PPDC 06 " à cette date, que par une mention manuscrite dont l'auteur est inconnu, et pas davantage par la mention " en attente de seconde présentation à Nice Thiers PPDC " portée sur ce document à la date du 13 juillet 2013 ; que, dès lors, en l'absence de mentions précises, claires et concordantes attestant d'une notification régulière de la décision contestée à la date du 12 septembre 2013, la demande de première instance présentée par Mme F..., enregistrée au greffe du tribunal le 16 septembre 2013 dans le délai de recours contentieux, n'était pas tardive ; qu'ainsi l'Union des Mutuelles de France 06 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée en défense ;
Sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail :
5. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 2421-11 du code du travail dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ;
6. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné ; qu'il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; qu'à ce titre, le salarié doit, à peine d'irrégularité de l'autorisation de licenciement, être informé non seulement de l'existence des pièces de la procédure, mais aussi de son droit à en demander la communication ; que c'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
7. Considérant qu'un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ; que le respect, par l'inspecteur du travail, du caractère contradictoire de l'enquête prévue à l'article R. 2421-11 du code du travail constitue une garantie pour le salarié protégé dont l'autorisation de licenciement est sollicitée ; que la décision d'autorisation prise par l'inspecteur du travail est illégale s'il ressort de l'ensemble des circonstances de l'espèce que le salarié a été effectivement privé de cette garantie ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement du 1er juillet 2013, comportant une liste de quatorze pièces jointes, a été communiquée par l'inspecteur du travail à Mme F... ; que, toutefois, il est constant que ces pièces, comprenant notamment des attestations de salariés et de patients ainsi qu'un " compte rendu de restitution " d'une enquête du CHSCT sur lesquels l'inspecteur du travail s'est fondé pour estimer que le comportement de l'intéressée à l'égard des autres salariés était fautif, n'ont pas été communiquées à Mme F... ; qu'il ne résulte d'aucun élément versé au débat que cette dernière aurait été informée de son droit à demander la communication de ces documents ; que ni l'administration, ni l'employeur n'allèguent que l'accès de la salariée à certains de ces éléments aurait été de nature à porter gravement préjudice à leur auteur ; que, dans ces conditions, Mme F... doit être regardée comme n'ayant pas été mise à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation, dont elle n'avait au demeurant pas connaissance auparavant ; que, dès lors, il ressort de l'ensemble des circonstances de l'espèce que l'intéressée a été effectivement privée de la garantie résultant du caractère contradictoire de l'enquête conduite par l'inspecteur du travail ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Union des Mutuelles de France 06 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 11 juillet 2013 ; que, par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de application de ces dernières dispositions et de mettre à la charge de l'Union des Mutuelles de France 06, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme F... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'Union des Mutuelles de France 06 est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme F... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Union des Mutuelles de France 06, à Mme E... F...épouse B...et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lascar, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Chanon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 décembre 2016.
N° 16MA00675 2
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