Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 24 juin et 13 juillet 2017, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 avril 2017 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet des Bouches-du-Rhône du 20 avril 2017 ;
3°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la décision juridictionnelle à intervenir, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer les documents nécessaires lui permettant de formuler une demande d'asile auprès de l'OFPRA ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait dès lors qu'elle justifie de l'existence du lien de filiation entre son jeune fils et le père de celui-ci demandeur d'asile en France ;
- la décision portant remise aux autorités italiennes est entachée de la violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 8 à 11, 16 et 17-1 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre le mécanisme de protection prévu au point 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;
- le préfet a omis de prendre, au regard de sa situation de demandeur d'asile vulnérable, des garanties préalablement à l'édiction de la décision de transfert ;
- la décision en litige porte atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant en violation de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête :
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante camerounaise née le 5 octobre 1988, est entrée irrégulièrement en France en octobre 2016. Elle a sollicité, le 28 octobre 2016, la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès du préfet des Bouches-du-Rhône qui après avoir constaté que les empreintes de l'intéressée avaient déjà été relevées par les autorités italiennes, a refusé de l'admettre provisoirement au séjour sur le territoire français au titre de l'asile et a sollicité sa prise en charge par les autorités italiennes. Par décision tacite en date du 6 décembre 2016, les autorités italiennes ont accepté de prendre en charge la demande d'asile de l'intéressée en application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le 20 avril 2017, le préfet des Bouches-du-Rhône a pris à son encontre un arrêté portant remise aux autorités italiennes et par un second arrêté du même jour, il a décidé de l'assigner à résidence dans le département des Bouches-du-Rhône pour une durée de vingt-cinq jours. Mme A... relève appel du jugement du 24 avril 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille du 10 juillet 2017. Par suite, les conclusions de Mme A... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire sont désormais dépourvues d'objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
4. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet des Bouches-du-Rhône n'aurait pas examiné la possibilité, prévue par les articles 3 et 17 du règlement du 26 juin 2013, d'analyser la demande d'asile présentée, relevant de la compétence d'un autre Etat, en considération d'éléments tenant à la situation personnelle de la requérante, aux défaillances systémiques dans la procédure d'asile et aux conditions d'accueil dans le pays désigné par la décision de réadmission, notamment au regard des garanties exigées par le respect du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision de remise aux autorités italiennes d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être écarté.
5. D'autre part, si l'intéressée fait état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent plusieurs Etats membres de l'Union européenne, notamment l'Italie, confrontés à un afflux sans précédent de réfugiés, elle n'établit toutefois pas que cette circonstance exposerait sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, si elle fait état de sa particulière vulnérabilité en raison de son état de grossesse et d'anémie ainsi que la présence d'un enfant à charge en bas âge, elle ne démontre pas davantage qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, doit être écarté le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile, la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et porterait atteinte à son droit d'asile.
6. Enfin, si Mme A... fait valoir que le père de son plus jeune enfant né le 22 octobre 2014, est un ressortissant camerounais également demandeur d'asile en France, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision de remise aux autorités italiennes le père de son enfant, qui déclare s'en être séparé lorsque ce dernier était âgé de deux mois et qui a bénéficié d'une attestation de demande d'asile valable jusqu'au 21 décembre 2016 délivrée par la préfecture de police de Paris, ait maintenu des relations avec son fils ou participe à son éducation ou à son entretien. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige serait entaché d'une erreur de fait et méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
8. Si Mme A... soutient enfin, que l'intérêt supérieur de son jeune fils Felix serait méconnu dès lors qu'il serait séparé de son père, lequel bénéficie du statut de demandeur d'asile en France, comme il a été dit précédemment, l'appelante n'établit pas la nature des liens entre le père présumé et l'enfant. Il en résulte qu'il n'est pas établi que le préfet des Bouches-du-Rhône n'aurait pas accordé une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant au sens du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire présentées par Mme A....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 octobre 2018.
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N° 17MA02764
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