Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2018, MmeD..., représentée par Me F... demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 15 octobre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2018 du préfet du Var ;
3°) d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal a entaché son jugement d'erreur de fait en ce qu'il a retenu que les faits dont elle était victime, décrits dans la plainte déposée auprès de la direction générale de la police nationale, ne correspondaient pas à l'une des infractions prévues aux articles 225-4 à 225-10 du code pénal ;
- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 8 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été transmise au préfet du Var qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeC... ;
- et les observations de Me F...représentant MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B...D..., ressortissante de nationalité marocaine, née le 14 février 1994, relève appel du jugement du 15 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté en date du 2 juillet 2018 du préfet du Var lui refusant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ". Aux termes de l'article R. 316-1 du même code : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 316-1 ; (...) Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa (...). ".
3. Aux termes de l'article 225-4-1 du code pénal : " La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes : 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. / L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit (...) ".
4. Il résulte des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est, sous réserve que sa présence ne constitue pas une menace à l'ordre public, délivrée de plein droit au ressortissant étranger qui a déposé plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal. Si la délivrance de la carte de séjour n'est ainsi pas subordonnée à la justification de la mise en oeuvre de l'action publique, la teneur des éléments qui fondent le dépôt de plainte peut néanmoins être vérifiée. Lorsque le service de police ou de gendarmerie a, en application de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, préalablement informé l'intéressé de la possibilité d'être ainsi admis au séjour, afin de l'inciter à déposer plainte ou à témoigner dans une procédure pénale, il n'appartient pas, en principe, au préfet de procéder à des vérifications complémentaires. En revanche, lorsque le demandeur a spontanément déposé plainte sans y être invité par le service de police ou de gendarmerie, le préfet peut, s'il l'estime nécessaire, vérifier auprès des services judiciaires qui ont recueilli la plainte, que ceux-ci disposent effectivement " d'éléments permettant de considérer (que l'intéressé) est victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ", selon les termes de l'article R. 316-1.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...a déposé plainte auprès du commissariat central de Toulon le 3 avril 2017 à l'encontre de son époux M. E...A..., de nationalité française, pour des faits de " réduction en servitude " correspondant à l'infraction prévue à l'article 225-4-1 précité du code pénal. La demande de titre de séjour de Mme D... a été présentée le 12 septembre 2017, accompagnée du récépissé de dépôt de plainte. Pour rejeter la demande de titre de séjour de MmeD..., le préfet du Var s'est borné à constater que la plainte de l'intéressée n'avait pas encore été traitée par les services du parquet. En refusant pour ce motif de délivrer à Mme D...le titre de séjour qu'elle sollicitait sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Var a entaché sa décision d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 2 juillet 2018 du préfet du Var, les autres moyens d'annulation qu'elle invoque, en particulier celui tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'étant, quant à eux, pas susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision contestée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard à la portée du motif d'annulation retenu au point 4, seul de nature à permettre la censure de l'arrêté en litige ainsi qu'il a été dit, l'exécution du présent arrêt ne saurait impliquer, au sens de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, la délivrance d'un titre de séjour à MmeD.... Il y a donc seulement lieu d'enjoindre au préfet du Var de procéder au réexamen de la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt, en munissant l'intéressée, durant ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1802406 du tribunal administratif de Toulon du 15 octobre 2018 et l'arrêté du préfet du Var du 2 juillet 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Var de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2019, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 juin 2019.
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N° 18MA04719
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